A vouloir tout accaparer, la troïka, conduite par le mouvement Ennahdha, risque de laisser des plumes, comme l'explique le célèbre adage « qui trop embrasse mal étreint ». Le renvoi indéfini de l'annonce d'un remaniement ministériel, annoncé depuis plusieurs mois, témoigne d'une profonde crise au sein de la coalition gouvernementale, doublée d'une crise de confiance et d'un grand malaise parmi la population. Le consensus sur la base duquel Ettakatol et le Congrès pour la République ont adhéré au gouvernement à majorité nahdhaouie s'est effrité quelques mois à peine après la mise en place problématique d'une formation ministérielle hétérogène à l'issue de moult tractations et partages d'intérêts. Ce qui explique d'ailleurs la lenteur, voire l'attentisme et l'immobilisme, dont ont fait preuve certains ministres et les démissions qui ont suivi. Dans ces tiraillements et ces calculs partisans, le grand absent se trouve être l'intérêt supérieur de la Nation que les uns et les autres ont systématiquement occulté. Aux revendications légitimes des vrais artisans de la Révolution en dignité, en liberté et en emploi, les nouveaux gouvernants ont opposé indifférence, sourde oreille, puis répressions, procès, emprisonnements et intimidations. Ainsi, les protestataires sont qualifiés de contre révolutionnaires, de partisans de l'ancien régime, les journalistes sont pris à partie et agressés, l'opposition est mise à l'index et soupçonnée de servir des agendas étrangers… c'est, semble-t-il, la raison pour laquelle personne n'a pris au sérieux l'appel d'Ennahdha à élargir la coalition. Mais toutes ces accusations cachent mal l'échec de la politique du gouvernement et les véritables intentions du parti de la majorité. Ennahdha a voulu, dès le départ, s'emparer de tous les pouvoirs. Il a cherché à isoler et à neutraliser les médias qui sont accusés d'être au service du journalisme de la honte et contre lesquels des hordes - des milices sous la fausse étiquette de ligues de protection de la Révolution - sont lâchées dans l'intention de nettoyer le secteur. Le mouvement islamiste a tenté de diaboliser plusieurs partis de l'opposition et de les exclure de la scène politique. Il a placé ses militants et ses partisans dans l'administration et dans plusieurs postes de décision… Ni le secteur de l'information, ni la magistrature et encore moins l'administration, n'ont bénéficié de réformes, urgentes du reste, à même de garantir leur autonomie, leur liberté et leur efficience. Les décrets-lois 115 et 116 relatifs à l'organisation des médias sont restés lettre morte à cause de l'absence évidente d'une volonté politique. Il en est de même de l'indépendance de la magistrature que les autorités en place maintiennent sous leur tutelle. Les syndicats de la sûreté nationale revendiquent en vain leur droit à servir la patrie en tant que forces républicaines. Jusqu'à quand ce pourrissement de la situation ? Jusqu'où iront les dirigeants d'Ennahdha dans leur entêtement à vouloir tout et à tout prix ? Il est pourtant plus simple de faire parler le bon sens, de rompre avec les visées hégémoniques, de se défaire des ministères de souveraineté - pendant qu'il est encore temps - et de restituer au dialogue et au consensus tous leurs droits. Les Tunisiennes et les Tunisiens ont perdu confiance. Ils désirent ardemment sortir de l'impasse. Ils sont avides de changement !