Joyeux aïd à tous. A l'actualité cette semaine, la rentrée ! Enfin ! Après quatre mois de congés officiels et officieux, entre le ramadan, les vacances estivales, la séance unique et autres aïds, la Tunisie était en somnolence tout l'été. Comme chaque été. Une des décisions fortes que pourrait prendre Youssef Chahed, c'est d'annoncer dès maintenant la suppression en 2017 du régime de la séance unique qui n'a plus lieu d'être. Cette séance unique a été instaurée lors du protectorat français parce qu'on a estimé à l'époque qu'il était impossible de travailler en temps de grosses chaleurs. C'était le cas avant, mais depuis la généralisation des climatiseurs, cet argument n'est plus valable. Paradoxalement, ce sont les administrations et les banques qui bénéficient de cette séance unique, bien que leurs bureaux soient climatisés, alors que les maçons, agents de circulation, les travailleurs municipaux ou les ouvriers de chantiers continuent à travailler toute la journée, y compris à mi-journée, à l'heure du pic de la chaleur.
Le chef du gouvernement aura-t-il le courage d'annoncer la fin de cet acquis social vieux de plusieurs décennies en opposant un argument de taille : la nécessité de productivité en cette période de crise économique ? Le doute est permis et le rêve aussi.
C'est donc la rentrée et elle a démarré sur les chapeaux de roue avec Moncef Marzouki. L'ancien président de la République a une nouvelle fois fait le pitre, joué la victime et pleurniché sur les ondes. Et encore une fois, il a réussi à trouver un écho favorable. Faut-il lui donner plus d'intérêt qu'il n'en mérite ? L'ignorer est, à mon avis, la meilleure chose qu'on pourrait offrir à son pays. Ce n'était pas l'avis d'Attessia et ils l'ont payé cher. Ça leur servira de leçon, quand on invite n'importe qui, il ne faut pas s'étonner de récolter du n'importe quoi. Juste après la polémique Marzouki et sa censure hypothétique, un scandale a été déclenché à Nidaa, parti au pouvoir. Etouffé et quasiment passé sous silence celui-là.
L'odeur du scandale a commencé le mercredi 14 septembre avec l'annonce d'une pétition signée par 38 députés de Nidaa appelant à la mise en place d'élections pour élire un nouveau président du bloc parlementaire. Objectif : éjecter Sofiène Toubel dont les prestations sont bien insatisfaisantes. Sofiène Toubel qui, rappelons-le, est parti faire le pèlerinage à La Mecque, alors que la période ne peut en aucun cas lui permettre cette absence. Pour justifier sa position, le député Nidaa, Taher Battikh, a déclaré jeudi 15 septembre chez Mehdi Kettou et Sofiène Ben Hamida, sur Express FM, qu'il y a des ingérences externes dans le travail du bloc parlementaire de la part d'hommes d'affaires corrompus. Il précise qu'il y aurait entre 10 et 15 députés qui prennent leurs ordres du dehors du parti. M. Toubel en ferait partie et il serait même leur chef, d'après M. Battikh. « Les agissements de ce groupe ont des incidences négatives sur le fonctionnement du parti et de ses réunions, dit-il. C'est pour cela que nous vivons une crise au sein du bloc et du parti et je le reconnais ».
Le lendemain, chez Boubaker Akacha sur Mosaïque FM, Taher Battikh enfonce le clou. Les hommes d'affaires en question seraient membres de Nidaa mais n'appartenant pas à ses structures. N'empêche, ces hommes d'affaires réussissent à se faire obéir par les députés de Nidaa. Du coup, et toujours d'après les propos de M. Battikh, c'est le bloc parlementaire qui domine le parti et non plus le parti qui domine le bloc. Confronté à Sofiène Toubel sur l'antenne de Mosaïque, M. Battikh persiste et signe et parle de soirées ramadanesques chez ces hommes d'affaires et de distribution d'argent dans les régions et aux députés. Il lui rappelle même qu'ils se sont rencontrés tous les deux chez un homme d'affaires et qu'il lui a dit en face ce qu'il en pense !
Quand on sait que Taher Battikh est à la fois député, maître de conférences à l'université et conseiller du président de la République, on est en droit de supposer que ses propos ne soient pas légers. Et quand il parle d'hommes d'affaires corrompus qui s'ingèrent dans le travail du bloc parlementaire, on est en droit de s'arrêter un moment et d'attendre une réaction officielle du président de l'Assemblée et/ou du procureur de la République. C'est ainsi que fonctionne une démocratie normalement constituée. L'affaire a été rapidement étouffée et n'a pas dépassé les ondes des radios Express FM et Mosaïque FM. Rares sont les personnes qui ont rebondi sur ce qui aurait dû être LE scandale de la rentrée par lequel s'ouvrent les 20-Heures et autour duquel s'organisent les débats télévisés.
Ce n'est pas la première fois qu'un haut cadre de parti ou d'une institution de l'Etat parle de corruption, sans qu'il y ait de réaction, ni même de polémique. Jamel Tlili a précédemment parlé de la corruption de Slim Riahi, président de l'UPL (5ème bloc parlementaire) sans qu'il y ait de réaction. L'UPL suspecte son ancien secrétaire général et l'ancien ministre Hatem El Euchi, d'être mêlé à une affaire de corruption, sans qu'il y ait de réaction. Plusieurs membres actuels et anciens de l'IVD ont parlé des malversations de leur présidente Sihem Ben Sedrine, sans qu'il y ait de réaction ! A vrai dire, les seules réactions qu'il y a sont de nature opportuniste où l'on cherche plus à marquer des points politiques que d'en finir réellement avec la corruption. C'est le cas de Samia Abbou, pour ne citer qu'elle puisque son parti se positionne en chantre de la lutte anti-corruption. Elle a bien réagi sur le scandale dévoilé par Taher Battikh, mais elle n'a jamais rebondi sur ceux de Sihem Ben Sedrine ou de Slim Riahi. En clair, la corruption est non seulement devenue habituelle et étendue, mais on l'exploite en plus pour marquer des points et abattre des adversaires précis, tout en ménageant, au même moment, les « corrompus amis ». Et gare à vous si vous les critiquez ! On vous accusera à votre tour (en tant que média) de manger votre petit pain chez les annonceurs (sous-entendu corrupteurs) ! Avant, on moquait les faux militants salariés des organismes étrangers en disant : « A combien le kilo de militantisme ? ». Désormais, on pourra moquer les députés en leur disant « à combien s'achète le kilo de lois ? », tout en moquant leurs adversaires politiques : « combien rapporte le kilo de lutte anti-corruption ? ».
On voulait tourner la page du passé avec l'IVD et c'est l'IVD qui est suspectée. On voulait entamer une nouvelle page politique propre, mais les nouveaux partis sont suspectés. On voulait mettre en place un nouveau système et de nouvelles lois pour en finir, mais ce sont les députés qui sont désormais accusés par leurs propres camarades du même camp ! A ce niveau hiérarchique de l'Etat, l'Assemblée en l'occurrence, la corruption n'est plus seulement endémique dans le pays, elle devient institutionnelle !