Le moral du commun des Tunisiens est en berne. On ne voit guère le bout du tunnel. On s'abîme dans l'angoisse du lendemain. Et la classe politique, toutes composantes confondues, n'en finit pas de fatiguer. Dérouter même. Partout, le syndrome des Numides, les divisions, les scissions, les alliances et contre-alliances douteuses La locution populaire est si adéquate : «Tiir mahla freguik» (déguerpis, la séparation est si heureuse). On ne saurait mieux qualifier l'année 2015 qui s'apprête à rendre le tablier. Pourtant, tout portait à croire qu'il en serait différemment. L'année d'avant avait été relativement faste, malgré tout. Elle avait notamment enregistré la promulgation de la nouvelle Constitution, la proclamation du gouvernement des technocrates (gouvernement de Mehdi Jomâa) et la tenue des élections législatives et présidentielle. C'est dire si l'année 2015 devait commencer sous de bons auspices. Or, il n'en fut rien. Elle a été marquée par la multiplication des actions terroristes, spécialement les attaques meurtrières et ravageuses du Bardo (en mars), de Sousse (en juin) et de Tunis (en novembre). Les enquêtes tunisiennes et britanniques à ce propos ont révélé de graves défaillances sécuritaires, voire des compromissions. L'année 2015 fut aussi celle de la profonde récession économique, le taux de croissance avoisinant le zéro pour cent. Ce fut aussi celle de l'exacerbation des conflits partisans et corporatistes. Certes, dira-t-on, c'est bien en 2015 que le Quartette pour le Dialogue national a été récompensé par l'attribution du prix Nobel de la paix. Mais ce sont justement deux des principales composantes du Quartette, l'Ugtt et l'Utica, qui meublent en partie le décor de la crise. En effet, les centrales syndicale ouvrière et patronale s'abîment depuis l'été dans un dialogue de sourds, sur les augmentations salariales dans le secteur privé. Il en est résulté, pas plus tard qu'avant-hier, l'annonce d'une grève générale dans le Grand-Tunis le 21 janvier prochain. De sorte que les champions du Dialogue national se retrouvent en fin de compte au cœur de monologues antagoniques. Au bout du compte, la grande tare fut bel et bien le profil mi-figue mi-raisin du gouvernement de M. Habib Essid. A la veille de son investiture, Habib Essid avait promis pas moins de dix grands projets structurants au début de l'été, la mise au point du plan à la fin de l'été et la tenue d'une grande conférence internationale des donateurs à l'automne. Là aussi, il n'en fut rien. Aucune réforme n'a vu le jour. On s'est contenté de gérer la crise au petit bonheur la chance dans un bateau qui s'enfonce. Le terrorisme menace, l'économie s'écroule, le capital productif du pays périclite, le pouvoir d'achat s'érode, les classes sociales sont saignées à blanc. Les finances sont profondément affectées, les caisses sont à sec, au même titre que les investissements, les exportations et le tourisme. Le moral du commun des Tunisiens est en berne. On ne voit guère le bout du tunnel. On s'abîme dans l'angoisse du lendemain. Et la classe politique, toutes composantes confondues, n'en finit pas de fatiguer. Dérouter même. Partout, le syndrome des Numides, les divisions, les scissions, les alliances et contre-alliances douteuses. Nida Tounès et Ennahdha sont aux prises avec les démons des divisons internes. Nida est fragmenté en deux principaux clans et une constellation de coteries. Les institutions souveraines en pâtissent, le gouvernement, le Parlement, la présidence de la République. Nous quittons l'année 2015 dans la nuit et le brouillard. Certes, pour 2016, l'espoir est permis. Encore faut-il que le remaniement ministériel annoncé soit synonyme de véritable décollage. Et non point de redistribution des ingrédients de l'immobilisme, de la sclérose et de la crise. L'année 2015 est à oublier. Mais ceux qui oublient le passé semblent les plus enclins à le répéter.