Après une absence de près de vingt ans de la scène d'un festival d'été, Anouar Brahem a renoué jeudi soir dernier avec un large public de mélomanes. Tout était réuni ce soir du 29 juillet pour créer un spectacle à la fois intimiste et fédérateur. Retour de l'enfant prodige de la musique tunisienne contemporaine. Sur l'échiquier, il y avait les pièces maîtresses d'un concert réussi : un public attentionné et disons au passage acquis, une sono perfectionnée, une lumière sur scène adéquate et bien rendue, un temps à la douceur bercée par le bruit des vagues toutes proches… Anouar Brahem, dont le nom pour ses admirateurs est devenu synonyme de oud, comme celui de La Callas, a consacré l'opéra, était ce soir-là au meilleur de sa forme. Ses musiciens semblaient eux aussi portés par une inspiration qui ressemble à la transe : Klaus Gesing (clarinette basse), Khaled Yacine (percussions) et Bjorn Meyer( guitare basse). La symbiose entre tous les membres du quartet renforçait encore plus l'harmonie poétique et l'ambiance méditative des diverses pièces musicales présentées par l'ensemble d'Anouar Brahem à Hammamet. Pour ceux qui n'ont pas écouté The Astounding Eyes Of Rita ( lire notre interview du 29 juillet dernier), dont il a joué les morceaux, la rencontre fut vive, séduisante, heureuse. Pour les autres, ceux qui fréquentent la musique du luthiste, elle les a simplement nourris de silence et de lumière. Le live, le plein air, une ambiance à la fois festive et recueillie et une concentration de notes, une tension suivie de relâchement, un dialogue entre instruments, une générosité dans le jeu, une touche d'improvisation, un souffle particulièrement magique du saxo ascétique, ont vite fait de les replonger dans les Yeux renversants de Rita, la muse mystérieuse de Mahmoud Dérouiche, le poète palestinien disparu à qui Anouar Brahem rend un vibrant hommage dans son dernier album. De l'émotion, que d'émotion dans le jeu en solo, en duo, en trio ou en quartet. Ce soir, Anouar Brahem rayonnait, il jouait des épaules, tapait du pied, dandinait la tête au rythme de l'instrument, fredonnait légèrement pour insuffler plus d'âme à sa musique. A sa décontraction habituelle, il a ajouté un brin de volontarisme. Il renoue avec la scène, satisfait ? «Absolument heureux, d'autant qu'il y avait moins d'humidité que je craignais», nous déclarait-il le lendemain. Klaus Gesing a exécuté une plage (la pièce La marche sur les vagues) longue, languide, étoffée puisant son souffle, sa respiration dans tout son corps. Le recours à la clarinette dans The Astounding eyes of Rita imprègne beaucoup plus que d'habitude le travail d'Anouar Brahem de sonorités jazzy. Enracinée dans les profondeurs mystiques de l'Orient, sa musique croise tous les Occidents possibles et imaginables, s'ouvrant ainsi sur une harmonie quasi universelle.