Que pourra-t-on faire contre ce qu'on appelle les « cours particuliers » ? Les proportions du phénomène sont telles qu'on voit mal comment les autorités concernées vont se comporter. L'engagement du ministre lui-même à y mettre fin laisse les parents quelque peu perplexes. Pas d'illusions à se faire, donc. A bien voir les choses, on comprend assez vite que trop d'intérêts sont en jeu pour qu'on puisse endiguer le fléau en question. Toutes les parties impliquées dans ce processus ont leur mot à dire. A commencer par les premiers concernés : les enseignants. Ces derniers se défendent de forcer leurs élèves à suivre des cours en dehors des heures de classe. C'est, surtout, au niveau du primaire que la pression est la plus forte où (presque) tous les élèves, de tous les niveaux suivent de nombreux cours et pendant plusieurs heures par semaine. Des séances de français, d'arabe, d'autres matières scientifiques sont dispensées dans des locaux (généralement le domicile de l'enseignant ou de l'enseignante) plus ou moins aménagés. Quel impact sur l'apprentissage? Certains directeurs d'établissement organisent des cours réservés aux élèves qui le désirent. Les parents choisissent, souvent, les deux modes : des études à l'école et d'autres chez l'instituteur(trice). Ce qui fait une lourde charge horaire pour les petits qui n'osent pas se plaindre. Et, du coup, c'est le bourrage de crâne qui commence. Les prix de ces cours sont modulés selon la configuration qui se présente. En ville on peut débourser de 30 à 50 dinars par mois pour des séances hebdomadaires de 4 heures. Ailleurs, dans les campagnes ou les villages, on peut aller jusqu'à moitié prix. Ce rythme est ainsi instauré tout au long de l'année et se poursuit toute la durée des études primaires. C'est à peu près 6 mois de cours particuliers par an et durant 6 ans. Ce n'est donc pas si simple. L'impact sur l'élève n'est pas étudié et on ne sait vraiment pas s'il a des conséquences sur la capacité d'apprentissage des apprenants. Des experts devraient s'atteler à la tâche qui consiste à évaluer l'impact de ces cours sur l'ensemble de l'itinéraire de ces enfants et de leur scolarité. Mais, d'ores et déjà, on peut se rendre à l'évidence quand on constate que les moyennes obtenues jusqu'en sixième fondent comme neige au soleil lorsque l'élève passe en septième année. Alors que ces enfants parvenaient à avoir des moyennes de 17 à 18/20, ils arrivent à peine à se garantir le minimum nécessaire dès la première année de collège. Les statistiques sur les redoublements et les décrochages à ce niveau sont la meilleure illustration de ce dysfonctionnement. Dans les collèges et les lycées, les cours particuliers sont plus diversifiés. Il ne s'agit pas d'un maître qui peut enseigner plusieurs matières, mais d'un professeur pour chaque matière. Les maths, les sciences physiques sont les matières les plus courues. Viennent, ensuite, les sciences, les langues (français, arabe...). La facture est salée surtout si on opte pour plusieurs professeurs à la fois. Les parents disent qu'ils n'ont pas le choix et que devant l'avenir de leurs progénitures, ils n'hésiteront pas à faire les sacrifices qu'il faut. De la sorte, c'est toute la société qui est entraînée dans un cercle vicieux. Croyant avoir choisi l'école publique gratuite on se trouve devant une autre réalité. Un circuit parallèle payant est érigé et on doit l'emprunter. Alors, inquiets, les parents se demandent s'il y a une issue et s'il est possible de se délivrer de cette spirale de dépenses et de sacrifices sans fin. Egalité des chances D'après les faits, rien ne montre qu'il y aura résolution de ce problème. Du moins dans un temps proche. En effet, il n'est pas nouveau. Déjà dans les années 60 et 70, c'était l'Etat qui avait incité à organiser des cours de rattrapage et de soutien pour les élèves en difficulté. Il s'agissait, à l'époque, de donner les mêmes chances aux uns et autres. Aujourd'hui, les événements ont pris une autre tournure. On n'hésite plus à comparer ces pratiques à du commerce parallèle. Il n'est plus question de dispenser un savoir mais de le vendre à ceux qui en ont les moyens plus que d'autres. La notion d'égalité des chances vole, ainsi, en éclats. Indirectement, aussi, ces méthodes poussent les gens à choisir, de plus en plus, l'enseignement privé. Ils pensent y trouver plus de sérénité et d'équilibre. On paie mais on est sûr de gagner (bien sûr, cela concerne l'enseignement primaire privé qui garde encore une certaine crédibilité). Devant cette impasse, les solutions ne sont pas nombreuses. Appliquer la loi n'est pas suffisant. Car la seule loi qui existe est totalement incapable de juguler le fléau. Pourtant, le fait de dispenser un savoir n'est pas négatif. C'est le fait de l'avoir détourné pour en faire une activité lucrative qui l'a déformé et discrédité. Une législation insuffisante Ces cours vont se poursuivre et le décret n° 88-679 du 25 mars 1988 organisant les leçons de rattrapage ou de soutien et des cours particuliers restera inopérant. Les carences de ce décret sont telles qu'elles n'énoncent aucune mesure concrète et précise à l'encontre du contrevenant. S'il fixe le nombre de groupes (3) pour chaque enseignant et le nombre d'élèves par groupe (4), il ne donne aucune information sur les dispositions à prendre au cas où un enseignant ne respecterait pas les règles. Tout au plus rappelle-t-il que l'enseignant en question doit aviser le ministre de l'Education s'il entend entreprendre ces cours dans un délai de quinze jours avant le démarrage. Il est vrai que la grande majorité des enseignants qui font ces cours obtiennent une autorisation écrite. Mais ce n'est qu'une simple formalité. Les inspecteurs qui devraient assurer le suivi de l'opération ne parviennent à toucher qu'une infime partie de ces enseignants. Mais les rapports qu'ils élaborent ne sont pas toujours suivis d'effet en raison, particulièrement, de l'opposition catégorique des structures syndicales qui refusent qu'on prenne des mesures disciplinaires ou autres. Tant que la loi n'est pas claire, le réseau parallèle de cet enseignement se développera et prendra des proportions beaucoup plus graves que ce que l'on constate actuellement. La promesse faite d'agir sérieusement, cette année contre le phénomène des cours particuliers ne peut être tenue. Comme on l'a dit, l'absence d'une législation claire et forte et les lobbies qui se sont créés feront bloc pour faire échouer toute tentative dans ce sens.