Le sommet tenu au Palais de Carthage, mardi dernier, sous la supervision du président Caïd Essebsi, avait l'air d'un remake du Dialogue national défunt Rendez-vous est pris pour le 7 septembre prochain pour voir si les accords convenus seront appliqués et pour décider de nouvelles mesures à la lumière de l'évolution de la situation Le Dialogue national est-il retourné à la scène politique nationale, mais discrètement et sans que ses promoteurs, les anciens et les nouveaux, ne le disent clairement ? La question est à poser sérieusement quand on essaye d'opérer une lecture même préliminaire, aussi bien de la forme que du contenu, dans les résultats auxquels a abouti le sommet tenu, mardi dernier, au Palais de Carthage sous la présidence du président Béji Caïd Essebsi en vue de trouver une solution à la crise sociale dans laquelle se débat le pays depuis quelques semaines et dans le but de parvenir à l'instauration «d'un climat positif qui permettrait d'imaginer ensemble les compromis que nécessite l'étape», comme l'a souligné le communiqué publié à l'issue de la rencontre par la direction de l'information et de la communication relevant de la présidence de la République. D'abord, au niveau de la forme, la photo publiée par un quotidien de la place nous montre une table ronde où le président Caïd Essebsi était placé au centre en tant qu'animateur de la rencontre et était entouré à sa droite de Mohamed Ennaceur, président de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), et Houcine Abassi, secrétaire général de l'Ugtt, et à sa gauche étaient assis Habib Essid, chef du gouvernement, et Wided Bouchamaoui, présidente de l'Union tunisienne pour l'industrie, le commerce et l'artisanat (Utica). Manquaient pour que la photo nous renvoie à l'ancien Dialogue national Mohamed Fadhel Mahfoudh, bâtonnier des avocats, et Abdessattar Ben Moussa, président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'Homme (Ltdh). Ils sont remplacés par Habib Essid et Mohamed Ennaceur. Et cette fois, ce n'est plus au siège de l'ex-ministère de la Justice, des Droits de l'Homme (au Bardo) que l'on se rencontre, mais bien au Palais de Carthage qui était interdit à l'époque par Moncef Marzouki aux parrains du Dialogue national tout simplement parce qu'il n'y croyait pas et faisait tout pour le torpiller. Les temps ont bien changé aujourd'hui et les nouveaux parrains du Dialogue national qui ne dit pas encore son nom sont accueillis au Palais de Carthage par le président de la République dont le sourire et la posture montrent bien le bonheur de recevoir chez lui tout ce beau monde. Ensuite, au niveau du contenu des dossiers qui ont été examinés lors de cette rencontre. Le chef de la direction de l'information et de la communication auprès de la présidence de la République, Moëz Sinaoui, et les membres du bureau exécutif de l'Ugtt interrogés par les médias sur les résultats du sommet ont tout fait pour retenir l'information que tout le monde attendait (l'abandon des prélèvements sur les salaires des directeurs et des instituteurs grévistes et le retour aux négociations sur les augmentations salariales dans la fonction et le secteur publics et dans le secteur privé pour le compte des années 2015 et 2016) afin que l'on soit rassuré sur la prochaine rentrée scolaire. Ils se sont contentés de généralités qui n'ont assouvi la faim de personne, plus particulièrement les parents de ces centaines de milliers d'écoliers qui se préparent en prévision de la journée du 14 septembre prochain mais qui ne savent pas encore si les écoles et les lycées secondaires retapés à neuf dans le cadre du «mois de l'école» vont ouvrir ou non le jour j. Et les langues de se délier pour que l'on sache que la rencontre au sommet qui s'est prolongée près de trois heures a permis à tous les participants de dire tout ce qu'ils avaient sur le cœur, sous l'œil bienveillant du président Caïd Essebsi. Il a été question, en effet, de la rentrée scolaire qu'il faut assurer à tout prix, de la reprise des négociations entre le gouvernement et l'Ugtt pour que les salariés de la fonction et du secteur publics aient leurs augmentations comme les smigards qui le seront prochainement et de l'acceptation par l'Utica de répondre à la lettre de l'Ugtt l'appelant à la table des négociations afin que les salaires des travailleurs dans le secteur privé soient aussi majorés. Des sources participantes à la rencontre révèlent : «On a débattu également du prochain congrès national de la lutte contre le terrorisme qui se tiendra à la mi-septembre prochain et qui sera présidé par le chef du gouvernement, Habib Essid». En tout état de cause, on a convenu que le débat va se poursuivre et on s'est donné rendez-vous pour une nouvelle rencontre le 7 septembre prochain. L'Ugtt sous la pression de ses bases Et si certaines parties vont jusqu'à parler d'une possible trêve sociale que l'Ugtt est appelée à accepter en contrepartie des concessions que le gouvernement et l'Utica viennent de lui accorder sous l'arbitrage du chef de l'Etat, d'autres posent la question suivante : Houcine Abassi et ses principaux adjoints ont-ils encore les moyens de contrôler leurs bases syndicales, de tempérer leur ardeur et de les obliger à changer de discours? «Je crains fort que le S.G de l'Ugtt puisse encore imposer les compromis nés de la rencontre de Carthage à ses troupes, plus particulièrement dans les régions de l'intérieur où la contestation va en s'enflant. Beaucoup parmi les syndicalistes dans ces régions n'ont plus confiance en les promesses du gouvernement. D'ailleurs, le jour même où Abassi dialoguait avec Caïd Essebsi, Essid et Bouchamaoui au Palais de Carthage, les syndicalistes de Sidi Bouzid tenaient un sit-in de protestation au siège de la délégation régionale de l'enseignement et en ont été dégagés de force par les agents de l'ordre. Et pas plus tard qu'hier, vendredi 21 août, ces mêmes instituteurs soutenus par les responsables de l'Union régionale du travail ont organisé une marche dans la ville en lançant des slogans hostiles au gouvernement Essid et même au président de la République. Les déclarations de Bouali M'barki, membre du bureau exécutif de l'Ugtt, sur la possibilité de parvenir à des solutions acceptables avant la rentrée scolaire sont très optimistes et on attendra le rendez-vous du 7 septembre prochain pour voir si la situation va se décanter, révèle à La Presse un analyste qui tient à garder l'anonymat pour «ne pas envenimer encore plus la situation», justifie-t-il. Quant au retour déguisé du Dialogue national à travers le sommet du palais de Carthage, notre analyste précise : «Aussi bien le gouvernement que l'Ugtt ou l'Utica sont obligés de s'entendre et de collaborer ensemble et de recourir au chef de l'Etat pour qu'il avalise leurs accords même s'ils semblent fragiles et peuvent capoter à n'importe quel moment. Faut-il faire remarquer que Wided Bouchamaoui n'a pas les coudées franches où les mains libres au sein du bureau exécutif de l'Utica où certains membres ne partagent pas entièrement ses points de vue. Reste une grande inconnue : quelle position va prendre Ennahdha au cas où l'on continuerait à l'oublier lors du sommet programmé pour le 7 septembre prochain?».