Reconnaissons-le. L'atmosphère politique dégénère. La crise, la scission de fait et les dissensions au sein de Nida Tounès, principal parti de la majorité gouvernementale, menacent tout l'édifice politique. En fait, les protagonistes ne sont guère de simples comparses. Du coup, les répliques et effets pervers du cataclysme se font ressentir au sein des hautes sphères et des institutions majeures de l'Etat. D'un côté, la présidence de la République se retrouve impliquée directement. Ridha Belhaj, ministre chef du cabinet présidentiel, est l'un des deux principaux dirigeants de l'une des deux factions en lice. Il joue les premiers violons dans le conflit en cours. L'autre est Hafedh Caïd Essebsi, tout simplement le fils du président de la République. Des voix s'élèvent déjà pour fustiger l'attentisme présidentiel, voire, aux yeux de certains, les velléités d'héritage en bonne et due forme de la présidence de la République par le «clan Essebsi». Elles pointent du doigt également l'utilisation des ressources et des moyens de la présidence de la République dans le conflit partisan. En même temps, le bloc parlementaire de Nida se retrouve pratiquement divisé en deux. Les députés appartenant à la faction adverse de celle de Belhaj-Essebsi junior voudraient bien se constituer en bloc parlementaire, voire en nouveau parti dissident de Nida. Et il se trouve que Mohamed Ennaceur, président du Parlement, est en même temps président de Nida Tounès. Sa légitimité est sérieusement contestée par le clan «présidentiel». Autre fait et non des moindres, le gouvernement se retrouve pratiquement divisé entre les séides zélés des deux coteries, sans compter les attentistes ou ceux qui affichent une neutralité non déguisée dans ce bras de fer cruel. On a vu des membres du gouvernement emportés ou résignés lors des houleuses et antagoniques réunions de Hammamet, de Djerba et d'avant-hier au siège de Nida Tounès. Il y a enfin l'alignement du président et du secrétaire général de Nida Tounès, Mohsen Marzouk, dans les rangs des anti-Belhaj-Hafedh Caïd Essebsi. Bref, le conflit partisan génère une fragmentation à géométrie variable au sein même des hautes instances de l'Etat, présidence de la République, Parlement et gouvernement en prime. Le conflit intervient précisément à un moment particulièrement glissant. Le Parlement était supposé examiner le projet controversé de la réconciliation économique et sociale, le système du partenariat public-privé et la nouvelle loi de finances, faisant l'objet elle-même de sérieuses controverses. C'est dire aussi si Habib Essid, chef du gouvernement, n'a guère le beau rôle. Il se retrouve pratiquement à la croisée des feux amis et ennemis. S'étant au début affiché à la lisière du clan «présidentiel», le chef du gouvernement a adopté par la suite un profil neutre appuyé. Sans pour autant pouvoir aligner certains ministres sur sa position. L'économie, elle, fait du surplace dans la récession et l'absence de projets structurants ou d'envergure. La crise économique et sociale sévit, s'amplifie. Le syndrome vécu lors de l'exercice des gouvernements de la Troïka est de retour. La crise politique accuse et aggrave la crise économique. Les agences de cotation internationales avaient souligné cela dans les attendus de leurs décisions de déclassement, à la baisse, des performances de l'économie nationale. La tournure tragique et vénale des faits s'explique par des donnes de base. Telle l'absence de personnalités politiques d'envergure, ou de chefs charismatiques. Il y a aussi l'inexistence de traditions partisanes bien ancrées, à quelques exceptions près. Les desseins scabreux des petites personnes semblent importer plus que les institutions. L'esprit de corps et de clan bédouin (la fameuse 3assabiyya khaldounienne) bat en brèche la civilité et le civisme politique. Il y a péril en la demeure. La Maison Tunisie est en danger. Il n'y a point de timonier ou de conseil de sages pour redresser la barre et tempérer les ardeurs. Et vogue la galère.