Il y a des similarités entre les chaînes et les plateaux, qu'ils soient publics ou privés, c'est la recherche du buzz, parce que celui-ci draine de la publicité, laquelle rapporte de l'argent. Que reste-t-il de l'éthique journalistique ? Les plateaux de télé cristallisent la liberté d'expression emportée de haute lutte et constitutionnalisée après des décennies de sombre et procédurière censure. Programmés dans les chaînes publiques et privées en prime time pendant les années chaudes de la révolution, ils ont été ramenés à des heures plus sages. Les Tunisiens peuvent alors dans leurs soirées décompresser devant des programmes de leurs choix moins anxiogènes. Ces émissions en live censées contribuer au débat national voire l'élever et apporter un éclairage à l'opinion publique sur l'actualité et les événements, jouent-ils véritablement leur rôle dans cette époque éminemment politique ? « Non, tranche Moez Ben Messaoud, il y a des similarités entre les chaînes et les plateaux qu'ils soient publics ou privés, c'est la recherche du buzz, parce que le buzz draine de la publicité, laquelle rapporte de l'argent», a-t-il critiqué d'emblée. Peut-on faire autrement ? Peut-on produire des émissions sans bailleurs de fonds ? Les annonceurs ne débarquent que là où il y a de l'audimat qui ,lui, génère les recettes publicitaires. C'est un cercle vicieux avec son effet pervers : le nivellement par le bas. Par conséquent, entre les contraintes du quotidien et du direct, le manque de matière, ou une matière largement rabâchée, les débordements des invités incontrôlables, les hommes qui crient et les femmes qui montent en aigu, face à des animateurs qui ne maîtrisent pas leurs plateaux ou leurs sujets ou les deux à la fois, il semble que des failles transversales touchent plusieurs niveaux de la production. Dérapages et accrochages Mais d'abord, le plateau de télé est-il un espace démocratique ? Chaque individu peut-il revendiquer son droit de passage à la télé, pour peu qu'il se constitue en association ou fasse l'objet d'une injustice de nature juridique ou autre ? « Les plateaux de télévision sont démocratiques dans le service public lequel est redevable au citoyen d'un certain nombre de services, analyse le directeur du département communication à l'Institut de presse (Ipsi), pour le privé, c'est différent. De plus, nous sommes tombés dans un mimétisme qui est loin d'être flatteur pour ceux qui le pratiquent ; un tel a été invité dans une chaîne et a fait le buzz automatiquement il est sollicité partout. Mais, le cœur du problème, en plus de l'acharnement à créer le buzz à partir de rien, il se situe au niveau de la préparation du programme ». A l'étranger, enchaîne-t-il, l'équipe chargée de préparer l'émission en amont est très élargie, composée de plusieurs groupes qui travaillent à tour de rôle. Il y a de la concurrence entre les équipes d'une même émission. Par conséquent, le haut niveau de préparation ainsi que l'originalité sont perçus dans le choix des sujets et la qualité de leur traitement. Ce n'est pas le cas des émissions de télé tunisiennes, a-t-il comparé. Ni des émissions radio d'ailleurs, en l'occurrence de débats politiques. Le manque de professionnalisme est perceptible également au niveau des dérapages sur les plateaux. Des débats tournent à l'accrochage. Lorsque l'animateur n'arrive pas à maîtriser ses invités, parfois à cause de leur tempérament, de deux choses l'une, soit qu'il s'y prépare bien ou qu'il évite de les inviter ».Voila qui est clair. Couleur politique affichée On pourrait résumer l'éthique dans le domaine des médias, par le respect de la transmission des contenus, le respect des valeurs fondamentales liées à la dignité humaine. Dans l'exercice de son métier, le journaliste est appelé à faire preuve d'un comportement professionnel, rationnel et responsable, donc à respecter les règles de l'éthique. Le code de déontologie, lui, constitue un ensemble de règles dont se dote une profession, au travers d'une organisation professionnelle, qui devient l'instance d'élaboration, de mise en œuvre, de surveillance et d'application de ces règles. Dans cet ordre des choses, est-il aisé pour un journaliste et, par extension, pour un média, d'être performant, de défier la concurrence, de faire son travail correctement tout en restant conforme aux règles d'éthique et de déontologie ? « Cela fait partie de la règle du jeu de la transition démocratique pour un pays longtemps verrouillé. On est face à une nouvelle conjoncture également médiatique, analyse notre interlocuteur, mais dès le départ, il y a un problème déontologique et d'éthique, prévient-il encore, la couleur politique de certains médias est affichée, il y a derrière l'argent politique. Certaines émissions sont orientées politiquement de manière perceptible. Il faut un rappel à l'ordre, insiste Moez Ben Messaoud, tout en préservant nos acquis de liberté d'expression et d'accessibilité à l'information. Un rappel à l'ordre, étaye-t-il, qui doit se faire par une révision des décrets-lois 115-116, et pourvoir la Haica de réelles prérogatives, revoir la composition de cette instance constitutionnelle ainsi que son mode de fonctionnement. Il faut doter l'instance de régulation d'une assise juridique, sans plus tarder, pour limiter les dérives de toutes sortes que nous observons », conclut l'universitaire. Le manque de professionnalisme, de ressources humaines et matérielles constituent, in fine, la raison majeure des dysfonctionnements, quel que soit le secteur invoqué. Mais si l'on ne perdait pas de vue qu'à travers le modeste journaliste, deux des plus importants droits constitutionnels du citoyen sont respectés, le droit à l'information et la liberté d'expression, on ferait certainement plus attention et plus d'efforts.