La culture amazighe est bien ancrée dans la culture tunisienne, tout en étant non reconnue comme telle. Dans son premier discours de président de la République, le leader Habib Bourguiba avait prohibé la formation de tribus, dans l'optique d'unifier le peuple tunisien. La première Constitution était claire et nette : la Tunisie est, par définition, un Etat musulman. Sa langue est l'arabe. Depuis ce temps-là, la civilisation, la culture et la langue amazighes ont été mises en veilleuse, estompées, passées sous silence, cachées tel un détail ingrat. Après la révolution des jasmins, bon nombre de Tunisiens ont revendiqué la reconnaissance de l'identité amazighe, non pas pour passer l'éponge sur l'identité tunisienne telle qu'elle est connue et reconnue aussi bien par les Tunisiens que par la population mondiale, mais afin de rétablir cette part de l'Histoire qui est la nôtre. L'Association tunisienne de la femme amazighe a vu le jour le 10 octobre 2015. Il s'agit d'une association qui a pour objectif de faire reconnaître la culture amazighe en Tunisie ; cette culture qui fait la richesse et la spécificité des pays maghrébins, notamment l'Algérie et le Maroc. Elle tend également à valoriser cette culture en mettant en exergue ses composantes patrimoniales, ses us et coutumes. «Nous utilisons quotidiennement des produits, des appellations et des pratiques d'origine amazighe que nous rattachons à la culture arabe, ce qui est injuste. Nous aspirons dans notre association à valoriser la culture amazighe, non comme un folklore, mais plutôt comme un patrimoine», indique Mme Arbia Nour El Bez, présidente de l'association. Une culture bien ancrée La culture amazighe persiste au fil des siècles. Elle est décelable dans les noms des villes, des villages, des mets et des animaux. En effet, et selon Mme El Bez, toutes les villes et les localités qui commencent par un «t» sont amazighes, telles que Tamazret, Tataouine et Tajerouine. «Sejnane est amazighe par excellence. C'est une localité qui a préservé les spécificités de cette culture via la fabrication de la poterie, du margoum. Par ailleurs, poursuit-elle, nous continuons à véhiculer un lexique typiquement amazighe en employant des termes, comme "allouch" (mouton), "ghachir" (enfant), "fakroun" (tortue), "krouma" (cou), etc. D'ailleurs, Ibn Mandhour est amazighe d'origine. Il avait introduit beaucoup de termes amazighes dans Le Grand dictionnaire arabe». La férue de culture amazighe souligne que le dieu pharaonien Amoun était amazighe. De même pour la déesse Tanit, dont la capitale grecque Athènes porte le nom. Les Amazighes continuent, jusqu'à nos jours, à habiter autour des montagnes, dites «Nafoussa», qui s'étalent de la Libye jusqu'au Maroc. Cette population minoritaire communique entre elle en usant de plusieurs langues amazighes, dont la «chelha», le «chaoui», le «mzabi», «mzinati», « tamasheq» et «tergui». L'écriture amazighe, elle, est dite «tifinagh». «L'Association tunisienne de la femme amazighe vise à reprendre l'usage de la langue et de l'écriture amazighes. Nous comptons d'ailleurs organiser des cours en faveur des Tunisiens qui souhaiteraient renouer avec cette part de notre identité», renchérit notre interlocutrice. Une gastronomie ancestrale Outre les traces lexicales d'une culture vouée à l'oubli, l'association envisage de remettre en valeur les us et coutumes amazighes que les Tunisiens ont tendance à confondre avec les traditions arabes. L'art culinaire en dit long sur le caractère gourmet de nos aïeuls. Parmi les mets amazighes qui continuent de régaler les palais des plus gourmands, l'on compte le «couscous», la «bsissa», le «borghol», «l'assida», le «kadid», les variantes. Mme El Bez indique même que les «nwasser» (une pâte séchée, coupée en petits carrés et arrosée de sauce à la viande) sont d'origine amazighe et non andalouse. Elle s'appelait «tikrabiz». Le tatouage ou le langage du corps La culture amazighe est, en outre, présente dans les costumes traditionnels tunisiens. Les couronnes et le «kolkhal» en sont la preuve. Mme El Bez souligne, aussi, que le tatouage représentait une spécificité esthétique de la population amazighe, qui permettait de faire parler le corps via des signaux apparents et autres, intimes. Des signaux qui traduisaient l'attachement de la population au cosmos, à la nature et à la divinité. La plupart des signaux ont été, par la suite, adoptés par d'autres civilisations. C'est le cas, à titre indicatif, de l'étoile de David qui n'est autre que la combinaison de deux triangles fort symboliques : un triangle pointé vers le haut et un autre vers le bas. Le premier symbolise le feu et la virilité; le second, l'eau et la féminité. La croix symbolise l'œil de dieu. Celle gammée symbolise l'élan créateur. «Le tatouage constituait, de surcroît, une sorte de référence pour distinguer les tribus et les Amazighes des Arabes», renchérit-elle. Manifestement, la culture amazighe est bien ancrée dans la culture tunisienne. Elle s'avère être une richesse vécue et appréciée quasi spontanément, tout en étant non reconnue comme telle. «Il est temps de reconnaître cette spécificité, cette identité qui fait notre richesse. D'ailleurs, ce n'est qu'après la révolution que nous avons réussi à montrer l'étendard amazighe au grand jour. Notre objectif ne consiste aucunement à remplacer l'étendard national par celui amazighe. Ce dernier a une portée symbolique et rien d'autre : il symbolise l'attachement des Amazighes à leur environnement. Le sigle ou le centre de gravité du drapeau symbolise le déchaînement et la liberté», ajoute Mme El Bez. Et d'ajouter non sans fierté que «Tunis» est une appellation amazighe qui signifie «clef». Ce petit pays restera à jamais ouvert aux civilisations. Il est la clef de la Méditerranée et de l'Afrique.