D'aucuns diraient que ce qui se produit, actuellement, à Nida Tounès n'a rien d'atypique, qu'il fait partie intégrante de la vie du parti qui se définit par une effervescence incessante, signe de vitalité et de bonne santé. Autrement dit, le parti politique est une entité vivante où les antagonismes entre militants sont monnaie courante. Cependant, cette dynamique est tout à fait outrancière, elle dépasse les bornes et place ce parti en dehors de la sphère politique, d'autant plus que ces conflits qui le minent ne portent aucunement sur des programmes et sont donc improductifs. Les graves accusations mutuelles confortent cette réalité et en révèlent la vraie identité. Donc, on est loin, très loin, des règles du jeu politique. Dans un camp comme dans l'autre, on ne s'épargne pas, et on n'hésite pas à faire prévaloir son ego pour écraser l'autre, le rival. Et contrairement aux apparences, aucun des deux clans n'est harmonieux, puisqu'on se livre à la guerre de tous contre tous. Les vrais enjeux A quelques rares exceptions près, ils sont tous soupçonnés de chercher des intérêts particuliers et des positions confortables au détriment de tous. Cependant, pour ce qui est desdits «indépendants», auxquels on applique, à volonté, d'autres dénominations, ils sont, de surcroît, accusés de s'approprier une fausse identité. Tout le monde sait, sauf ceux qui sont frappés de cécité, que la crise que connaît Nida Tounès n'a rien de surprenant, et qu'elle était tout à fait prévisible depuis le départ. Après l'euphorie de la victoire, les fissures ont commencé à se manifester au grand jour au sein du parti majoritaire, avec la constitution du gouvernement Essid, soit pour des motifs objectifs, relatifs à l'alliance avec Ennahdha, soit pour des raisons strictement subjectives, se rapportant aux portefeuilles ministériels. Mais ces dernières l'emportaient de loin sur les premières ; les intérêts personnels prenaient le dessus sur toute autre considération. Donc, à aucun moment ces sociétaires n'ont affiché une solidarité sans faille ; celle-ci était toujours entachée de ladrerie. Et comme ces esprits calculateurs sont majoritaires et que leurs intérêts sont, par définition, conflictuels, ils se sont organisés en clans, en fonction des intérêts que les uns et les autres ont en commun. Et c'est alors que les «Rcdistes», dont les rangs sont renforcés par quelques «indépendants», et qui se dissimulaient au début, lorsque le moment ne leur était pas opportun, derrière l'étiquette des «Destouriens», ont annoncé la couleur et déclaré la guerre à tous ceux qu'ils considèrent comme étant des intrus dont il faut absolument débarrasser leur «propre» parti, d'autant plus qu'ils voient dans leur attitude des intentions hégémoniques, comme en témoignent les postes clés qu'ils occupent en son sein. Alors, maintenant qu'ils n'ont plus de gêne à décliner leur vraie identité, les «Rcdistes» ne mâchent plus leurs mots, ni ne cachent leur jeu, car ils jouissent, dorénavant, du soutien du fils du président. Et les réunions de Djerba et d'Hammamet, qui ont scellé ce schisme, indéfiniment reporté, entre les antagonistes, ont révélé des vérités flagrantes qu'on a toujours essayé d'occulter. Tout d'abord, il est bien évident, maintenant, que nous n'avons plus quatre groupes, comme on le prétendait avant, mais seulement deux, celui des «Desdistes» ou des «Rcriens», vu que les «Rcdistes» et les «Destouriens» appartiennent à la même famille, celle du grand-père, Thaâlbi, et du père, Bourguiba; et celui des autres auxquels il faudrait trouver un autre nom plus approprié que celui de la gauche et qui se plaisent à se faire désigner comme étant des syndicalistes et des progressistes. Lesquels sont, à leur tour, divisés, puisque certains d'entre eux ont choisi de rejoindre le premier groupe. C'est la preuve que le positionnement se fait au gré des intérêts personnels et nullement de quelconques principes. A cheval entre les deux... D'autre part et concernant cette deuxième composante du parti, celle des «indépendants», le gel provisoire de leur appartenance à ce dernier par les trente-deux membres, auxquels s'ajoutent quelques «Rcdistes», vient nous édifier sur une question qui était, jusqu'ici, aussi bien absconse que déroutante. En effet, ce retrait a fait l'objet de plusieurs interprétations dont celle consistant à dire que ces frondeurs se rallieraient au Front populaire, chose qui était, catégoriquement, démentie par le porte-parole de cette coalition de gauche, Hamma Hammami, dans le cadre de l'émission télévisée «Chokran ala al houdhour» (Merci de votre présence) d'il y a quelques jours. Et à la question posée par l'animateur, Boubaker Akacha, concernant les éléments de gauche se trouvant à Nida Tounès, celui-ci a répondu qu'ils ne pouvaient pas être qualifiés comme tels à partir du moment où ils appartiennent à un parti de droite et qu'ils font partie intégrante d'un gouvernement qui applique une politique libérale. Il était nommément question du Secrétaire d'Etat chargé des relations avec la société civile, Kamel Jendoubi, et de la ministre de la Culture, Latifa Lakhdhar. Pour Hammami, le fait d'avoir appartenu, par le passé, à la gauche n'est pas un gage d'appartenance éternelle à cette obédience. Car, selon lui, l'identification politique des gens se fait sur la base de leurs positions actuelles et n'est nullement une question d'étiquettes. Autrement dit, en politique, il n'y a pas de fonds de commerce, et c'est seulement le moment présent qui compte. Ce sont seulement les positions et les actions présentes qui sont comptabilisées. Celles du passé figurent seulement dans le CV et ne peuvent nullement être monnayées ailleurs, surtout pas en dehors de leur cadre temporel. Certains analystes pensent que tout en appartenant à un parti de droite, ces «indépendants» veulent se préserver l'image de progressistes qui défendent les causes sociales et humaines d'une façon générale, à l'instar de ceux qui s'affublent de maillots à l'effigie de Che Guevara ou de ceux qui en brandissent le poster dans les stades de football, sans pour autant en partager, ni en assimiler les idées, mais rien que pour être à la page et déployer un simulacre de rébellion. C'est-à-dire que nos «progressistes» veulent le beurre et l'argent du beurre, les privilèges politiques et le prestige social, toujours d'après ces analystes. Il en découle que cette guerre intestine qui déchire Nida Tounès ne s'explique pas par cette prétendue différence d'appartenance politique et idéologique, et encore moins par des divergences d'idées au niveau de la conception de programmes. Ils sont tous du même bord, sans être, toutefois, du même clan. Intérêt oblige...