Par Hmida BEN ROMDHANE Kuala Lumpur, 21 novembre. Les dix représentants des pays de l'Asean (Association des pays de l'Asie du Sud-Est) étaient réunis pour leur sommet dans la capitale de la Malaisie. Le président américain était là non pas parce que les Etats-Unis font partie géographiquement de la région, mais parce qu'ils y possèdent les attributs de la puissance, porte-avions, navires de guerre, bases militaires, etc. Obama est un homme loquace. Il aime bien prononcer les discours. En sept ans d'exercice du pouvoir, il en a prononcé une quantité, dont certains seront retenus par l'histoire comme étant la quintessence du décalage entre le texte et le contexte, du divorce entre la parole et l'action. Rappelons-nous le fameux discours prononcé le 4 juin 2009 à l'Université du Caire, six mois après son élection, et dans lequel il avait promis un nouveau départ, «a new beginning», dans les relations des Etats-Unis avec le monde arabe. Six ans après ce discours, aucune action n'est venue donner un semblant de réalité à ce nouveau départ. Qu'il s'agisse de l'Irak, de la Libye, de la Syrie ou de la question palestinienne, la politique d'Obama se réduisait à la poursuite de celle de son prédécesseur, George W.Bush. A Kuala Lumpur, Obama a tenu un autre discours où le hiatus entre la parole et l'action était tout aussi béant que dans le discours du Caire. Parlant de sa stratégie antiterroriste et s'en prenant avec virulence à Daech, le président américain a affirmé avec une passion un peu trop exagérée pour être sincère : « Nous allons détruire cette organisation. Nous allons reprendre les territoires qu'elle occupe à présent, nous allons couper les sources de son financement, nous allons traquer ses dirigeants, nous allons démanteler ses réseaux et ses chemins de ravitaillement, et nous allons la détruire définitivement. Mais, même en le faisant, nous allons nous assurer de ne pas perdre nos propres valeurs et nos propres principes.» Belle fanfaronnade en effet Oublions le fait que sans les politiques désastreuses en Afghanistan et en Irak que les Etats-Unis ont obstinément menées pendant des décennies, le monde n'aurait certainement pas eu à dépenser aujourd'hui une grande et précieuse énergie à combattre Al-Qaïda et ses ramifications. Daech a connu un développement fulgurant en Irak et en Syrie. Des deux côtés de la frontière syro-irakienne, des millions d'hommes, de femmes et d'enfants vivent dans la terreur. La deuxième ville irakienne, Mossoul, et le plus grand gouvernorat, Al Anbar, n'ont pas échappé à la domination de l'organisation terroriste. Des richesses substantielles financières et pétrolières, propriétés des peuples syrien et irakien, étaient tombées dans l'escarcelle de Daech. Des milliers de camions-citernes transportaient 7 sur 7 et 24 sur 24 le pétrole irakien et syrien bradé par l'«Etat islamique» et intégré via la Turquie dans le circuit énergétique mondial au grand bonheur des trafiquants de tout acabit. Des monstruosités indicibles sont commises contre des hommes et des femmes sans défense. Toutes ces exactions, tous ces dépassements, toutes ces violations des lois nationales et internationales étaient connus dans leur moindre détail par les services de renseignements du monde entier, et en premier lieu par les services de renseignements américains. Pourtant, rien n'a été réellement et concrètement entrepris pour stopper le tsunami daéchien dévastateur. Si l'on remonte seulement au mois de juin 2014, date de la catastrophe de Mossoul, on constatera que les Etats-Unis ne sont intervenus sérieusement que quand les terroristes ont pris la direction du Kurdistan irakien ou quand ils ont encerclé la ville kurde syrienne Ain Al Arab-Kobani. Pour le reste, soit ils regardaient ailleurs, soit ils faisaient semblant de combattre les terroristes. Alors pourquoi aujourd'hui devons-nous prendre le discours d'Obama pour argent comptant ? Il a eu largement le temps de faire ses preuves de président digne de la distinction que le comité du Nobel de la paix lui a un jour accordée. Il a échoué lamentablement. C'est sous sa présidence que le monde est devenu si dangereux qu'aucun citoyen dans aucun pays ne peut se dire en sécurité. C'est en poursuivant à la lettre la politique désastreuse de son prédécesseur qu'Obama a grandement contribué au déferlement sans précédent de la menace terroriste aux quatre coins de la planète. On se sent submergé d'émotions attendrissantes d'entendre M. Obama nous dire, dans l'intention de nous rassurer bien sûr, que non seulement il va détruire l'hydre terroriste, «mais, même en le faisant, nous allons nous assurer de ne pas perdre nos valeurs et nos propres principes». Si M. Obama vise ces mêmes valeurs et ces mêmes principes qui ont inspiré les politiques et les stratégies américaines en Iran en 1953, au Vietnam, au Cambodge, au Laos de 1964 à 1975, en Afghanistan de 1980 jusqu'à ce jour, en Irak de 1991 jusqu'à ce jour ou encore en Libye et en Syrie depuis 2011, nous aurons beaucoup plus de raisons d'être inquiets que rassurés. En fait, les principes et les valeurs que le président américain semble soucieux de préserver sont ceux-là mêmes qui ont amené le monde dans l'état catastrophique où il se trouve aujourd'hui, c'est-à-dire les valeurs et les principes de l'argent-roi, de la force brutale, de la domination, de l'injustice, du mépris du doit et de la vie des autres, etc. Notre souhait chimérique est que, pour les douze mois qui lui restent au pouvoir, M. Obama donne enfin le bon exemple et agisse dans la violation totale des principes et des valeurs qui inspirent au fil des ans la politique étrangère américaine.