La polémique continue autour de la nomination de Fethi Kharrat à la tête du Cnci Le vidéaste et réalisateur Ismaël, auteur, entre autres, du documentaire primé au FID Marseille «Babylon» et d'un essai sur «Le cinéma en Tunisie», nous répond à propos de sa position par rapport à la nomination de Fethi Kharrat à la tête du Cnci L'actualité du milieu cinématographique en Tunisie ne cesse de renvoyer aux conflits. L'impression que le fossé se creuse de plus en plus parmi les gens du métier entre l'ancienne et la nouvelle génération n'est que la partie émergente de l'iceberg, d'un milieu en mal de vision politique et de moyens. La dernière polémique en date est due à la nomination de l'ancien directeur du département cinéma au sein du ministère de la Culture, Fethi Kharrat, à la tête du Centre national du cinéma et de l'image. Nomination unilatérale et favoritisme sont entre autres ce que lui reprochent ceux qui se sont exprimés sur le sujet. Fethi Kharrat a répondu à travers les médias, dont le nôtre, et nous avons voulu donner la parole à la partie adverse. Nous avions reporté sur nos pages la conférence de presse tenue par les principales associations cinématographiques, ayant signé une lettre ouverte à l'adresse de la ministre de la Culture (http://bit.ly/1MUBaIj), et nous continuons dans cet article, en donnant la parole à une partie indépendante, représentant un modèle à part de production de films autofinancés, comme «Babylon» (2012) de Youssef Chebbi, Alaeddine Slim et Ismaël ou encore le film à venir «Suspension» de Alaeddine Slim. Un bilan peu glorieux Le réalisateur Ismaël est parmi les premiers à s'être indigné. «Les journalistes ne posent pas les bonnes questions à Fethi Kharrat», nous dit-il. Et d'ajouter : «Ils devraient lui demander son bilan après son passage au ministère de la Culture. Qu'a-t-il fait pour le cinéma?». C'est là l'une des principales causes de réserves du cinéaste contre la nomination de Fethi Kharrat à la tête du Cnci, une nomination qui survient trois mois avant son départ à la retraite. Il nous cite l'exemple du pavillon tunisien à Cannes dont on revient chaque année bredouille, selon Ismaël. «Quel accord a signé Fethi Kharrat? Quel tournage de film étranger a-t-il ramené pour la Tunisie?», se demande-t-il. Le cinéaste ajoute qu'ayant visité le pavillon de cette année, il a remarqué l'absence de références aux Césars gagnés par trois Tunisiens. «Aucun d'eux n'a été invité au pavillon», remarque Ismaël. La prise de position d'Ismaël ne date pas d'hier. En 2009, le ministère de la Culture a lancé une réforme du secteur cinématographique qui a exclu les jeunes. Ismaël et ses amis, comme Alaeddine Slim et les membres de la société de production Exit, se sont opposés à ce projet et ont même proposé un projet parallèle. «C'étaient les débuts de Fethi Kharrat à la tête du département cinéma et il était le vis-à-vis», résume le réalisateur, qui avait traité cette réforme de magouille dans l'un de ses articles (http://bit.ly/1fnAosW). En février et en octobre 2014, Ismaël et Alaeddine Slim ont adressé des lettres ouvertes, via le site Nawaat, au ministre de la Culture de l'époque Mourad Sakli (http://bit.ly/1BtOOl4), l'autre à Fethi Kharrat (http://bit.ly/1K26U0C), exposant la situation du secteur cinéma telle qu'ils la voyaient et dénonçant certaines pratiques au sein du ministère, des pratiques qui impliquent aussi des réalisateurs. Quelle a été la réaction du ministre? «Une semaine après notre lettre, il a organisé une réception pour les artistes tunisiens et a invité ces réalisateurs», nous répond Ismaël. Laxisme de l'Etat, connivence des réalisateurs La nomination de Fethi Kharrat s'est faite par le premier ministère, à partir d'une liste proposée par la ministre de la Culture actuelle, Latifa Lakhdar. «Le Cnci est placé sous la tutelle du premier ministère et est régi par une loi ambiguë qui stipule par exemple que son directeur doit avoir fait de la fonction publique», raconte Ismaël. Pour lui, cela dépasse Fethi Kharrat et révèle une absence de vision politique pour le cinéma en Tunisie, voire aucune intention de développer la culture, dans la continuité d'une tradition Rcdiste. «La loi relative au cinéma en Tunisie est obsolète et en total décalage avec la réalité. Elle favorise l'arbitraire, dans l'attribution de la carte professionnelle et les subventions pour les films», décrit Ismaël. Il nous donne l'exemple d'un projet au sein de la réforme de 2009 qui allait diviser les boîtes de production en sociétés de production de courts métrages et en sociétés de production de longs métrages, afin de mettre des barrières aux jeunes, ou encore les producteurs de l'ancienne génération qui ont déserté le syndicat après que les jeunes ont pris les rênes et formé un syndicat de producteurs de longs métrages. «Certains réalisateurs ne peuvent envisager de faire des films sans la subvention du ministère et croient que la nouvelle génération est venue partager le gâteau avec eux. Ils font donc tout pour les évincer», ajoute le cinéaste. Ismaël déplore d'ailleurs que certains de ces réalisateurs faisant partie d'associations cinématographiques ont contesté la nomination de Fethi Kharrat à la tête du Cnci. «Ils l'ont choisi comme bouc émissaire, comme Ali Laabidi au lendemain de la révolution», pense-t-il. Mais Ismaël ne se détrompe pas quant à ses reproches à Fethi Kharrat. «Combien de salles de cinéma ont fermé et il n'a pas réagi et combien ont ouvert sans qu'il ne leur accorde un sou. Aucune nouvelle loi n'est passée pendant son passage à la direction du cinéma», s'exclame Ismaël. Que dire alors du dossier des subventions sur lequel planent de nombreuses zones d'ombre. «Nous n'avons pas arrêté de postuler, pour toutes sortes de projets, des courts et des longs métrages, des fictions, des documentaires et des animations sans rien obtenir, alors que notre filmographie et nos palmarès ne cessent de s'agrandir», assure Ismaël, qui estime avoir le droit de postuler à la subvention publique, comme tout un chacun. «Nous tenons à ce droit et nous exigeons un traitement des dossiers équitable et transparent pour tous. Quant à nous, nous continuons et continuerons à faire des films avec nos propres moyens et malgré tout», résume le cinéaste.