Il est difficile d'évaluer l'ampleur de la corruption en Tunisie qui touche tous les secteurs, sans exception Pas plus de 390 mille dinars. C'est le budget attribué à l'Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) pour lutter contre la corruption à l'échelle nationale, soit quatre fois moins que le budget de certaines associations, a déploré M. Samir Annabi, président de l'Inlucc, lors de la conférence nationale qui a été organisée à l'occasion de la célébration de la Journée internationale de la lutte contre la corruption. Or il faudrait bien plus pour lutter contre un phénomène devenu fléau et qui a étendu ses tentacules, finissant par gangréner une partie des rouages de l'Etat. Créée par le décret-loi de 2011, l'instance indépendante ne dispose ni des compétences ni de ressources financières suffisantes pour mener des actions efficaces destinées à lutter contre la corruption. Sans compter qu'il existe de nombreuses entraves qui rendent difficiles l'adoption de stratégies efficientes: absence de base de données sur les secteurs et les administrations touchées par la corruption, manque de coordination entre les instances de l'Etat et la société civile, absence de chiffres précis sur l'ampleur qu'a pris le phénomène en Tunisie. Pourtant, sur le plan juridique, plusieurs lois ont été adoptées suite à la signature par la Tunisie de la convention des Nations unies contre la corruption qu'elle a ratifiée en 2008. Mais, la réglementation n'a pas été suffisamment répressive pour mettre un frein aux pratiques déloyales et à la corruption qui a fini par se banaliser dans les administrations publiques. L'absence de mécanismes de contrôle interne et le silence tacite des responsables au sein des administrations publiques qui ferment les yeux sur les pots-de-vin perçus soit pour la conclusion de transactions commerciales ou pour accélérer certaines procédures administratives au profit de clients ont favorisé la corruption dans tous les secteurs. Mais il est difficile, aujourd'hui, d'évaluer précisément l'ampleur de ce phénomène qui comprend le simple pot-de-vin délivré pour décrocher un poste d'emploi dans une administration publique à l'acquisition illicite de biens fonciers par des hauts fonctionnaires de l'Etat en passant par les sommes importantes délivrées par des hommes d'affaires et des promoteurs pour obtenir des appels d'offres sur les marchés local et international. « La corruption est un processus criminel et destructeur qui menace aujourd'hui la Tunisie et sa sûreté au même titre que le terrorisme», a relevé, à ce propos, Kamel Jendoubi, ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile, qui a souligné que la corruption et la mauvaise gouvernance ont généré une baisse, comprise entre 2 et 4%, du taux de croissance. Décentraliser et numériser davantage l'administration Certes, des outils et des instances ont été créés par l'Etat pour dénoncer les pratiques déloyales et doter les citoyens de moyens leur permettant de signaler, porter plainte et d'obtenir des jugements en leur faveur, à l'instar de l'Instance vérité et dignité qui a reçu près de 3.000 doléances portant, entre autres, sur des affaires de corruption. Mais, Selon Sihem Ben Sedrine, la présidente de l'Instance, certains outils, tels que l'outil de redressement et de sauvetage des entreprises en difficulté, a été détourné de sa fonction première, entraînant la faillite d'hommes d'affaires dont les biens ont fini par être usurpés par des administrateurs judiciaires sous couvert de décisions administratives et judiciaires. « Au lieu de conférer davantage de visibilité et de transparence, certains outils mis en place ont permis à la corruption de s'étendre, a affirmé Mme Ben Sedrine. Il faut une meilleure coordination entre les outils qui ont été mis en place pour lutter contre les pratiques déloyales », ajoutant, par ailleurs, que la rente du clientélisme se nourrit du monopole de l'administration, d'où la nécessité aujourd'hui de décentraliser et de numériser le plus grand nombre d'actes et de procédures administratifs afin de mettre un frein au comportement déloyal au sein des administrations publiques. Les résultats du diagnostic qui a été réalisé en 2013 sur la corruption en Tunisie ont montré que la mauvaise gouvernance et la corruption ont freiné la hausse du taux de croissance. Qui plus est, l'absence d'une culture de l'évaluation, la mauvaise qualité de l'approche participative, la carence de l'information qui ne circule pas entre les organismes concernés, le manque de coordination entre les instances et les structures de l'Etat et la faiblesse de la redevabilité (rendre des comptes) qui favorise l'impunité des corrompus s'opposent à la mise en place de mécanismes de bonne gouvernance. « Nous avons procédé à un diagnostic et à une évaluation de l'état des lieux, a relevé M. Tarek Bahri, directeur général chargé des services de la gouvernance et de la prévention de la corruption à la présidence du gouvernement. Il est temps de passer au concret, aux mesures d'application afin de lutter contre la corruption. Il faut plus de visibilité, de coordination. Il faut mettre en place des cellules de bonne gouvernance dans tous les secteurs. Il faut également prévoir des programmes spécifiques de lutte contre la corruption dans les régions ». De son côté, intervenant sur le rôle des associations dans la lutte contre la corruption, M. Tarek Marzouk, président de l'Association «Touenssa», a affirmé que les associations ont échoué à constituer un réseau afin de renforcer leur action dans la lutte contre la corruption, critiquant, par ailleurs, le fait qu'elles n'aient pas de fil conducteur, de vision ni de stratégie qui permettent de jouer un rôle efficace dans la lutte contre les pratiques déloyales. « C'est pour cette raison que les efforts des associations afin de contribuer à encourager la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption n'ont donné aucun résultat. L'éparpillement des efforts n'a finalement abouti à rien ». Trois projets de loi Dans le cadre légal de la mise en place de la bonne gouvernance et pour garantir davantage de transparence, trois projets de loi ont été élaborés, à savoir le projet de loi relatif à la déclaration du patrimoine, le projet de loi sur l'enrichissement illicite et le projet de loi relatif à la protection des porteurs d'alerte. Le projet de loi sur la déclaration du patrimoine s'inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de l'article 11 de la constitution qui stipule qu' « il incombe à toute personne investie des fonctions de président de la République, de chef de gouvernement, des membres de l'Assemblée des représentants du peuple, des membres des instances constitutionnelles indépendantes ou de toute autre fonction de procéder à une double déclaration de ses revenus: la première, avant d'occuper le poste pour lequel il a été désigné, la deuxième en quittant ses fonctions. Le projet de loi sur l'enrichissement illicite vient en application de l'article 20 de la Convention des Nations unies contre la corruption qui stipule : « Sous réserve de sa constitution et des principes fondamentaux de son régime juridique, chaque Etat partie envisage d'adapter les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d'infraction pénale lorsque l'acte a été commis intentionnellement à l'enrichissement illicite, c'est-à-dire une augmentation substantielle du patrimoine d'un agent public que celui-ci ne peut justifier raisonnablement par rapport à ses revenus légitimes ».