L'examen de la loi antiterroriste en vue de son adoption dans les délais prescrits par Mohamed Ennaceur, président de l'ARP, bat son plein. Près de 70 articles de la loi sont avalisés par les membres de la commission de législation générale et on s'attend à ce que le projet de loi passe en plénière dans les jours à venir. Subsiste toujours le risque de voir la prochaine loi adoptée sous l'emprise de l'émotion ou de la colère Branle-bas au sein de l'Assemblée des représentants du peuple au Bardo où les membres de la commission parlementaire de la législation générale pilotée par le député nidaiste Abada Kéfi mettent les bouchées doubles pour être dans les délais fixés par Mohamed Ennaceur, président de l'ARP : la loi sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent doit être impérativement adoptée avant le 25 juillet, date de la célébration de la fête de la République. «Des séances matinales et nocturnes seront tenues au niveau de la commission parlementaire de la législation générale jusqu'au bouclage de l'ensemble du projet de loi avant que la future loi ne soit soumise à la séance plénière du parlement pour adoption», apprend-on auprès de la commission où le mot d'ordre général est de tout faire pour être dans les délais prescrits. Seulement, l'on se pose la question auprès des spécialistes: Est-il possible qu'une loi aussi importante soit examinée en commission et discutée en séance plénière puis adoptée en trois semaines, alors qu'on a mis des mois, à l'époque du gouvernement Mehdi Jomaâ, pour discuter moins de vingt articles de la loi avant de décider de transférer l'affaire au parlement issu des élections du 26 octobre 2014 ? Non à une loi votée sous l'émotion Pour le juriste Abdelmajid Abdelli, eneignant de droit public à l'université El Manar I, «il ne faut jamais légiférer sous l'effet de l'émotion ou de la colère. Une loi adoptée sous l'emprise de l'émotion est une loi qui tue la société. Il n'est pas normal qu'une loi censée déterminer l'avenir de l'expérience démocratique tunisienne soit examinée aussi rapidement en commission au point qu'en l'espace de deux journées (mardi et mercredi derniers), les députés membres de la commission ont bouclé près de 70 articles sur un ensemble de 139 articles. Il est vrai que les députés tiennent des séances matinales et nocturnes. Il reste à relever tout de même que le rythme qu'ils se sont imposé est trop rapide. L'on ne peut pas dire que la discussion est bâclée, mais la remarque est bonne à faire». Il ajoute : «On nous apprend qu'il y a débat au sein de la commission sur la définition du crime terroriste et il paraît que les membres de la commission ont réussi à mettre au point une définition qui fera sûrement date dans l'histoire de l'effort international de lutte contre le terrorisme. A ma connaissance, dans le monde, il existe trois cents définitions du terrorisme. D'autre part, il existe des crimes terroristes et non un crime terroriste. A titre d'exemple, dans la loi française, le crime terroriste dispose de huit définitions». Le Pr Abdelli estime, d'autre part, que «les dispositions contenues dans le code pénal actuel datant de 1913 sont largement suffisantes pour sanctionner les terroristes. Ce code mentionne la peine capitale qui n'existe pas dans la loi de 2003, toujours en vigueur et sur la base de laquelle ont été déférés les 30 prévenus accusés d'avoir assassiné Chokri Belaïd. Plus encore, dans la future loi qu'on nous promet pour célébrer la fête de la République, il est presque certain que la peine capitale ne sera pas retenue». Les prévenus dans l'affaire Chokri Belaïd peuvent-ils être jugés sur la base de la nouvelle loi qui pourrait être promulguée (au cas où il n'y aurait pas de députés qui l'attaqueront pour inconstitutionnalité) en août ou septembre prochain bien avant que le Tribunal de première instance de Tunis ne reprenne ses audiences relatives «au procès du terrorisme» le 30 octobre 2015 ? «Oui, on peut les juger selon la nouvelle loi, mais on sera obligé d'appliquer en leur encontre la sanction la plus clémente (en comparaison de la loi du 10 décembre 2003), ce qui revient à dire qu'il n'y aura pas de peine capitale». On ne fixe jamais de délais au législateur L'avocat Amor Safraoui, président de la coordination nationale pour la justice transitionnelle réputé pour son intransigeance en matière de respect de la constitutionnalité des lois (il a intenté un procès à l'encontre de l'Instance vérité et dignité considérant que la loi organique l'ayant créée est anticonstitutionnelle», est catégorique : «On ne peut pas arrêter, à l'avance, une date en vue de l'adoption d'une loi quelconque. Et qui plus est, quand cette loi est une loi organique s'attaquant au fléau du terrorisme. Qui peut affirmer que lors de la discussion générale, en séance plénière, il n'y aura pas de refonte totale du projet de loi qu'on examine actuellement au sein de la commission de législation générale au palais du Bardo ? Loin de moi de discréditer les membres de la commission ou de dire qu'ils agissent dans la précipitation. Mais, il ne faut pas se leurrer. La pression et le temps leur pèsent lourdement sur les épaules. Notre vœu est qu'ils évitent les erreurs qui se sont produites à l'occasion de la discussion et de l'adoption de la loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature. A l'époque, les députés travaillaient aussi sous la pression du délai constitutionnel qui est passé de fin avril à fin mai 2015, à la faveur d'une astuce constitutionnelle. Le résultat est là : la loi a été déclarée anticonstitutionnelle et maintenant on est en train de la refaire».