Hier, lundi 23 janvier, la Tunisie a vécu une journée des plus sombres de sa nouvelle ère révolutionnaire. En un jour, plusieurs atteintes aux libertés ont indigné les Tunisiens. Tout a commencé avec le procès intenté à la chaîne TV Nessma et à son représentant légal, Nabil Karoui, pour avoir programmé le film Persepolis, et ses deux scènes supposées avoir personnifié le divin. Au delà de sa portée identitaire, c'est clairement un procès politique et le premier procès à l'encontre de la liberté d'expression de l'ère post Ben Ali. Ennahdha serait-elle en train d'installer une nouvelle dictature et une censure systématique de toute information qui ne lui conviendrait pas ? A la sortie du tribunal, deux journalistes: Zyed Krichen et Hamadi Redissi ont été pris à parti par des défenseurs de Dieu. Le seul crime de ces deux journalistes/penseurs: leurs plumes et leurs idées qui n'accommodent pas Ennahdha et ne la caressent pas dans le sens du poil. Zyed Krichen, est le rédacteur en Chef du quotidien "El Maghreb" qui s'est illustré par ses articles critiques à l'égard des islamistes, et ses enquêtes sur le terrain dont une qui a fait couler beaucoup d'encre: La fameuse enquête sur l'émirat salafiste de la ville de Sejnane. Ajoutons à ces deux faits, l'excommunion (Takfir) du journaliste Haythem Mekki par le président de l'Association tunisienne des sciences coraniques (proche d'Ennahdha) et son limogeage de la chaine Nationale, El Wataniya 1. Un limogeage à cause de ses rubriques satiriques sur Mosaique FM et à ses statuts moqueurs sur sa page facebook où il laisse libre cours à son sarcasme pour critiquer le discours populiste des islamistes et la bêtise de leur régiment de partisans inconditionnels sur facebook, en fait le bras armé du mouvement. L'idée perçue jusqu'ici est qu'Ennahdha a du mal à contrôler ses masses, et que les cadres du parti étaient vraiment dans la modération. Mais comment veut-on contrôler les bases du mouvement lorsque les discours tenus par ces cadres les galvanisent et justifient leurs actes. Avons nous oublié si rapidement le discours du 6éme califat du Premier ministre actuel Hammadi Jebali ? Ou la vidéo du ministre de l'Enseignement supérieur Moncef Ben Salem qui a traité Bourguiba, le Combattant Suprême, de sioniste pour avoir été l'artisan du Code du statut personnel à l'instigation de la France et d'Israël. Ces derniers temps, les islamistes de tous bords, qu'ils se réclament d'Ennahdha ou des salafistes d'Ettahrir sont passés à la vitesse supérieure. Cela avait commencé avec les dénigrements des démocrates sur Internet, puis par des batailles rangées où Ennahdha mobilise des contre manifestants en masse à chaque occasion où une protestation est organisée contre une mesure du gouvernement ou de l'Assemblée constituante. Aujourd'hui, la provocation est montée d'un cran, on est passé à l'étape de l'agression physique et de la violence. Aujourd'hui on a eu droit à un appel au Djihad, à la guerre sainte, par un représentant d'Ennahdha à l'Assemblée constituante, Sadok Chourou. Ce dernier, en session plénière télévisée, cite la 5éme sourate du Coran "La table servie (Al-Maidah)" – Verset 33: "La récompense de ceux qui font la guerre contre Allah et son Messager, et qui s'efforcent de semer la corruption sur la terre, qu'ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées la main et la jambe opposée, ou qu'ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l'ignominie ici-bas; et dans l'au-delà, il y aura pour eux un énorme châtiment ». Ainsi Mr Chourou excommunie les sit-inneurs, et autres contestataires et les compare à ceux qui font la guerre à Dieu et à son prophète. Est-ce un appel clair à la violence contre les nouveaux boucs émissaires désignés par Ennahdha: les militants du Parti communiste des ouvriers de Tunisie ainsi que les syndicalistes de Redeyef et d'ailleurs? Le jour même, des militants du PCOT se sont fait agressés à Sousse par des salafistes… coïncidence ? La mort de Yahya Sahbéni, militant nationaliste d'El Watad à Sejnane était-ce vraiment un suicide ? Tout ce remue-ménage se passe sous le regard complaisant des deux "leaders démocrates" employés à plein temps pour légitimer Ennahdha: J'ai nommé M. le Président de la République Moncef Marzouki, qui comme à son habitude, n'a pas mâché ses mots pour nous sortir une nouvelle pitrerie. M. Marzouki n'hésite pas à mettre de l'huile sur le feu en accusant les "hordes de l'extrême gauche" d'être à la base des revendications sociales et de la situation instable en Tunisie. De même, notre autre président, M. Mostapha Ben Jaafar, président de l'Assemblée constituante est connu pour son laxisme légendaire. Il n'en sort que pour attaquer le clan progressiste. Dernier exemple en date, lui qui se sent obligé de commenter toutes les interventions des députés à l'Assemblée constituante, n'a pas trouvé mieux que de remercier Sadok Chourou qui a proclamé le djihad sacré contre les infidèles contestataires. Le même jour, il ne s'est pas empêché de couper le micro à Ahmed Nejib Chebbi, lors de son intervention au sujet de la situation économique et sociale du pays et sur la nécessité de voir le gouvernement prendre ses responsabilités. Les islamistes sont en train de marcher sur les traces des mollahs Iraniens, suite à la révolution de 1979. Comme en Iran, les alliés progressistes d'hier sont devenus les mécréants d'aujourd'hui. Comment peuvent-ils oublier si facilement les sacrifices faits par tous ceux qui les ont défendus du temps de Ben Ali pour qu'ils puissent regagner leurs libertés? Ceux qui les ont défendus hier et qui continuent à les défendre aujourd'hui quand leur droits sont menacés. C'est ainsi qu'on a vu le clan progressiste se démarquer de la publication d'une vidéo publiée sur internet montrant les ébats du ministre de l'Intérieur tunisien (Ennahdha) avec un de ses codétenus, lorsqu'il était emprisonné sous Ben Ali. Même, après tous les coups bas, attaques et dénigrements essuyés par le clan progressiste sur facebook par les pages de propagande d'Ennahdha, tous les progressistes sans exception se sont unis pour condamner cette vidéo. Les nahdhaouis auraient-ils fait de même ? Cela m'étonnerait. Pouvons-nous comparer ces provocations et intimidations islamistes visant à taire les voix libres et à instaurer une culture de la peur à celles de la jeunesse hitlérienne qui ont contribué à la montée du nazisme en Allemagne. Serait ce encore une fois de l'alarmisme facile et de la diabolisation gratuite des islamistes comme l'ont déclaré les politiciens occidentaux après la Révolution. Je me rappelle d'un débat que j'avais organisé avec Madame Hélène Flautre, députée européenne des Verts, qui croyait fortement à la démocratisation du courant islamiste et à leur diabolisation volontaire par tous ceux qui ont des réserves à leur encontre. Je suis curieux de connaître son avis aujourd'hui. Je suis aussi curieux de connaître celui d'Alain Juppé et celui des journalistes qui ont qualifié les islamistes tunisiens d'Ennahdha et les Egyptiens des frères musulmans de "modérés". Ils ne sont modérés que parce qu'il y'a pire qu'eux: les Salafistes et autres Wahabites fanatiques œuvrant à la restauration du califat en terre d'Islam. Devrions nous craindre un scénario à l'algérienne où les islamistes se sont radicalisés et ont choisi le langage de la violence ? Si contrairement à l'armée algérienne, l'armée tunisienne est restée en dehors des enjeux politiques, va-t-on vers un affrontement entre communistes et anarchistes d'un côté et Salafistes et Nahdhaouis de l'autre ? Quel sera alors le rôle de la police? Je suis solidaire avec mes compatriotes tunisiens qui vivent un moment difficile en ce moment. Je suis particulièrement solidaire avec les étudiants et enseignants de la faculté des sciences humaines de la Manouba sous agression salafiste depuis plusieurs semaines qui pourraient chanter : This morning I woke up in a curfew Oh god, I was a prisoner too - yeah Could not recognise the faces standing over me They were all dressed in uniforms of brutality