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A la croisée des rivalités de puissance, le peuple algérien est-il maître de son destin ?
Publié dans Business News le 26 - 11 - 2019

Les événements en cours en Algérie, inédits du fait de leur ampleur, sont appelés à dessiner les contours de l'Algérie de demain et à reconfigurer les scènes maghrébine, méditerranéenne et sahélienne. A l'approche des élections présidentielles du 12 décembre 2019, l'Algérie est dans l'impasse. Deux forces s'opposent : l'Etat-Major de l'armée incarné par le Général Gaid Salah attaché à la tenue des élections et le Hirak ou la Rue manifestant depuis 40 semaines, refusant ces élections et appelant au démantèlement total du système hérité de l'indépendance du pays. Les tensions sont fortes avec un risque sérieux d'embrasement du fait d'une étincelle non maîtrisée. Plus l'impasse dure, plus le risque de déstabilisation de l'Algérie s'accroît du fait d'acteurs locaux et du jeu de puissances extérieures.

Une fine compréhension des dynamiques à l'œuvre s'impose afin de ne pas se laisser abuser par l'intensité du flux d'informations et l'accélération continue des évènements révélant une véritable rupture dans le cours de l'histoire de l'Algérie et de la région. Nul doute qu'il y aura un avant et un après le 22 février 2019. Les contours de cet après s'esquissent progressivement, depuis 9 mois, sous nos yeux avec leur part d'ombre et de lumière, de réalité et de manipulation, de jeu complexe des acteurs internes et externes, etc. La forte volatilité et l'incertitude croissante déroutent analystes et stratégistes, y compris les plus aguerris. Néanmoins, un regard géopolitique permettant de prendre de la hauteur et de remettre en perspective les événements et les enjeux s'impose plus que jamais.

Contexte Géopolitique en effervescence et retour des logiques de puissance : l'Algérie ciblée !
Le monde d'aujourd'hui est caractérisé par une nouvelle fluidité bousculant l'ensemble des repères traditionnels. Loin de la fin de l'Histoire prônée par Fukuyama, nous assistons à une accélération de l'histoire. Ce monde en transition est marqué par une instabilité et une imprévisibilité accrues générant des risques de conflits et d'escalade élevés[1]. La mondialisation, de plus en plus contestée, a fait voler en éclat les « amortisseurs de chocs » qui permettaient une certaine régulation du monde. Nous subissons de plein fouet une évolution stratégique majeure : le dérèglement du système international avec l'apparition d'ordres ou de désordres alternatifs. Dans ce contexte, nous assistons à un retour des logiques de puissance avec exacerbation des rivalités entre les puissances occidentales visant à maintenir les Etats-Unis en tant que moteur de la transformation du monde à leur image suivant le concept de « destinée manifeste » et les forces émergentes œuvrant à l'avènement d'un monde multipolaire (Chine, Russie, Inde, Iran, Turquie, Venezuela, etc.). La future structuration des forces au sein du triangle stratégique composé par les Etats-Unis, la Chine et la Russie dessinera le monde de demain encore en gestation. En effet, c'est autour de ce triangle stratégique que les rapports de force et les équilibres de puissance se construisent.
A ce stade, trois observations s'imposent :
1- Aujourd'hui, conscients de la véritable menace, les Etats-Unis mettent en place une stratégie destinée à contenir, voire briser la montée en puissance de la Chine, jugée l'adversaire prioritaire à l'horizon de deux ou trois décennies. Lors du XIXème congrès du PCC, Xi Jinping rompt avec la prudence coutumière chinoise, trace des lignes rouges et fixe une orientation : la Chine doit se hisser au premier rang mondial à l'horizon 2049, année du centenaire de la RPC. C'est une gouvernance alternative à l'universalisme occidental que la Chine entend développer et proposer au monde.
Or, selon les stratèges américains, si la Chine se hisse au tout premier rang des puissances, par la combinaison de sa croissance économique et de son indépendance géopolitique et militaire, tout en conservant son modèle confucéen à l'abri des manœuvres subversives occidentales, alors la suprématie des Etats-Unis sera décisivement affaiblie. Dans ce contexte, la guerre commerciale masquant l'enjeu réel de la lutte, la suprématie technologique, la guerre humanitaire (ingérence humanitaire puis responsabilité de protéger), la stratégie subversive d'ingérence démocratique visant Hong Kong et accessoirement Taiwan, les futures pressions environnementales et la guerre contre le terrorisme islamiste constituent les nouveaux axes d'intervention servant à masquer les buts réels de la grande guerre eurasiatique : « la Chine comme cible, la Russie comme condition pour emporter la bataille ». En effet, suivant la logique d'un billard à trois bandes, la Chine comme cible car elle seule est en mesure de dépasser l'Amérique dans l'ordre de la puissance matérielle (économique et militaire) à l'horizon de trente ans. La Russie comme condition car de son orientation stratégique découlera largement l'organisation du monde de demain : unipolaire ou multipolaire.
La montée des tensions en Europe de l'Est, au Moyen-Orient, en Asie Centrale, en Asie du Sud-Est et en Afrique, c'est-à-dire le long des lignes de frictions séparant les sphères d'influence de ces trois pôles de puissance, révèle que la bataille est engagée. Plus précisément, cette rivalité de puissance a pour objet le contrôle de ce que le célèbre géopoliticien américain John Spykman avait qualifié de Rimland, c'est-à-dire les rivages du continent eurasiatique. La thèse formulée dans l'ouvrage « The Geography of the Peace » en 1944 est résumée par la formule suivante : « qui contrôle le Rimland domine l'Eurasie. Qui domine l'Eurasie contrôle les destinées du monde ».
[2]
Suivant la pensée développée conjointement avec M. Kais Daly, ce Rimland pourrait être subdivisé en deux espaces : l'Inner Rimland classique : Europe, Asie centrale et Chine et un Outer Rimland allant du Maroc aux Philippines permettant la prise à revers de l'Inner Rimland. Dans la même optique du jeu de Go s'inscrivant dans le temps long, Pékin, en renforçant sa présence via le projet BRI des routes de la Soie au Maroc, en Algérie, en Egypte (donc en Afrique du Nord et au Maghreb) et en Afrique de l'Est, aspirerait à consolider son influence sur l'Outer Rimland. La contre-manœuvre est déjà enclenchée avec pour objectif de déstabiliser des Etats ou régions jugées centrales par Pékin dans le cadre du projet BRI : Algérie et Egypte en Afrique du Nord, Sahel africain, Afrique de l'Est et de l'Ouest, Moyen-Orient (Irak, Iran, etc.), périphérie chinoise, etc.
Ainsi, la bataille est engagée non seulement le long du Rimland classique mais également au sein de l'Outer Rimland reliant l'Afrique du Nord, le Sahel africain, l'Afrique de l'Est aux Philippines. Le renforcement significatif des positions chinoises et russes au sein de ces espaces exacerbent la nervosité des Etats-Unis et de certaines puissances occidentales aspirant à entraver cette manœuvre stratégique. A leur tour, ces puissances entament des manœuvres classiques d'influence, d'encerclement et de contre-encerclement afin de contrer les manœuvres de ces puissances rivales, voire les évincer de ces espaces hautement stratégiques. Sur cet échiquier, l'Algérie constitue une pièce maîtresse ;
2- L'interview accordée par le Président Macron le 7 novembre 2019 au journal The Economist prend dès lors tout son sens : au sein de ce triangle stratégique, l'Union Européenne et la France risquent d'être reléguées au rang de simple périphérie marginalisée du continent eurasiatique. Les propos du président français ne laissaient aucune place au doute : « L'UE est au bord du précipice, confrontée à une fragilité extraordinaire, l'UE risque de perdre le contrôle de sa destinée et de disparaître géopolitiquement ». Des termes forts appelant à un sursaut, à savoir la mise en place d'une Europe puissance, une Europe de la Défense, seule voie, conjuguée à un rapprochement avec la Russie, en mesure de conférer à l'Europe une autonomie stratégique et une liberté d'action lui permettant de peser dans le monde de demain. Le président Macron doit probablement être conscient de la rivalité croissante opposant certains Etats européens aux Etats-Unis quant à l'accès aux richesses maghrébines et africaines et de la stratégie des Etats-Unis visant à affaiblir l'Europe et à la confiner au rôle de vassal. Cette stratégie repose principalement sur deux axes : attiser la menace russe afin de diviser les Européens quant à la posture à adopter à l'égard de la Russie et entraver tout rapprochement entre France-Allemagne-Russie. Cette stratégie est appuyée par la Grande-Bretagne ayant, via le Brexit, renoué avec le grand large et avec sa position naturelle inhérente à son insularité : diviser le continent européen ; déstabiliser le flanc sud de l'Europe, l'espace maghrébin et sahélien, en multipliant les foyers de tension. L'Europe est ainsi prise en tenaille et ne peut s'affranchir de la tutelle sécuritaire américaine. Même si elle obéit à des contingences intérieures fortes, l'issue de la crise algérienne s'inscrit dès lors dans cette dynamique ;

3- Le Brexit, l'élection du Président Donald Trump aux Etats-Unis, la montée des extrêmes droites, notamment en Europe, le réveil des peuples et l'avènement des mouvements dits populistes, etc. révèlent une nouvelle tectonique des plaques et une remise en cause du modèle dominant : la mondialisation. L'individu, dilué et ayant perdu ses repères, aspire à retrouver les fondements de son identité. Le rejet de « l'Autre » n'est que la manifestation de la résurgence de cette quête et du retour en force de l'identitaire. Dans ce contexte, la globalisation, bousculée et remise en cause, se grippe et piétine. « La fin de l'histoire » fait place à un retour en force de l'histoire, de la géographie, de l'Homme, bref de la géopolitique du local. Ainsi, le système-monde, notamment l'universalisme occidental, est confronté à une crise de la démocratie avec une révolte des peuples profonds contre les systèmes profonds.
Cette globalisation a en effet suscité un système profond propre, hors sol, déterritorialisé, transversal, puissant qui s'est affranchi des règles et des projets collectifs, nationaux pour promouvoir ce qui unit entre eux de multiples acteurs transversaux, le pouvoir et l'argent. Ce système, du fait de sa structure et de sa finalité n'a pas hésité à composer avec les systèmes mafieux et les organisations criminelles. En réaction, les peuples exercent une pression sur leurs gouvernants afin que leur soit accordée une priorité croissante dans la conduite des affaires de la « cité ». Les dirigeants se retrouvent sommés de prendre parti pour les peuples profonds contre les systèmes qui transgressaient leurs intérêts. Cette dynamique géopolitique de fond participe à l'explication du phénomène des « gilets jaunes » en France, de la montée des mouvements populistes à l'échelle planétaire et à la révolte du peuple algérien réclamant non pas simplement le départ du président Bouteflika et de son clan mais le démantèlement de l'ensemble du système algérien hérité de la guerre de libération et l'avènement d'une seconde République. Ainsi, s'ils ne sont pas associés au processus décisionnel, les peuples profonds sont disposés à « renverser la table » et à déclencher ce que certains analystes ont qualifié de « guerre civile mondiale ».
Depuis début 2019, cette dynamique de fond connaît une accélération fulgurante ne pouvant être considérée comme neutre. En effet, même s'ils obéissent à des contingences intérieures marquées par de nombreux points communs, notamment un terreau fertile prêt à l'embrasement, une nouvelle vague de soulèvements, rappelant « le printemps arabe » de l'année 2011, est enclenchée : Soudan, Algérie, Venezuela, Egypte, Irak, Koweït, Bolivie, nombreux pays d'Amérique Latine, Iran, etc. L'élan semble irrésistible. Cette dynamique affectant des pays du voisinage de la Tunisie ne peut être comprise dans sa complexité sans une analyse fine de la stratégie des Etats-Unis et de la lutte féroce, sur fond d'élections en 2020, opposant le Président Trump à l'establishment ou Etat profond américain. En dépit de l'intelligence du peuple algérien et de son profond attachement à sa souveraineté, le sort de l'Algérie se joue en partie ailleurs, notamment à Washington.
La bataille est engagée….
En effet, les Etats-Unis ont opéré un redéploiement géopolitique sur l'espace eurasiatique et se heurtent de plein fouet aux puissances continentales russe et chinoise qui, pour leur part, renforcent significativement l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), l'Union Eurasiatique et le projet titanesque des nouvelles routes de la Soie chinoises, dit BRI (Belt and Road Initiative). Le renforcement de la présence militaire américaine en Afghanistan rompant avec une promesse de campagne du président américain Trump et la doctrine Obama témoigne de la volonté de peser sur les périphéries russes et chinoises en reprenant pied au cœur de l'Eurasie. Elle révèle également le poids des inerties américaines portées par des Think Tanks et l'establishment washingtonien auquel se heurte le président américain. Il en est de même quant au rapprochement avec la Russie initialement érigé en pilier lors de sa campagne électorale. S'appuyant sur les réflexions d'Henry Kissinger, la manœuvre subtile consistait à entraver le rapprochement entre Pékin et Moscou en orientant le balancier russe vers l'Europe. « Russiagate », procédure d'impeachment, perspectives électorales ont contraint le président Trump à des compris, à « arrondir les angles » et à ne pas entrer en bataille frontale contre l'Etat profond et ses relais néoconservateurs. Ces derniers, conscients du timing et de la faible marge de manœuvre du président Trump, ont initié, à la faveur de contingences locales favorables et suivant une mécanique bien rodée et éprouvée en Europe de l'Est (révolutions de couleur) et lors du dit « printemps arabe », une offensive visant principalement la zone MENA, les périphéries russes et chinoises, le bassin des Caraïbes (Coup d'Etat militaire en Bolivie, Venezuela, etc.) et certains pays d'Amérique Latine jugés récalcitrants. Les partisans de cette offensive jugent que les Etats-Unis ont les moyens militaires et économiques à même de leur permettre de contenir à la fois la Russie et la puissance chinoise. Certes, l'approche se doit d'être plus « soft » et présentable que la manœuvre employée en Ukraine marquée par le recours à des néo-nazis. L'objectif demeure néanmoins le même : semer le chaos, briser des Etats et déstabiliser des régions afin de s'assurer l'accès aux ressources stratégiques et évincer les puissances rivales tout en les contenant.
Par voie de conséquence, en dépit d'une méfiance réciproque prenant racine dans le temps long de l'histoire, cette arrogance occidentale a précipité le balancier stratégique russe vers Pékin. Apaisement aux frontières, multiplication des visites officielles, partenariat stratégique entre la Russie et la Chine, manœuvres militaires communes d'ampleur, y compris en mer Méditerranée et en mer Baltique, signature d'accords économiques (principalement dans le domaine énergétique), imbrication plus nette de leurs projets régionaux (BRI routes de la soie, Union Economique Eurasiatique, projets de train à grande vitesse reliant Pékin à Moscou, etc.) constituent autant de marqueurs du tropisme de Moscou pour Pékin : le basculement de la Russie vers l'Est est amorcé.
En effet, Moscou et Pékin pourraient amorcer une manœuvre stratégique d'ordre tactique obéissant à une répartition des rôles combinant investissements économiques, infrastructures et bases militaires constituant un bloc Afrique de l'Est (base de Djibouti, Chine ; Somaliland Russie), RCA, Tchad, Soudan du Nord (Russie), Egypte (bases russes) et Cyrénaïque en Libye s'étendant au Burkina Faso opposé à un bloc sous influence occidentale à l'ouest (Mauritanie, Mali, Niger, Tripolitaine libyenne, Burkina Faso, etc.). La partition de la Libye serait actée. Dès lors, l'Algérie constitue l'enjeu de taille à la charnière de ces deux blocs brisant en deux l'Afrique du Nord et balkanisant le Sahel africain.
Le paradigme dominant de la géopolitique mondiale : la fragmentation d'Etats pivots
Thomas Barnett, disciple de l'Amiral Arthur Cebrowski, affirmait dès 2003 que pour maintenir leur hégémonie sur le monde, les Etats-Unis devaient « faire leur part du feu », c'est-à-dire le diviser en deux. D'un côté, des Etats stables ou « integrated states »(les membres du G8 et leurs alliés) et de l'autre le reste du monde considéré comme un simple réservoir de ressources naturelles. À la différence de ses prédécesseurs, il ne considérait plus l'accès à ces ressources comme vital pour Washington, mais prétendait qu'elles ne seraient accessibles aux Etats stables et rivaux qu'en passant par les services des armées états-uniennes. Dès lors, il convenait de détruire systématiquement toutes les structures étatiques dans ce réservoir de ressources, de sorte que personne ne puisse un jour ni s'opposer à la volonté de Washington, ni traiter directement avec des Etats stables.

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C'est un bouleversement profond de la pensée stratégique américaine trouvant son application et sa mise en œuvre depuis la Somalie, l'Afghanistan en 2001 en passant par l'Irak, la Libye, la Syrie, le Yémen, le Venezuela et la Bolivie aujourd'hui. Il semble que l'opération s'étend désormais à l'Algérie en dépit de la tentative de rapprochement opérée par les autorités algériennes avec les Majors américaines et autres. Probablement trop tardivement, l'Algérie sauvegardant une indépendance et autonomie stratégique lui étant préjudiciable au regard de ces centres de décision principalement américains : rapprochement notable avec la Russie, la Chine dans le cadre du projet BRI, l'Iran, condamnation de l'opération visant à démanteler l'Etat syrien, refus d'intégrer la coalition contre le Yémen et l'Alliance Stratégique au Moyen-Orient tournée contre l'Iran (OTAN arabe) , position à l'égard du dossier palestinien et l'enjeu de Jérusalem, réimplantation d'Israël sur son flanc sud, notamment au Tchad et au Mali, etc. Autant de postures diplomatiques et militaires traduisant une autonomie stratégique inconciliable avec les objectifs poursuivis par les tenants de la théorie de Barnett. Dès lors, il convient de briser les structures étatiques algériennes afin d'en prendre le contrôle et d'opérer à terme des deals avec les puissances rivales, notamment russe et chinoise. En effet, suivant la pensée de Barnett, il convient de se resituer dans une néo conférence de Berlin avec des deals et des partages entre grandes puissances de zones abritant des ressources stratégiques dans le cadre d'émiettement et de fragmentation d'Etats et de régions. A l'échelle du Maghreb, la Libye illustre parfaitement depuis huit ans cet état de fait.
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Pour autant, pour le président Trump incarnant une frange du Pentagone et des Républicains hostiles à la doctrine Barnett, les Etats-Unis, fidèles au jacksonisme, doivent rompre avec cette stratégie du « chaos constructif » généralisé. Cette stratégie s'est révélée contre-productive et coûteuse, y compris pour les Etats-Unis. Certes, dans le cadre de deals et de négociations avec la Chine et la Russie, la déstabilisation d'Etats pivots peut s'avérer utile et conférer une marge de négociation. Certes, face à la montée en puissance militaire de la Chine et le saut qualitatif opéré par la Russie (armes hypersoniques, etc.), la sortie du traité INF et le positionnement de missiles à portée intermédiaire ciblant les deux pays s'inscrit dans une logique de pression, de réassurance et de la conscience du caractère toujours temporaire et révocable d'un deal. Néanmoins, le paradigme dominant auquel aspire le président Trump repose sur « une logique de deal entre gentleman ». Ces derniers, opérant par ententes, négocieraient, à l'image des évènements en cours en Syrie, stabiliseraient, se redéploieraient sur leurs sphères d'influence respectives : c'est le retour du patriotisme et des Grands Etats Nations.

Dans ce contexte, le Président Trump n'aspirerait pas à la mise en œuvre de la doctrine Barnett en Algérie aboutissant à une situation semblable à la Syrie. Appuyant l'élection du 12 décembre 2019, il s'agirait de permettre à l'armée (Etat-major), réelle détentrice du pouvoir en Algérie, de retrouver sa place naturelle de décideur masqué, à l'abri d'une démocratie de façade acquise aux Etats-Unis. Tout en permettant au système d'assurer sa mutation et sa survie, l'objectif du président Trump serait d'initier en Algérie un changement d'alliance engendrant le basculement de l'Algérie dans l'orbite des Etats-Unis. Dès lors, en cas de succès, cette dynamique marquerait une rupture majeure redessinant la géopolitique maghrébine ou nord-africaine. France, Chine, Russie, etc. seraient pris de vitesse et contraints à négocier aux conditions fixées par les Etats-Unis. En ce sens, une veille stratégique décelant les signaux faibles et permettant l'identification de l'homme fort qui contrôlera l'armée algérienne permettra de déceler laquelle des thèses, doctrine Trump ou doctrine Barnett, l'a emporté en Algérie. L'avenir de l'Algérie, la personnalité stratégique du Maghreb et du Sahel, les équilibres de force dans la région et la sécurité nationale tunisienne sont en jeu.
En définitive, c'est dans ce contexte stratégique complexe, volatile et en constante évolution qu'il convient d'analyser les événements en cours en Algérie appelés à marquer une rupture majeure dans le cours de l'histoire de ce pays, pivot du Maghreb central et de son flanc sud sahélien. Il convient d'ajouter à cette analyse géopolitique des enjeux énergétiques avec prise de contrôle de ressources stratégiques aux dépens de la puissance rivale. Certes, l'Algérie, selon les projections de l'AIE, voit ses réserves pétrolières et gazières diminuer mais c'est sans tenir compte des considérables réserves en gaz et pétrole de schiste l'érigeant, à ce stade des prospections, au troisième rang mondial derrière la Chine et l'Argentine. La carte ci-dessous en constitue une illustration flagrante révélant l'ampleur des roches mères en Libye et en Algérie.

D'ores et déjà, ExxonMobil, BP et d'autres Majors tentent, via une révision de la loi et des négociations avec la Sonatrach, de se positionner sur la scène algérienne et de peser sur les futures orientations algériennes en matière d'exploitation de ces ressources face à un retour en force de la Russie en Méditerranée et en Algérie et surtout face à l'ancrage de la puissance chinoise. En effet, la manœuvre initiée au Moyen-Orient visant, via la guerre des oléoducs et gazoducs, à contourner les pipelines russes quant à l'approvisionnement de l'Europe s'étend au Maghreb. Ce fut le cas avec la Libye et il semble que la manœuvre englobe désormais l'Algérie afin d'entraver tout rapprochement avec la Russie et la Chine et mieux contrôler l'approvisionnement en gaz de l'Europe depuis son flanc sud en court-circuitant la Russie.
Dans ce « monde rétréci », une secousse, même lointaine, ne peut plus être ignorée par les autorités tunisiennes. Que dire d'un tremblement de terre à l'instar d'une déstabilisation de l'Algérie à notre frontière Ouest conjuguée au chaos libyen à notre frontière Est ? Partons d'un postulat : la stabilité de la Tunisie et la pérennité du processus démocratique tunisien sont étroitement corrélés à la stabilité de l'Algérie : « les événements en cours en Algérie représentent une question de vie ou de mort non pas simplement pour le peuple algérien frère et l'Algérie mais pour le peuple tunisien et la Tunisie plus globalement ».
« Quand il est urgent, il est déjà trop tard »
Afin d'anticiper l'évolution future de la scène algérienne et ne pas subir les événements, les autorités tunisiennes doivent œuvrer à la mise en place d'un système Vigie décelant les signaux faibles et dessinant les tendances lourdes émergeant afin de positionner la Tunisie au mieux de ses intérêts stratégiques et éviter des discours hâtifs, des prises de position mal calculées et des orientations diplomatiques et militaires pouvant être mal comprises par certains Algériens jouant leur survie et « ayant le doigt sur la gâchette ».
Mehdi Taje
Expert senior international en géopolitique et en prospective
Directeur de Global Prospect Intelligence

[1]Voir La revue stratégique de défense et de sécurité nationale française rendue publique le 13 octobre 2017 visant à actualiser le Livre Blanc de 2013.
[2]Source : http://www.frederic-poncet.com/spip.php?article119
[3] Cours de géopolitique de M. Taje, année 2019-2020.


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