La région de Kasserine tout comme les régions du Centre-Ouest connaissent les taux développementaux les plus faibles en Tunisie. Le forum tunisien des droits économiques et sociaux ( FTDES ) et Avocats sans frontières ( ASF ) ont organisé, récemment, une conférence pour exposer le dossier de la région de Kasserine comme «région- victime» d'une politique ségrégative, fondée sur la discrimination et la disparité des chances entres régions intérieures et villes côtières. Ce dossier a été transmis, en juin 2015, à l'Instance de la vérité et de la dignité (IVD) afin de pousser cette institution à accélérer la mise en application de la loi de justice transitionnelle et de faire régner l'équité sur toutes les régions sans exception. Ce coup de pouce de la société civile rappelle l'Instance, mais aussi, l'Etat à leurs responsabilités respectives et à la concrétisation des promesses signifiées à l'aube des événements du 14 janvier 2011. Encore faut-il souligner que la loi sur la justice transitionnelle avait introduit la notion «région-victime» dans le but de reconnaître les injustices et les inégalités dont ont été victimes les Tunisiens relevant des régions marginalisées et de procéder, ensuite, à la réhabilitation des composantes nécessaires à une vie digne, à savoir des programmes développementaux à même de combler la faille développementale dans ces régions et d'assurer l'égalité des chances pour tous. Ainsi, la société civile, au nom des kasserinois, recommande la substitution du processus de marginalisation par un processus de justice transitionnelle. Une offense institutionnelle confirmée Le présent dossier a été élaboré en s'appuyant sur des indicateurs atterrants. Des indicateurs et indices traduisant le retard développemental et institutionnel propre à la région de Kasserine. En effet, Kasserine connaît l'indice de développement le plus bas, à savoir 0,16 contre 0,76, à Tunis. Elle est marquée, également, par l'indice de développement humain le plus modique. Le taux du chômage est quasiment le double du taux national ; soit 26,2% contre 17,6%. La précarité y est prépondérante, faute évidemment de sources de revenus. Face à l'absence de projets développementaux et d'investissements susceptibles d'absorber les cadres supérieurs et la main-d'œuvre, les kasserinois n'ont d'autres alternatives que de chercher leur gagne-pain dans les villes favorisées, sinon succomber, contraints, au chômage. Même les PME implantées à Kasserine sont restreintes. Leur taux ne dépasse pas les 0,2 contre 3,1 à Tunis. Ces zones, de par leurs faibles taux développementaux, ne séduisent pas les investisseurs. Ces derniers hésiteraient mille fois avant d'implanter des projets prometteurs dans des zones où l'infrastructure de base et la plateforme économique font défaut. Le retard développemental en indicateurs Kasserine mais aussi toutes les régions du Centre-ouest connaissent des lacunes avilissantes, car relatives aux composantes élémentaires d'une vie digne. Jusqu'à nos jours, la couverture en eau potable reste partielle et se limite à 50% alors qu'elle s'élève à 90% à Tunis. Le taux de branchement des ménages au réseau d'assainissement y est faible. Autre lacune : le déficit d'accessibilité aux routes classées, soit 17% seulement contre 30% sur le plan national. Quant à l'accès des ménages au réseau internet il se limite à seulement 3%. S'agissant de l'accès des Tunisiens habitant les régions du Centre-ouest aux prestations sanitaires, il reste freiné par moult obstacles d'ordre organisationnel, matériel et institutionnel. En effet, le taux de couverture médicale se traduit par 0,4 médecin pour mille habitants. La capacité d'accueil des hôpitaux est bien en deçà des exigences de la population. L'inaccessibilité aux services de soins impacte sur la qualité de vie des habitants de la région. Si l'espérance de vie à Tunis et à Sfax est de 77 ans, elle est inférieure à 70 ans dans les régions du Centre-ouest. Quant à la mortalité maternelle et infantile, elle y est nettement supérieure à celle enregistrée au niveau national, soit 23,6%contre 17,8%. Par ailleurs, et pour ce qui est de l'accès à l'éducation, l'importance du taux d'analphabétisme (32% contre 12% à Tunis) reflète la défaillance d'un système éducatif en mal d'aboutissement. L'abandon scolaire, une autre manifestation du hic éducatif, prend de l'ampleur. On note un taux de déscolarisation de 4% contre 0,1% à Ben Arous et 0,3% à l'Ariana. Toutes ces disparités ont été instaurées, approfondies et légitimées même par une politique de centralisation, dont les principaux piliers sont la discrimination socioéconomique. Une marginalisation voulue, qui a généré moult antivaleurs comme le favoritisme, la corruption et le népotisme ; des notions à bannir et à remplacer par des valeurs constitutionnelles et démocratiques comme la décentralisation, la bonne gouvernance et l'autonomie locale. Des solutions prometteuses et applicables Le présent dossier et bien d'autres encore ont été remis à l'IVD afin que celle-ci puisse analyser la situation et avancer des recommandations à même de garantir le redressement socio-économique dans les régions sinistrées et d'éviter, désormais, de retomber dans le piège de la marginalisation et de l'inégalité des chances. Des mesures qui devraient épouser les principes de la justice transitionnelle dont l'implication de la population cible et de la société civile dans l'élaboration des futurs programmes et plans développementaux ainsi que le respect du principe de la bonne gouvernance et de l'autonomie financière et administrative des collectivités locales. Le dossier comprend, en outre, une panoplie de mesures suggérées se référant à l'état des lieux socioéconomique, environnemental et culturel ainsi qu'aux recommandations formulées dans le cadre du Livre Blanc du ministère du Développement régional et de la Planification et sur les axes de priorité du plan régional du développement durable. Le Ftdes et l'ASF proposent l'adoption de mesures d'encouragement à l'investissement et à la dynamique économique et à l'option pour un nouveau mode de gouvernance répondant favorablement aux exigences de la région. Il est également temps d'intégrer ces régions dans le circuit touristique et de tabler sur le tourisme alternatif, voire culturel et archéologique. Les richesses de la terre devraient être valorisées dans le cadre notamment d'une vision futuriste du secteur agricole ; une vision fondée sur la multifonctionnalité de ce secteur stratégique voire basique. Le Centre-ouest est, par ailleurs, dans un besoin urgent de bénéficier d'un réseau de transport à même de faciliter et le déplacement et l'ouverture des régions sur le monde de l'investissement. En parallèle, le comblement des failles infrastructurelles, dont l'accès à l'eau potable, au réseau d'assainissement et au réseau internet, s'avère être élémentaire à la garantie d'un climat pro-développemental. Le Ftdes recommande aussi l'augmentation des capacités hospitalières, la focalisation sur les prestations sanitaires ambulatoires ainsi que l'optimisation des prestations par le biais, entre autres, du renforcement des ressources matérielles et humaines. L'amélioration des indicateurs éducatifs est possible grâce à l'adoption de mesures de soutien scolaire en faveur des familles nécessiteuses, la création de nouveaux établissements scolaires et universitaires.