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Analyse crise de Covid-19: Ses impacts sur les plans mondial, régional et national
Publié dans La Presse de Tunisie le 09 - 08 - 2020


Par Dr Ezzeddine Larbi (1)
Professeur agrégé d'économie
Aujourd'hui pour sauver le monde de la pandémie, il a fallu sacrifier l'économie. Voilà la situation redoutable que les décideurs de tous les pays, y compris la Tunisie, ont à affronter.
Quelques réflexions sont présentées concernant cinq questions clés sur la pandémie de Covid-19 et ses conséquences:
L'ampleur du choc Covid-19 et son impact sur la croissance
La crise engendrée par la pandémie ne ressemble à aucune autre. Il s'agit de la pire crise depuis la Grande Dépression des années 30 et la récession mondiale de 2008 — qui ont été déclenchées par des effondrements financiers débordant sur la demande et ont nécessité une relance. La crise de Covid-19 a commencé par un choc de l'offre —la production a chuté alors que les travailleurs restaient chez eux— et a été suivie d'un choc de la demande alors que les revenus diminuaient.
Bien que le bilan final soit encore incertain, la pandémie entraîne et entraînera des contractions dans la plupart des pays avancés, des marchés émergents et des économies en développement. Elle aura également des effets durables sur la productivité du travail et la production potentielle. Les priorités immédiates des pouvoirs publics sont d'atténuer les coûts humains ainsi que les pertes économiques à court terme.
L'activité économique dans les économies avancées devrait décliner de 8% en 2020, sous l'effet des graves perturbations qui ont frappé l'offre et la demande intérieures, ainsi que les échanges et la finance. Le groupe des pays émergents et en développement devrait connaître une contraction de son PIB de 3% en 2020. Il en résultera une diminution de 3,6% des revenus par habitant, ce qui fera basculer des millions de personnes dans l'extrême pauvreté cette année, et compromettra les progrès considérables qui ont été accomplis en matière de réduction de l'extrême pauvreté dans le monde depuis les années 90.
Plus de 12.000 milliards de dollars prévus de perte cumulée pour l'économie mondiale à cause de la pandémie de coronavirus.
Pour certains pays, notamment en Europe, la contraction du produit intérieur brut est vertigineuse : -12,5% pour la France, -12,8% pour l'Espagne et l'Italie.
Pour l'heure, aucun pays n'échappe au pessimisme ambiant à commencer par la Chine, d'où est parti, fin 2019, le virus mortel. La croissance du géant asiatique ne sera que de 1%.
Le PIB de la première puissance du monde va s'effondrer de 8%. La crise sanitaire va être encore plus dévastatrice pour les Etats-Unis, dépourvus de filets de sécurité sociale et malgré les gigantesques plans d'aide du gouvernement (quelque 3.000 milliards de dollars).
Partout ailleurs dans le monde, des chiffres catastrophiques : -10,2% pour les pays de la zone euro et pour le Royaume-Uni, -9,4% dans la région d'Amérique latine et des Caraïbes, -8% en Afrique du Sud, -5,8% au Japon, -4,7% en Asie centrale ou encore -4,5% en Inde. Les économies de la région Mena vont se contracter en moyenne de 5,7%, en 2020. En Tunisie les estimations officielles projettent une contraction de 6,5% à 7%.
Un degré élevé d'incertitude entoure» ces prévisions, alors que l'épidémie n'est pas terminée et que des foyers resurgissent là où elle semblait endiguée. Les perspectives sont très incertaines, et dominées par des risques de détérioration, dont notamment une pandémie plus longue qu'anticipé, un désordre financier durable et un affaiblissement du commerce mondial et des chaînes d'approvisionnement. Les pays les plus vulnérables sont ceux dont les systèmes de santé sont défaillants, ceux qui sont tributaires des exportations de produits de base et ceux qui sont grevés par des niveaux élevés de dette souveraine et d'endettement des entreprises.
En raison de leur plus grande vulnérabilité, il est absolument essentiel que les économies en développement renforcent leurs systèmes de santé publique, mais aussi qu'elles répondent aux problèmes posés par la prédominance du secteur informel et le manque de filets de protection sociale et qu'elles engagent des réformes qui permettent d'assurer une croissance vigoureuse, inclusive et durable une fois la crise sanitaire endiguée.
La crise de Covid-19 est une crise de préparation ou de manque de préparation en matière de capacités sanitaires, administratives et stratégiques. La crise a mis en évidence d'autres failles sociales et économiques dans les économies avancées et en développement. Il existe notamment deux lignes de faille qui sont particulièrement importantes pour les pays en développement notamment du Moyen-Orient et d'Afrique :
Du dédoublement des marchés à la polarisation
La plupart des travailleurs des pays en développement, y compris ceux du Moyen-Orient et d'Afrique, travaillent dans le secteur informel. Dans les économies avancées, la polarisation se situe entre les travailleurs hautement et peu qualifiés du secteur formel. À la suite des mesures de confinement, des tensions sont apparues dans les économies avancées, car les personnes peu qualifiées ne pouvaient pas travailler à distance et risquaient donc plus d'être mises à pied, licenciées ou exposées au virus sur le lieu de travail que les travailleurs hautement qualifiés qui pouvaient travailler plus facilement à domicile. Les mesures de confinement destinées à empêcher la propagation du virus ont ainsi accru la pauvreté et exacerbé les inégalités dans les économies en développement et avancées, même si les pays plus riches pourraient fournir plus de protection.
De la concurrence déloyale
De nombreux pays en développement, y compris ceux du Moyen-Orient et d'Afrique, souffrent à la fois du capitalisme de copinage et des grandes entreprises publiques (SOE) qui sont de grands employeurs. Les deux ont un accès démesuré aux marchés et au crédit, et évincent les petites et moyennes entreprises (PME), ce qui oblige une grande partie de la main-d'œuvre à entrer dans le secteur informel. De nombreuses entreprises publiques des pays en développement couvrent à peine le coût de leur dette et ont des capacités limitées. Ces soi-disant «entreprises zombies» font qu'il est pratiquement impossible pour les économies d'innover pour sortir de la crise. Si les économies avancées partent d'un niveau de concurrence beaucoup plus élevé, elles affichent une baisse de la concurrence liée à la montée en puissance des géants du numérique et d'autres industries de réseau (Google, Apple, Facebook et Amazon).
Pays en développement : des conséquences aux réponses immédiates
La pandémie a touché les pays en développement par plusieurs canaux de transmission :
Sorties de capitaux et instabilité financière
Le capital a fui de nombreux pays en développement pour ce que les investisseurs considèrent comme des actifs plus sûrs dans les économies avancées. Les investissements directs étrangers (IDE) ont également chuté, reflétant la méfiance des investisseurs quant à l'avenir. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les IDE de janvier à mai 2020 représentaient la moitié de ce qu'ils étaient pendant la même période en 2019.
Perturbation du commerce et des chaînes d'approvisionnement mondiales
Les inquiétudes concernant la sécurité d'accès aux principaux produits pharmaceutiques, équipements médicaux et aliments ont conduit à la thésaurisation, ce qui a créé des pénuries et une hausse des prix. Cela a conduit à des appels au rapatriement de la production d'équipements clés.
Baisse du tourisme et des envois de fonds
La fermeture des frontières et les mesures de confinement ont limité la circulation des personnes. Une chute de 60 à 80% du nombre des touristes internationaux pour l'année 2020, avec des pertes pouvant atteindre au total 910 à 1.200 milliards de dollars avec la mise en danger de 100 à 120 millions d'emplois directs dans le tourisme. Les envois de fonds devraient chuter de 20% en 2020. Pour certains pays, dont certains au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, le tourisme peut être important. C'était l'équivalent de 25% des exportations en Egypte, 41% en Jordanie en 2018, et 30% en Tunisie.
Tous les pays peuvent-ils faire «tout ce qu'il faut» pour faire face à la pandémie?
La «guerre» au virus se déroule aussi sur le terrain de l'économie. Gouvernements et banques centrales sont montés au créneau pour soutenir les marchés ainsi que les entreprises.
Les économies en développement et avancées ont eu recours à des mesures de politique budgétaire et monétaire non seulement pour financer la réponse sanitaire au virus, mais aussi pour prévenir un effondrement de la consommation et pour protéger le tissu économique — y compris les PME. Les politiques visent également à éviter le chômage de masse en subventionnant les employeurs qui maintiennent les travailleurs sur la liste des salariés.
La plupart des économies avancées ont utilisé des politiques fiscales et monétaires pour financer la réponse sanitaire, apporter un soulagement aux entreprises et aux particuliers et injecter des liquidités dans leurs systèmes financiers. Là où l'inflation n'est pas un problème, la monnaie d'hélicoptère (essentiellement imprimée par une banque centrale) a été utilisée, tout comme l'assouplissement quantitatif et l'achat direct de dette souveraine par les banques centrales.
Aux Etats-Unis, l'adoption en urgence d'un plan d'ampleur inédit —3.000 milliards de dollars et 6.000 milliards si l'on inclut les aides de la FED —Banque centrale— Ce plan va agir «beaucoup plus comme un stabilisateur ou même un garrot» que comme un stimulant de l'économie. En d'autres termes, il va permettre d'arrêter l'hémorragie alors que des millions de personnes sont en train de perdre leurs emplois.
Notons qu'en moyenne, les mesures fiscales prises par les pays industrialisés développés pour faire face à la pandémie représentaient 20% du PIB. Parmi les économies émergentes, ce chiffre est tombé à 5%. Il y a un risque énorme de naufrage des pays émergents avec des ressources budgétaires limitées. Les gains réalisés en deux ou trois décennies risquent de s'effondrer avec des conséquences pas simplement économiques mais sociales et politiques voire géopolitiques.
Pour les économies en développement et les pays les plus pauvres, le chiffre est à peine de (1%) un pour cent. Les pays en développement sont confrontés à des contraintes massives sur leur capacité à faire tout ce qui est nécessaire pour arrêter la propagation du virus et apporter des secours à leur population dont beaucoup travaillent dans le secteur informel.
De plus, les pauvres des pays en développement sont touchés de manière disproportionnée par les maladies infectieuses, de sorte que la nécessité d'une intervention gouvernementale n'est pas seulement pour l'efficacité, mais aussi pour l'équité.
Pour financer les efforts visant à contenir le virus, les moyens tels que l'augmentation des impôts, l'impression d'argent ou l'emprunt sont limités dans les économies en développement. En raison des coûts d'emprunt prohibitifs auxquels la plupart des pays en développement sont confrontés sur les marchés internationaux et du niveau déjà élevé de la dette libellée en devises étrangères, la communauté internationale joue un rôle essentiel.
Le FMI se dit d'ailleurs prêt à utiliser sa capacité de prêt de 1.000 milliards de dollars pour aider ses pays membres, en particulier les pays en développement à faible revenu. Plus de 90 pays en développement et à faible revenu ont sollicité et obtenu un financement d'urgence auprès du FMI. Le Groupe de la Banque mondiale prévoit par ailleurs de déployer jusqu'à 160 milliards de dollars au cours des 15 prochains mois en vue de soutenir l'adoption de mesures qui aideront les pays à affronter les conséquences immédiates de la pandémie de Covid-19 et favoriser le redressement de l'économie.
Et quid de la Tunisie ?
Comme tous les pays du monde, la Tunisie a été appelé à mobiliser des ressources importantes et exceptionnelles pour : faire face à la catastrophe sanitaire, humanitaire, sociale et économique ; préserver son capital humain et social (santé, préservation de l'équilibre des travailleurs dont les revenus sont perdus et soutenir les plus affectés surtout les couches les plus vulnérables) ; et préserver le tissu économique des entreprises et institutions qui produisent les richesses et qui seraient appelées à reprendre leurs activités pour employer, payer les impôts et créer la croissance.
Un plan d'urgence de 2,5 milliards de DT (0,71 milliard de dollars ou 1,8% du PIB) a été annoncé le 21 mars. Le paquet comprend le report des paiements de l'IS, d'autres taxes et cotisations sociales, des exonérations de TVA, des procédures de remboursement de TVA et d'accélération des remboursements, un rééchelonnement des taxes et des douanes arriérées, et autres afin de fournir des liquidités au secteur privé, en limitant les licenciements et en protégeant la population la plus vulnérable, en particulier dans le secteur informel.
Le plan comprend également une extension de l'allocation budgétaire pour les dépenses de santé ainsi que la création d'un fonds de 100 millions de TND pour l'acquisition d'équipements pour les hôpitaux publics. Sur le plan social, cela inclut également les transferts monétaires pour les ménages à faibles revenus, les personnes handicapées et les sans-abri (450 millions de DT pour trois mois).
Sur le plan macro-financier, la Banque centrale a réduit son taux directeur en mars de 100 pb. La BCT a annoncé un train de mesures pour soutenir le secteur privé, en demandant aux banques de différer les paiements sur les prêts existants et de suspendre les frais de paiement et de retrait électroniques. La Banque centrale a également demandé aux banques de reporter le remboursement des crédits par les salariés pour une période de 3 ou 6 mois, en fonction du niveau de revenu net. Par ailleurs, le gouvernement a annoncé un ensemble de mesures financières comprenant la création de fonds d'investissement (600 millions TND), une garantie de l'Etat pour les nouveaux crédits (500 millions TND), l'activation d'un mécanisme permettant à l'Etat de couvrir la différence entre le taux directeur et le taux d'intérêt effectif des prêts d'investissement dans la limite de 3%.
Plusieurs questions prioritaires nécessitent de vrais débats au niveau national afin d'arriver à un consensus sur des orientations et choix fondamentaux notamment sur le rôle du secteur privé; sur le développement régional, sur le rôle de l'innovation, le numérique et la création, sur la justice sociale et la justice fiscale, sur la répartition des richesses, sur la recherche des rentes, des privilèges des positions dominantes, sur la corruption. Il est hasardeux de vouloir résoudre ces problèmes clés pendant une crise aussi sévère que traverse le pays.
Sur le plan politique, le régime en place doit être redéfini. Le mode de scrutin en général devrait être révisé. Des réaménagements techniques doivent être apportés à la Constitution et au règlement intérieur de l'ARP. La Constitution a mis en place un régime hybride.
En effet le régime actuel n'est ni parlementaire, ni présidentiel, ni d'assemblée. Il ne se base ni sur une réelle séparation ni sur une réelle interférence de pouvoirs. Dans ce type de régime, le chef de gouvernement se trouve dans l'incapacité de prendre des décisions salutaires pour le pays et de mobiliser les moyens nécessaires pour exécuter réellement sa politique.
La responsabilité politique est en effet un canal déterminant par lequel le capital social peut améliorer le bien-être économique et le fonctionnement des institutions. Pour notre pays, la question de fond est donc de savoir quelles seraient les circonstances susceptibles de modifier substantiellement les règles du jeu à court terme et dans les années à venir pour baliser et tracer les voies de la rigueur et de la relance.
A court terme et quels que soient les décideurs au plus haut niveau, conservateurs, de droite ou autres, la réalité économique mènera inéluctablement aux négociations, négocier aussi bien avec le FMI qu'avec la Banque mondiale ou d'autres bailleurs de fonds pour financer les déficits budgétaires et courants ainsi que leur appui aux projets d'investissement. Les appuis des bailleurs de fonds demandés seraient axés sur les résultats contrairement aux appuis budgétaires généraux qui sont fongibles. Ces programmes axés sur les résultats «P4R» sont de nouveaux instruments qui se situent entre les appuis au Budget et les financements de projets. Les ressources sont décaissées en fonction des résultats réalisés et certifiés par des institutions indépendantes.
Ce genre de programme est très fondamental pour un pays comme la Tunisie qui a besoin de ressources qui seraient exclusivement allouées aux résultats réalisés d'un programme d'appui au développement durable et inclusif.
La Tunisie gagnerait à en finir avec une transition qui perdure depuis 2011. Il faut des décideurs de courage et de compétences au plus haut niveau de l'Etat. L'autorité pour rétablir celle d'un Etat affaibli, car presque tous les dossiers revêtent un caractère d'urgence absolue. Raison de plus pour se tenir à distance des partis, un gage d'indépendance et d'objectivité qui rassurerait une population échaudée par les conflits partisans.
La Tunisie saura éviter une perspective sombre par la mise en place dans les meilleurs délais de la trame de mesures urgentes de réformes économiques et sociales. Ceci donnerait un signal fort permettant d'espérer un rapide rétablissement de la stabilisation économique et permettrait au pays de concrétiser et utiliser tout son potentiel pour rétablir la confiance, relancer véritablement la croissance, répondre aux aspirations de ses citoyens, développer ses régions.
On ne peut pas raisonner comme au temps de la Tunisie d'auparavant, le jeu n'est plus exclusivement tunisien. Refuser au nom de considérations idéologiques précédentes d'avancer dans les réformes, c'est se priver maintenant d'opportunités de création de richesse et d'emploi pour le pays.
Comme en temps de guerre, pendant cette grande crise, le plus urgent est l'impératif de solidarité, ce n'est pas en temps de guerre que les confrontations et les différences d'approche peuvent être résolues au mieux. Ce contexte fait ressortir très clairement l'urgence de la mise en œuvre par les décideurs, au plus haut niveau de l'Etat, d'actions vigoureuses pour juguler de manière irréversible la crise actuelle et s'accorder sur la nécessité d'un compromis et d'un sursaut national sinon cela revient à ne pas porter assistance et secours à une économie et un modèle social, si perfectible soit-il, en danger.
L'impératif est de mobiliser les ressources exceptionnelles pour financer les besoins de préservations du capital humain, suivi de politiques économiques et sociales adéquates qui aideront le rebond/relance en agissant essentiellement sur l'offre/production avec une coordination étroite entre politique budgétaire et monétaire, des réallocations des ressources de manière à aplatir la courbe des faillites des entreprises, réformer le marché du travail et s'adresser aux inégalités notamment de revenu, régionale, intergénérationnelle ainsi que des risques sociaux.
En Tunisie, les résultats des élections présidentielles en particulier signalent que le modèle de développement actuel a atteint ses limites pour un grand nombre de citoyens et qu'un nouveau modèle de développement s'impose.
Avec une approche participative, le premier levier semble la réduction des inégalités, la fourniture des services de base tels que l'éducation, la santé, les infrastructures de base, l'emploi, suivi de l'amélioration du climat des investissements comme second levier qui est un objectif important pour le développement économique et social de la Tunisie. La régionalisation semble désormais constituer un tournant décisif dans la gouvernance territoriale en Tunisie.
De ce fait, les prérogatives des régions gagneraient considérablement à être élargies au niveau des attentes et seront prêtes à devenir le moteur de la mise en œuvre des politiques sectorielles et le catalyseur des synergies entre l'ensemble des acteurs économiques agissant sur le territoire. Grâce à l'instauration de nouveaux mécanismes de la «démocratie participative», les régions peuvent également devenir l'espace par excellence pour la participation active de la population à la gestion des affaires régionales et à l'effort de développement territorial.
C'est l'approche «Bottom-up». La déclinaison des plans locaux et régionaux est d'assurer un déploiement du processus de régionalisation à un développement territorial équitable, équilibré, inclusif et adapté aux spécificités de chaque région selon les vœux exprimés par les citoyens. Ainsi, la région deviendra un pôle économique capable de créer de l'emploi, de valoriser ses richesses et de soutenir ses secteurs productifs pour assurer une croissance inclusive, au service du citoyen.
Qu'en est-il de la mondialisation et de la technologie ?
La crise de Covid-19 soulève la question de savoir si la mondialisation a atteint son apogée. Les deux dernières décennies ont été impactées par deux chocs d'offre positifs à savoir la mondialisation et la technologie. Maintenant, la mondialisation va devenir déglobalisation (protectionnisme, et fragmentation) donc un choc négatif et la technologie ne sera plus la même : la rivalité stratégique entre la Chine et les Etats-Unis et les guerres commerciales sont à l'origine de ces tendances. Et cette prédiction de la déglobalisation est elle-même ancrée dans l'idée que les Etats-Unis et la Chine sont enfermés dans un piège de Thucydide, dans lequel les tensions géopolitiques entre une puissance dominante et montante vont submerger.
La rivalité stratégique sur la technologie 5G entre les Etats-Unis et la Chine confronte les pays à un choix entre les deux superpuissances : la 5G non chinois coûterait 50% plus cher. C'est l'âge de «Splinternet», internet fragmenté, qui peut entraîner la détérioration des régimes démocratiques, des marchés libres et ouvert et davantage de corruption.
La pandémie accélérera probablement la pression pour localiser les industries stratégiques telles que les produits pharmaceutiques, l'agro-industrie et la technologie.
Pour profiter de l'opportunité offerte par la délocalisation, les pays du Moyen-Orient et d'Afrique devraient à la fois améliorer leur environnement commercial et poursuivre l'intégration régionale. Ils doivent régionaliser leurs programmes de concurrence et de réglementation. Ils pourraient également envisager un régulateur numérique régional. Ce serait difficile politiquement mais cela en vaut la peine. Les régulateurs régionaux ont les meilleures chances de libérer le plein potentiel des pays en développement.
La réponse numérique au travail à domicile résultant de la pandémie a été impressionnante dans les économies avancées, mais également dans les pays en développement. Pourtant, la mauvaise qualité d'Internet dans les pays en développement risque d'accentuer la fracture numérique. Encore une fois, la pandémie a accéléré les tendances vers les petits détaillants vendant en ligne, l'apprentissage à distance, la vidéoconférence, le streaming vidéo et les jeux.
Qu'en est-il des perspectives ?
La récession du coronavirus sera suivie d'une reprise terne. Les marchés financiers voient manifestement un avenir beaucoup plus radieux . Comme mentionné, il y a une relance monétaire massive et une relance budgétaire massive dans les pays développés. Les gens s'attendent à ce que les nouvelles de la contagion s'améliorent et qu'il y ait un vaccin à un moment donné. Et il y a un élément «FOMO» [peur de rater]; il y a des millions de nouveaux comptes en ligne —des chômeurs assis à la maison faisant du day-trading— et ils jouent essentiellement sur le marché sur la base du sentiment pur.
A mon avis, il y aura une correction significative une fois que les gens se rendront compte que la reprise sera en forme de U pour ne pas dire W ou L alors que les marchés financiers semblent envisager une reprise en forme de V.
La délocalisation ne ramènera pas réellement des emplois, mais accélérera seulement l'automatisation. Le travail par les robots, l'automatisation, et l'Intelligence Artificielle entraîneront une augmentation de la productivité avec des bénéfices supérieurs.
Le marché, tel qu'il est actuellement ordonné, va rendre le capital plus fort et le travail plus faible. Donc, pour changer cela, il faut investir dans les employés. Donnez-leur une éducation, un filet de sécurité sociale — donc s'ils perdent leur emploi à cause d'un choc économique ou technologique, ils reçoivent gratuitement une formation professionnelle, des allocations chômage, des prestations sociales, des soins de santé. Sinon, les tendances du marché vont impliquer davantage d'inégalités de revenu et de richesse. Beaucoup peut être fait pour le rééquilibrer.
Le monde a besoin d'un leadership mondial afin d'étendre les ressources nécessaires aux pays qui en ont le plus besoin. Ce leadership doit venir des deux plus grands du monde — Chine et USA. Les Etats-Unis et la Chine doivent «prendre les devants» et assurer le leadership mondial à un moment où les pays les plus pauvres du monde sont en difficulté à cause de la pandémie.
Les élections présidentielles américaines de novembre pourront constituer le «tournant» lorsque les deux pays parviendront à un dialogue. J'espère que d'autres pays, les plus petites démocraties du monde, peuvent les pousser à se réunir dans une sorte de dialogue.
Ainsi, après des années très difficiles, voire de misère, nous espérons arriver à développer un ordre international plus inclusif, coopératif et stable. Toute fin heureuse suppose que nous trouvons un moyen de survivre aux temps difficiles à venir.
Dr Ezzeddine Larbi, Ph.D
Professeur Agrégé d'Economie : Faculté de Droit et des Sciences politiques et économiques et I.H.E.C Tunis
Ph.D en économie, Université de Californie, Los Angeles; Diplômé de Harvard, USA.
Consultant et Ancien Economiste en Chef à la Banque Mondiale et à la BAD


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