Rationalisation de l'eau, déficit pluviométrique et nappes phréatiques saumâtres, insalubrité de l'eau potable, problèmes d'assainissement des puits et des barrages, inégalité de l'accès à l'eau, les Tunisiens résidents dans les zones rurales sont confrontés, depuis trop longtemps, à cette problématique majeure. Alors que le droit à une eau potable propre et de qualité et à des installations sanitaires a été consacré par l'article 44 de la Constitution, il apparait qu'en Tunisie ce droit n'est pas encore effectif sur tout le territoire de la République, mais pas que, car le problème est mondial. Samir Taïeb, ministre de l'Agriculture dans le gouvernement d'union nationale qui a succédé à Saâd Seddik a du pain sur la planche et d'importants défis à relever.
« Eau tu n'as ni goût, ni couleur ni arôme, tu n'es pas nécessaire à la vie, tu es la vie !». C'est ce qu'écrivait St Exupéry en 1938 dans son livre la Terre des Hommes. Plus qu'un joli proverbe, cette phrase démontre, encore aujourd'hui, à quel point l'eau et sa distribution revêt un aspect vital. En effet, la dignité des hommes ne peut être effective sans un accès équitable à cette denrée indispensable. Cette perte de dignité confronte l'homme à ses instincts les plus primaires comme dans la vidéo extraite de la page Facebook Béja TV qui a fait le tour des réseaux sociaux, hier dimanche 26 août 2016. On y voit des habitants de la région, femmes et hommes d'un certain âge, se réunir autour d'une source d'eau et perdre complètement leur sang-froid. Ils en arrivent même aux mains pour remplir leurs bidons ! C'est sous un soleil de plomb, attendant leurs tours pour pouvoir s'approvisionner avant la coupure décrétée par les autorités locales, que ces personnes ont exprimé leur désarroi.
Au micro du journaliste, une des femmes s'est exprimée : « Nous vous supplions de nous approvisionner en eau, nous avons soif et nous mourrons à petit feu. Je vis dans cette région depuis 36 ans et notre problème en eau n'a jamais été résolu. Nos enfants ont tous migré vers la capitale à cause du manque d'eau, ils y vivent dans une grande misère juste pour fuir la soif ». Et d'ajouter : « Certains matins nous venons nous approvisionner en eau autour de cette source, mais nous nous apercevons que l'eau est coupée. Nous rentrons alors avec nos bidons vides. Nous sommes même prêts à boire l'eau des oueds. Nous n'avons besoin de rien d'autre, juste de l'eau dans nos robinets ».
« Nous ne trouvons même pas de quoi laver nos morts !» c'est ce que déclare, plein d'amertume, un homme âgé de la région. Il poursuit : « Quand ma mère est décédée, pour l'enterrer décemment, je me suis approvisionné en eau à Nefza, c'est-à-dire à 12 km de là où j'habite. Ceux qui possèdent un âne peuvent faire des allers retours pour s'approvisionner en grande quantité mais ceux qui n'ont pour moyen de locomotion que leurs jambes doivent se rationner comme en temps de guerre ».
Face à la montée des tensions entre les habitants et aux problèmes de voisinage engendrés par le manque d'eau, les femmes, chargées de remplir les bidons, ont déclaré : « Nous demandons au chef du gouvernement, Youssef Chahed, de bien vouloir étudier notre cas car nous mourrons au vrai sens du terme. En cas d'incendie, nous nous demandons comment nous ferions ».En effet, le stress hydrique rejaillit sur les liens sociaux et altère la quiétude des habitants. Les institutions étatiques de la région ne sont pas non plus épargnées. Comme l'a déclaré un des habitants : « Les écoles et les hôpitaux de la région n'ont pas l'eau courante. Ces institutions publiques s'approvisionnent, également, à partir de cette source ! ».
Les petits commerces de la région sont aussi touchés. La propriétaire d'un café de la région a déclaré à ce sujet : «Si les services de l'inspection de l'hygiène se déplacent jusqu'ici, ils fermeront mon café car je n'ai pas de raccordement au tout-à-l'égout et donc pas de WC. Pourquoi ne nous installent-ils pas un raccordement que nous paierons ? Je loue régulièrement des voitures pour m'approvisionner en eau. Qu'avons-nous fait à l'Etat tunisien pour qu'il nous traite ainsi ? ». Autre phénomène directement lié à la soif : l'exode rural. Une habitante a supplié les autorités locales d'installer un raccordement qui permettra aux habitants d'avoir l'eau courante chez eux. Elle a déclaré : « A Raoued et Bhar Lazreg des raccordements ont été installés, pourquoi pas ici ? Nos enfants ont-ils moins de valeur que ceux qui habitent dans le Grand-Tunis ? Nous n'avons ni de quoi boire, ni de quoi nous laver, ni de quoi faire nos lessives et nos besoins les plus primaires. Le gouvernement nous traite comme des sous-hommes ». Il est utile de rappeler que dans la région de Béja le problème n'est pas le manque d'eau mais sa distribution, comme l'a expliqué le président d'une association militant pour l'accès à l'eau dans la région : « Le problème est un problème d'infrastructure d'alimentation en eau, c'est un problème de raccordement qui est défaillant, car l'eau est disponible mais n'est pas raccordée ».Il a également fait état de la dilapidation des deniers publics pourtant consacrés à la résolution de ce problème : « Tous ceux qui sont venus faire des études sur le sujet ont lâché l'affaire, prés de 500 millions de dinars ont été dilapidés sans qu'il n'y est, ne serait-ce, qu'un début d'amélioration. Si ce chantier venait à voir le jour,nous serons tranquilles pour 100 ans ».
Saâd Seddik, le ministre sortant de l'Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche a, dans plusieurs interventions, fait état de la problématique de la distribution de l'eau. Le 17 août 2016, pour évoquer les problèmes d'eau potable en Tunisie, le ministre a expliqué que nous avions opté pour le choix stratégique de la désalinisation de l'eau de mer par le biais de stations dédiées à cet effet pour éviter « la catastrophe ». Des moyens non conventionnels pour alléger la pression sur les nappes du centre car la Tunisie est en dessous du seuil de pénurie hydraulique, selon les termes employés par le ministre. Ainsi à Djerba, la station de désalinisation entrera en cours d'exploitation au cours du premier trimestre de 2017 en plus d'une autre station à Gabès d'une capacité de 50 mille m3 etqui pourra atteindre les 75 mille m3. Il a également évoqué une station à Sfax d'une capacité de 100 mille m3 extensible jusqu'à 200 mille m3.
Dans une autre intervention datant du 24 août 2016, M. Seddik annonce que si le déficit pluviométrique se poursuivait, il faudrait s'orienter vers la rationalisation de la consommation de l'eau d'irrigation, une solution qui entrera en vigueur d'ici la fin du mois de septembre. Puis face à la gravité de la situation, le ministre a finalement annoncé que le ministère de l'Agriculture sera amené à revoir ses priorités en termes d'irrigation en révisant à la baisse la quantité d'eau destinée à l'irrigation, spécialement pour les productions qu'il qualifie de non stratégiques.
La catastrophe hydrique semble donc à nos portes et la SONEDE s'en est aperçue. Le 8 août 2016, l'institution publique a décidé d'augmenter les tarifications du prix de l'eau. Ses tarifs ont été publiés au JORT N°44 du 31 mai 2016 et indiquent que pour les ménages la hausse du prix est comprise entre 11% et 30%. Pour le secteur touristique, cette hausse est de 10.5%. La politique d'austérité annoncée est donc, d'ores et déjà, appliquée.
Samir Taïeb, nouveau ministre de l'Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche dans le gouvernement d'union nationale a donc des défis colossaux à relever en plus des vives critiques dont il fait l'objet de part et d'autres. Ce sujet brûlant, s'il le prend à bras le corps, lui permettra sans doute de faire taire les mauvaises langues.