La crise syrienne semble tirer à sa fin. Des milliers de terroristes jihadistes s'apprêtent à quitter la Syrie, d'autres l'ont déjà fait. Qu'a-t-on préparé en Tunisie pour l'accueil des jihadistes tunisiens et leur réhabilitation ? Ennahdha défend déjà le principe du repentir. Sera-t-il suffisant ? Le sort de Daech semble scellé depuis que les Etats-Unis et l'Union européenne ont décidé d'en finir afin de mettre un terme à la crise syrienne qu'ils ont eux-mêmes attisée mais qui a fini par leur échapper. Ceux qui, donc, ont œuvré à renflouer les rangs des terroristes jihadistes en Syrie vont devoir leur trouver une issue de secours avec mécanismes de réhabilitation, de recyclage et de réinsertion sociale à la clé. L'idée de promulguer une loi sur le repentir est en train de mûrir dans les têtes de certains, en l'occurrence ceux qui ont appelé au jihad, et a été suggérée dans les propos de cheikh Rached Ghannouchi lorsqu'il a défendu, récemment, le concept religieux de la «tawba» et suggéré le devoir d'en tenir compte comme le recommande l'Islam. Redéploiement vers l'Afrique du Nord et le grand Sahara Les cloches tunisiennes du pardon ont déjà commencé à sonner depuis le gouvernement Jomâa quand la décision fut prise pour rouvrir une antenne diplomatique à Damas. La médiatisation autour de la situation déplorable des Tunisiens en Syrie avait inexorablement révélé au grand jour l'ampleur de l'implication des terroristes tunisiens dans la guerre syrienne et celle du danger que représente leur éventuel retour en Tunisie. Depuis lors, des informations fuitaient de temps à autre fortuitement, parfois sciemment, indiquant des retours de jihadistes, dit-on, «repentis». Le ministre de la Justice lui-même révélait en début de semaine au micro d'une radio privée le chiffre de 50 revenants jihadistes. Au-delà des chiffres, «le plus important est de savoir ce qui a été fait et mis en place en termes de mécanismes, de ressources humaines et d'infrastructures, pour les accueillir et préparer leur réhabilitation et leur réintégration sociale», commente Mme Badra Gaâloul, présidente du Centre international des études stratégiques sécuritaires et militaires. La question du retour s'est posée depuis le gouvernement Jomâa et se pose encore avec plus d'insistance aujourd'hui : la coalition occidentale a décidé de passer à autre chose, Daech doit disparaître, en tout cas de Syrie. Qu'en sera-t-il des jihadistes qui choisiront de fuir les bombes et les frappes aériennes occidentales ? Certains observateurs, sur la base de témoignages de réfugiés syriens, n'excluent pas le fait que la dernière vague de migration de la Syrie vers l'Europe a été orchestrée et organisée pour faire fuir des terroristes, notamment de Daech. Les autorités européennes s'en défendent en soutenant que toutes les mesures d'identification et de contrôle ont été prises au niveau des frontières aériennes, terrestres et maritimes. Mais aucun cas n'a été à ce jour signalé, dans aucun pays européen. Pas de quoi s'étonner ! Pour Mme Badra Gaâloul tout comme pour l'analyste politique Safi Saïd, la fin de Daech en Syrie ne signifie pas l'évaporation des terroristes de la planète terre mais plutôt leur retrait dans la perspective d'un redéploiement ailleurs, «peut-être en Afrique du Nord» (dixit Badra Gaâloul), et «dans le grand Sahara, au Nigeria, au Tchad où sévit encore Boko Haram» (dixit Safi Saïd). Recommandation de l'Islam D'autres avant nous ont expérimenté le repentir. Pour combattre le terrorisme et le crime organisé (mafia). Des pays similaires et d'autres plus démocratiques et mieux installés dans des stratégies sécuritaires claires ont essayé de passer l'éponge sur le sombre passé de criminels notoires en échange de «loyaux services» et de groupes terroristes afin de rétablir la stabilité et la sécurité nationale. Ce fut le cas en Algérie dans les années 90, au terme d'une décennie noire et sanguinaire, en décrétant la concorde civile; aux Etats-Unis (protection des témoins en 1970), en Italie (statut de collaborateur de justice en 1980), en France (Loi Perben 2004), en Allemagne, en Autriche et ailleurs. Pour quels résultats ? S'il faut citer un pays similaire et voisin comme l'Algérie, force est de constater que des repentis ont repris du service. Le quotidien algérien Liberté a rapporté le 20 septembre qu'un individu, ex-membre de l'Armée islamique du salut, ayant bénéficié de la concorde civile, a été arrêté dans la région de Skikda (est-algérien), accusé de soutenir des groupes terroristes. D'autres «amnistiés» tenteraient même de revenir à la vie politique. Sans succès pour le moment. « En ce qui nous concerne, ma conviction est que les parties qui les ont enrôlés, armés et entraînés vont devoir les aider à retourner dans leurs pays respectifs, en l'occurrence la Tunisie, la Libye, l'Arabie Saoudite, où il existe déjà des centres de réhabilitation des jihadistes créés pour accueillir les «repentis d'Afghanistan», explique encore Mme Gaaloul. «Or, poursuit-elle, un bon nombre d'entre eux sont repartis vers Daech pour faire la guerre en Syrie». Ce qui induit une autre question capitale : le repentir est-il irréversible ? Dans nos murs, l'idée fait donc son chemin : une loi du repenti. Le premier à en évoquer l'utilité voire la nécessité, le cheikh Rached Ghannouchi, futur récipiendaire avec Béji Caïd Essebsi du prix de l'international Crisis Group pour leurs efforts dans la construction de la paix en Tunisie. Lui emboîtant le pas, les disciples du cheikh et membres de la mouvance islamiste soutiennent l'idée et la défendent sans complexe. Pour eux, le repentir ou la «tawba» est recommandé par l'Islam. Une des définitions stipule que le repentir est accepté pour ceux qui font le mal par ignorance et qui se repentent assez tôt (tant que le repentir est accepté). Ceci suppose l'existence d'un seuil d'irréversibilité en termes d'implication dans les crimes. Par ailleurs et s'agissant de la mafia, les crimes sont généralement ciblés et relèvent du règlement de comptes. Ce n'est pas le cas des crimes terroristes qui tuent, font exploser et exécutent des populations civiles innocentes, font pression sur les Etats et les gouvernants en tuant des civils innocents, en détruisant les pays et leur stabilité. Au nom de Dieu. «Ils vont se repentir de quoi, s'interroge Mme Gaâloul, de ce qu'ils croient être leur raison d'être ?». Les préceptes de l'Islam posent trois conditions au repentir : d'abord, la manifestation du regret (nadam), ensuite, la résolution ferme de ne plus commettre les péchés regrettés, enfin, rendre justice aux victimes des crimes ou péchés commis et regrettés. Pour Safi Saïd, le repentir est une idée erronée tout comme le takfir, «il faut cependant prendre en charge psychologiquement, économiquement et socialement ceux qui vont revenir c'est-à-dire les pommés, les égarés, quant aux chefs, ils vont aller ailleurs ». Pour Safi Saïd, le terrorisme est une affaire d'Etats, de gros sous et de réseaux internationaux d'embrigadement. Enregistrements à Istanbul Avec le démarrage des frappes occidentales françaises contre Daech, s'annonce le dénouement, heureux et malheureux, de la crise syrienne et du Moyen-Orient dans son ensemble. Les terroristes qui vont désormais perdre le statut de jihadistes n'ont plus de place dans le monde arabe. Sauf dans leurs propres pays s'ils peuvent y retourner. Ils vont, pour cela, avoir besoin d'être recyclés et ré-acceptés par leurs pays respectifs. Le repentir semble être la seule issue possible ? Mais, une question capitale s'impose : une loi sur le repentir suffira-t-elle à calmer ou à remplacer la ferveur du jihad mené au nom de Dieu ? N'y a-t-il pas là des intentions inavouées de bluffer l'opinion et de blanchir et recycler les terroristes ? Ne faudrait-il pas d'abord comprendre leur mental et savoir pourquoi à un moment de leur vie ils ont dévié et sont devenus des bourreaux ? Est-il si facile de basculer dans le meurtre et l'horreur et puis d'en sortir comme si de rien n'était ? Cette question sera sans doute à l'ordre du jour du prochain congrès contre le terrorisme et au centre des pourparlers avec les partis politiques qui vont prendre part au congrès. Déjà, Nida n'a pas caché, par la voix de son secrétaire général, sa non-opposition à une loi du repenti. Cette harmonie entre les deux plus grands partis politiques autour d'un sujet qui fâche rappelle celle autour du projet de réconciliation financière. Ennahdha sera-t-elle amenée à revoir, elle aussi, sa copie ? On en doute, car on croit savoir de source informée que des listes de jihadistes tunisiens sont en train d'être dressées. Il s'agirait de victimes d'embrigadement abusif, comme l'a prétendu le cheikh, mais dont les mains sont restées «propres» du sang syrien. L'opération d'enregistrement de ces candidats au retour au pays se déroulerait en Turquie, précisément au consulat de Tunisie à Istanbul. Le retour par avions est prévu à la mi-octobre prochain.