En ce mois saint, on se permet tout, de jour comme de nuit. Plus de sens de la mesure, on vit plutôt dans les excès en tous genres avec des bousculades le jour où l'on peut en arriver aux mains, une folie dépensière où toutes les bornes sont dépassées. La nuit, c'est celle des veillées non-stop avec des bruits assourdissants qui envahissent tous les espaces. Et ainsi va la vie pendant ce mois où l'on perd le sens de la mesure. Pour le Tunisien, toutes les occasions sont bonnes pour faire dans l'excès. De ces occasions, le mois du jeûne est celui de l'exubérance et de l'ostentation par excellence avec tous les excès possibles et imaginables. Le m'as-tu vu domine faits, gestes et paroles ! La consommation grimpe d'un cran. Autant on achète le jour, autant on remplit les poubelles le soir. Après la rupture du jeûne, c'est la folie des veillées qui s'empare de tous. Tous les espaces abondent de veilleurs qui croient pouvoir tout se permettre pendant ces nuits qui deviennent infernales pour tous ceux qui travaillent et qui sont obligés de se lever tôt. Le sens de la mesure est le bien le moins partagé entre les Tunisiens. Ils sont tous pareils, jeunes et moins jeunes, nantis comme gens du peuple. A chacun ses manières et sa façon de vivre le mois de carême pendant le jour comme pendant la nuit. Tout se chamboule pour ne plus rien comprendre dans le comportement des gens et dans le sens qu'ils peuvent donner à ce qu'ils font. Des attroupements peuvent se former là où l'on s'y attend le moins. Devant les marchands des feuilles de brik par exemple au Marché Central, devant un poissonnier, un vendeur de variantes ou de ricotte ! Cela se fait pour la plupart des cas au gré de la curiosité, mais cela peut à tout moment dégénérer pour un oui ou pour un non et le taux d'adrénaline monte pour que la bonhomie apparente se transforme en vociférations, insultes et quelquefois on en vient aux mains. On dit que c'est l'effet du jeûne qui rend les nerfs à fleur de peau pour devenir ainsi irritable aux moindres mots ou gestes ! A vrai dire, on ne fait que susciter les tensions par une telle ruée vers les étals pour s'approvisionner des fois de victuailles dont on n'a pas besoin. On suscite les tensions ! Mais peut-on rentrer sans avoir amené quelque chose à la maison? C'est vraiment trop demander au Tunisien qui, sans s'en rendre compte peut-être, ne peut s'affirmer envers soi-même et peut-être envers les autres qu'à travers ce qu'il achète et emporte chez lui. Cette attitude s'observe surtout dans les grandes surfaces où la folie dépensière trouve sa pleine signification. Si au moins, tout ce dont on s'approvisionne soit utile et réponde à un certain besoin. Or, ce n'est pas le cas puisque, devant la table, la grande tentation de l'œil est loin d'être égale à l'appétit au moment de la rupture du jeûne. Ceci explique d'ailleurs cet amoncellement de nourritures qu'on retrouve chaque matin débordant des poubelles et jonchant le sol et dégageant un cocktail d'odeurs que seules nos poubelles peuvent en déchiffrer les secrets. On dit que chaque mois de Ramadan, l'équivalent de 130 milliards en nourriture vont dans les poubelles. Quel gâchis! Et le Tunisien, malgré tout cela, ne cesse de crier et de revendiquer arguant d'une vie trop chère et d'un pouvoir d'achat au plus bas. C'est le propre des caprins de «manger et crier», comme le dit si bien un vieux dicton de chez nous. Cela dit, les autres excès, auxquels on ne peut échapper ceux-là, sont d'ordre comportemental strict. On les subit de jour comme de nuit avec toujours des nuances et différences. La nuit au mois de Ramadan, on croit que tout est permis. Une demi-heure après la rupture du jeûne et la rue devient le théâtre de tous les dépassements avec une cacophonie assourdissante jusqu'aux premières lueurs du jour. On squatte les trottoirs pour en faire des terrasses où on installe des écrans télé, parce qu'à l'intérieur des cafés, il fait chaud. On met les baffles à fond et la fête commence ! La nuit, ou se permet tout ! On ne tient compte ni du voisinage ni des personnes malades ou celles qui ne chôment pas et doivent aller travailler, on fait fi de tout ce que cela peut causer comme désagrément pour les passants qui doivent à l'occasion subir, malgré eux, toutes les insanités dont le répertoire tunisien regorge, bravant ainsi tous les interdits et le minimum de bienséance qu'exige la vie en commun. A cela s'ajoutent les bandes de gosses lâchés par leurs parents dans la nature et qui participent à cette pollution sonore qui s'abat sur nos cités chaque nuit. Ils sont jusqu'à une heure tardive les maîtres des rues et ruelles où ils s'adonnent à toute sorte de jeu, usant de pétards, allant sonner aux portes des maisons ou jeter des pierres où bon leur semble, sans que leurs parents daignent aller s'enquérir de ce qu'ils font. Autre phénomène, celui de ces motards qui, pour faire plus de bruit, débarrassent leurs engins de leurs silencieux et sillonnent les artères à vive allure faisant pétarader leurs motos dix fois plus assourdissantes que le réacteur d'un avion de chasse qui crève le mur du son. Tout cela se passe au vu et au su d'une autorité qui ne lève même pas le doigt pour préserver un minimum du droit des autres citoyens qui aspirent pendant ces nuits infernales à un juste repos après tout ce qu'ils ont enduré pendant la journée au travail comme à la rue de par le comportement incivilisé d'une majorité de citoyens qui n'hésitent pas, dans l'état où ils sont avec le déficit de sommeil qu'ils traînent, à vous invectiver pour vous être arrêtés à un stop ou avoir refusé de griller un feu. Irritables comme ils le sont-ils deviennent capables de tous les méfaits étant dans un état presque second. Ainsi donc vit le Tunisien le mois de Ramadan, croyant peut-être bien le fêter et lui rendre justice en tant que mois sacré ! On dépasse toutes les bornes et on croit bien faire, sans que l'on se rende compte des dégâts qu'on cause à soi-même à travers ses poches et sur sa santé et, bien sûr, aux autres qui ne demandent rien d'autre que d'être reconnus dans leur droit.