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La politique des étapes : préparatifs lors de l'éclipse française
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 11 - 06 - 2015


Par Khaled El Manoubi *
Dans un rapport d'août 1941 consacré au mouvement néo-destourien adressé à son ministère, note l'historien Hassine Raouf Hamza (actes du 4e séminaire sur l'histoire du mouvement national de juin 1987, p.231), le consul américain H. Doolittle considère que Bourguiba est mû par le «fanatisme religieux» et qu'il compte sur un «groupement minoritaire qui userait de pressions et de chantage» sur la population. Aussi, lorsque le même Doolittle interviendra en mai 1943 auprès des Français redevenus maîtres de la Tunisie pour régulariser la situation de Bourguiba officiellement détenu pour atteinte à la sûreté de l'Etat, ce ne peut être que les Français qui l'ont persuadé de jouer cette comédie en l'informant du dauphinat conclu par eux avec l'intéressé en 1929-30. Et l'Amérique finira par adouber formellement le bénéficiaire du choix de la France pour la Tunisie lorsque l'ambassadeur américain à Paris Brus est venu à Tunis voir Bourguiba en mars 1950 pour lui demander —et obtenir— l'exclusion du Néo-destour du communisant Sliman Ben Sliman. Sur ce point, comme sur tant d'autres, l'ouvrage sur Bourguiba de Béji Caïd Essebsi ( Habib Bourguiba, le bon grain et l'ivraie, Sud éditions, Tunis, 2009) est fort édifiant. En effet, et pour commencer notre enquête, la France —comme Bourguiba avec son plan en sept points d'avril 1950— a attendu cet adoubement de son sauveur américain pour inaugurer sa manœuvre —pour ne pas dire autre chose— politique de «l'expérience» du gouvernement Chénik - Ben Youssef. Et alors que Chénik et ses ministres sont à Paris «depuis le 30 octobre» (p.16), Bourguiba ne débarque à Paris que «le 15 décembre 1951» (p.16), jour de la remise à Chénik par Robert Schuman de sa fameuse note. Et à son arrivée à Paris, il sera vu le 15 par Max Zetlaoui, le 16 par Jean Lacouture et ensuite par Jacques Guérif, tous trois journalistes français (pp.17, 18, 19). En plus du vice-dauphin (depuis 1935-36) Nouira et du dauphin lui-même, Ben Salah et Wassila étaient, dès les années quarante, de la partie.
Naturellement, les inconditionnels feignent de se chamailler entre eux et avec leurs maîtres. Ainsi Hédi Nouira a «été pris à partie par (...) Ahmed Ben Salah venu spécialement de Bruxelles» (p.41).Et, une fois arrêté, le même Nouira se montre en prison face à BCE «calme et serein, presque détaché», chargeant même BCE «de rassurer les camarades (...) qu'il serait probablement libéré bientôt, faute de preuve: «c'est une zargalayounade, me disait-il» (p. 41). Ainsi, la faute n'est pas celle de la France, mais... de l'inconditionnel de Bourguiba et de Nouira, à savoir Zargalayoun! L'ouvrage en question apporte de très fortes présomptions sur la participation au dauphinat de Bourguiba Jr et de sa mère Mathilde Lorrain. On aurait pu penser que celui-là était tenu à l'écart puisqu'il n'est pas l'héritier de son père et que celle-ci était, depuis de longues années, doublée par Wassila. Mais lors de la désignation du vice-dauphin Nouira, Junior était encore gamin, et dans le choix de Bourguiba par la France le fait d'avoir une épouse française a sûrement compté. Au surplus, dans cet attelage d'un quart de siècle, la France ne pouvait pas ne pas mettre Mathilde dans le coup. Du reste, la répudiation de celle-ci, faite pour des raisons politiques évidentes par Bourguiba devenu président, n'interviendra qu'en 1958 alors que la nouvelle Moufida avait la soixantaine, tout en étant la mère de son fils et était, à ce titre, assurée de couler paisiblement ses vieux jours dans sa résidence du parc du Belvédère. En fait, Mathilde et surtout Junior ont joué un rôle actif dans le recrutement de BCE par Bourguiba dans sa future équipe, le compte à rebours ayant véritablement commencé quant à l'avènement du dauphin dès 1949.
Récapitulons: Mathilde était forcément dans le coup; le troisième personnage du ménage devait être dans le coup pour accepter sa condition: le fils de son père n'est pas, politiquement, son héritier; il doit le savoir ainsi que l'héritier Nouira; il doit renoncer, à la différence de ses futurs collègues, à tout enrichissement personnel et c'est Bourguiba lui-même qui y veillera. Du reste, les Américains ont sûrement désigné pour Ben Ali les quatre à être dans le coup : Nouira, Wassila même répudiée —pour être protégée en fait—, Ben Salah et Junior. Les trois premiers ont dû clamer dans le journal La Presse leur allégeance à Ben Ali en novembre 1987 tandis que Junior a été envoyé en mission par Ben Ali en décembre 1987 pour expliquer aux pays du Golfe le bien-fondé de la destitution de son père. Voici ce que témoigne BCE à propos de Mathilde et Junior. Celui-ci l'assure que «son père était différent (des autres dirigeants)» (p.15) et «le pousse dans la chambre de son père» (p.19), lequel l'apostrophe ainsi: «Toi, j'ai besoin de toi, tu ne bouges pas!» (p.20). Survient alors un stratagème bourguibien cousu de fil (blanc, KEM) proprement rouge: Habib fait en sorte que Béji voie de son recruteur «son tricot de corps jeté sur une chaise» pour voir qu'il «était troué et reprisé par endroits au fil rouge»(car son fond devant être blanc, KEM, p.20). BCE «se tourne aussitôt vers Habib Jr: tu n'as pas tort, ton père n'est certainement pas comme les autres»(p.20). BCE fonde cette conclusion qui «a changé le cours de (sa) vie» sur le fait que Bourguiba «reprisait ses affaires lui-même (une femme n'aurait jamais reprisé au fil rouge)» (p.20). Cela «blanchit» Mathilde. Plus même: celle-ci «voulant visiblement mettre (BCE) à l'aise, s'adresse à son mari (dénudé): « c'est le fils d'Ella Habiba!». Junior ne s'est pas contenté d'affirmer à l'adresse de BCE que son père est un être exceptionnel et de l'attirer dans l'intimité familiale, laquelle n'est rien moins qu'une «mini-suite» d'un bel hôtel parisien, le Lutécia du Boulevard Raspail (p.19). Au préalable, BCE a bénéficié de soins rapprochés. BCE affirme que lui et Junior, poursuivant «les mêmes études à la faculté de Droit» (p.14), étaient «liés». En dernière année, «ayant trop dépensé (son) temps dans les activités militantes», BCE avait «résolu de sauter la session de juin et de reporter l'examen à la session de septembre». Mais « en mai (...) Habib m'a forcé à m'y mettre, il m'a prêté les notes et les cours». Je «lui dois ce succès libératoire», dit BCE, ce qui lui a «permis de regagner Tunis dès le 15 juillet 1952». BCE a été également serré de près par un autre inconditionnel de Bourguiba, à savoir Hassan Belkhodja, bien plus fidèle que Masmoudi par ailleurs, lequel était probablement surveillé par Hassan avec l'aide des Français.
Un jour, Hassan Belkhodja rapporte à Bourguiba les conclusions d'un débat entre étudiants aboutissant «à la condamnation de l'interventionnisme américain» en Corée. Belkhodja a suffisamment informé Bourguiba pour que celui-ci apostrophe BCE en ces termes: «C'est ton idée, je te connais!» (p.21). Admiratif, BCE assiste alors au topo pro-américain de Bourguiba en présence de Jaques Guérif mais ne peut s'empêcher de noter: «l'analyse de Bourguiba n'est pas tout à fait détachée: l'intérêt qu'il porte à la situation internationale s'ordonne au fond autour de la question tunisienne» (p.23).
En fait, la question tunisienne est, pour la France, réglée dès 1929 et Bourguiba est le premier à le savoir: c'est parce qu'elle a décidé de quitter la Tunisie que le France a conclu alors le dauphinat avec Bourguiba. La phase terminale a été engagée dès que l'aval américain a été obtenu en mars 1950 et elle consistait, d'une part, à contraindre par un harcèlement total le bey à la faute politique et, d'autre part, à supprimer Farhat Hached: Ben Salah, dès l'automne 1951, était placé en embuscade à la CISL à Bruxelles pour prendre le secrétariat général de l'Ugtt dès que le bey se trouve discrédité. Il s'agit ainsi de la question du dauphinat et non de la question tunisienne. Avant 1950, Bourguiba a, dès 1945, quitté la Tunisie pour Le Caire, censé être la principal point de rencontre arabe de l'époque. Que l'on situe à 1934 —fondation du Neo-destour et désignation de Bourguiba comme secrétaire générale —ou à 1937— démission de Mahmoud El Materi de ce parti et désignation de Bourguiba comme président en remplacement du démissionnaire—, le commencement de l'histoire de «chef» qui serait celle de ce même Bourguiba, il est remarquable que jusqu'en 1955, date de l'autonomie interne, le «chef» n'a résidé en Tunisie en homme libre que le cinquième de ces deux décennies, les années 1934-1936 ayant été passées en déportation dans le Sud. Materi a, du reste, pris soin de noter dans ses mémoires que Bourguiba n'a participé qu'une seule fois à une manifestation de rue dans la capitale. Ainsi donc, et avant même la fin de la guerre, Bourguiba «est arrivé en avril»(p.319) au Caire. C'est que la période était, pour la France, creuse vu que celle-ci avait fort à faire pour restaurer sa puissance délabrée par la guerre. La France ayant, s'agissant de la Tunisie, l'esprit ailleurs pour un certain temps, elle ne pouvait ni y provoquer une répression servant de prétexte à l'arrestation de Bourguiba pour le mettre en sécurité ni faire courir trop longtemps à ce dernier le risque et de vivre comme tout le monde et de ne pouvoir faire des coups d'éclat politiques chez lui. Dans ce contexte, ce n'est peut-être pas fortuitement que Bourguiba retrouve le consul américain Doolittle au Caire où ce dernier a été muté venant du poste de Tunis. Le «chef» tunisien «fréquente l'Ambassade de France et renoue avec Hooker Doolittle(...). Ces fréquentations heurtent les autres dirigeants maghrébins»(p.319). BCE croit blanchir Bourguiba de ces soupçons en citant le message du ministre français des Affaires étrangères à l'Ambassadeur de France au Caire en date du 14 mai 1945. Dans ce message, Bidault écrit que «le leader nationaliste tunisien a quitté clandestinement la Tunisie»(p.320) et charge son ambassadeur d'intervenir auprès du consul américain Doolittle pour empêcher Bourguiba «de se joindre à San Francisco aux délégations arabes»(p.326) à l'ONU. Mais alors comment expliquer et les contacts de Bourguiba avec l'Ambassade française et le fait que celle-ci ait délivré en 1949 un laissez-passer à ce dernier lui permettant de rentrer en Tunisie? Et comme «Bourguiba, s'est effectivement rendu à New York en décembre 1946» (p.320), tout se passe comme si la France tenait à promouvoir Bourguiba tout en feignant de le traquer. Bidault n'a-t-il pas rappelé à son ambassadeur que la France avait demandé « le rappel (de Doolittle) de Tunis au gouvernement américain»(p.320). En fait, la France et les Etats-Unis sont en parfaite intelligence à partir de mai 1943. En 1949, la France a plutôt rétabli son statut de grande puissance et a demandé aux Américains d'avaliser son choix de Bourguiba: c'est pour pouvoir recevoir la visite à Tunis en mars 1950 de l'ambassadeur américain à Paris que l'ambassade française du Caire a signifié à Bourguiba l'opportunité de son retour —en toute légalité— à Tunis, d'autant que le séjour cairote n'a pas été inutile. La France et Bourguiba se méfiaient du Bureau du Maghreb arabe. Bourguiba réussira à le doubler par la constitution éphémère du Comité de libération du Maghreb arabe après l'accueil par Farouk —ce roi sensible aux suggestions anglo-franco-américaines— le 31 mai 1947 de l'émir Abdelkarim Khattabi, préalablement libéré par la France en février 1947. Abdelkarim en sera le président et Bourguiba sera le secrétaire général. Le Bureau du Maghreb arabe a, par ailleurs, sûrement pâti de la disparition dans un accident d'avion de l'entreprenant nationaliste Habib Thameur, peu apprécié par Bourguiba. Le sens de cette mission de sape s'éclaire par ce témoignage de BCE: Bourguiba, «au moment de son départ du Caire, en septembre 1949, sa conviction est faite: il (Bourguiba) avait alors tenu à revoir Azzam Pacha (le secrétaire général de la Ligue arabe) pour le prier de ne pas s'occuper de la question tunisienne», traduire la question du dauphinat français». Cet épisode, précise BCE, nous a été confirmé par Azzam Pacha lui-même en février 1965 à Djedda, à la cour du roi Faycal» (p.25). En fait, la France et Bourguiba ne veulent souffrir d'aucune interférence venue d'Orient. Et même entre Maghrébins, Bourguiba-et la France-ne veulent point d'un front uni du Maghreb: le tête-à-tête de chaque partie du Maghreb avec la France est de vigueur. Et tant que la démocratie n'aura pas gagné chacun des pays maghrébins, le «coût du non-Maghreb» (p.312) ne peut être qu'un non-sens. Une fois les hypothèques du panarabisme et de la solidarité maghrébine levées, le plan français consiste, par étapes, à faire pourrir la situation pour que le bey, au nom duquel la France gouverne la Tunisie et à qui elle doit protection, craque en se résignant à une franche collaboration.
(*) Ancien doyen et professeur émérite d'économie politique


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