De notre envoyé spécial en Suisse Soufiane BEN FARHAT La visite d'Etat effectuée par le président Béji Caïd Essebsi, les 18 et 19 février, en Suisse, atteste du redéploiement diplomatique tunisien après des années d'atermoiements, voire d'incurie caractérisée Côté suisse, les Helvétiques étaient visiblement soucieux de peaufiner les relations diplomatiques et économiques avec la Tunisie. Cela était évident. Témoin, la série d'accords signés entre les représentants des deux délégations. Ajoutons-y la création, avant-hier, d'un groupe d'amitié tuniso-suisse, en présence du président Béji Caïd Essebsi et du président de la Confédération suisse Johann N. Schneider-Ammann. Les échanges ne se sont, en effet, guère limités aux aspects financiers, économiques et à la formation professionnelle. En fait, des deux côtés, il y a une volonté manifeste de dépassement. Les Suisses vivent une espèce de renouveau de leur diplomatie. Ils avaient joué les courtiers honnêtes, il y a quelques semaines, entre les Américains et les Iraniens, en marge du Forum de Davos. Ils furent unanimement salués pour leur mission de bons offices. Et ils s'étaient du coup rendu compte que l'abandon de leur neutralité légendaire peut revêtir des aspects salutaires. La visite d'Etat du président Essebsi est la seconde qu'effectue un président de la République tunisienne en Suisse, après celle de Bourguiba en mars 1961. De mémoire diplomatique, jamais les Suisses n'ont réservé à une visite d'Etat dans leurs murs autant de solennité et d'égards, depuis la visite du roi d'Egypte en 1920 précisément. Une solennité empreinte, le plus souvent, d'une atmosphère cordiale, voire bon enfant. Côté tunisien, la reprise en main de notre diplomatie agissante est manifeste. Le président Béji Caïd Essebsi et M. Khémaïs Jhinaoui, ministre des Affaires étrangères, se sont fait accompagner par une quinzaine d'hommes d'affaires chapeautés par la centrale patronale, l'Utica. Ils ont animé un forum économique, avec un certain nombre d'investisseurs suisses. On n'en sait pas grand chose, la partie Suisse ayant étrangement tenu à écarter toute présence des journalistes tunisiens de ces assises. Mais, aux dires des participants, cela fut pertinent et prometteur. On n'en dira pas plus. La question de la restitution des avoirs de l'ancien président et de ses proches, estimés à cent-vingt millions de Dinars, fut remise sur le tapis. La partie tunisienne a fait valoir les décisions judiciaires pertinentes en la matière, ce qui faisait paraît-il défaut depuis le gel desdits avoirs en 2011. En tout état de cause, l'un des six accords, signés jeudi après-midi entre les deux parties, porte précisément sur ces avoirs. Les deux parties s'en sont même publiquement félicitées. Ici comme ailleurs, la visite d'Etat du président Béji Caïd Essebsi, en Suisse, s'est voulue riche en signaux forts. Le plus important d'entre eux concerne sans nul doute l'élargissement du cercle de nos partenaires et l'abandon de l'alignement sur le bloc turco-qatari qui était de mise du temps de la Troïka (2011-2014). Le renversement de la vapeur avait commencé avec M. Mongi Hamdi, sous le gouvernement de Mehdi Jomâa, en 2014. Mais la gestion catastrophique de notre diplomatie sous l'exercice de Taïeb Baccouche, avait empêché la diplomatie tunisienne de retrouver ses principaux fondamentaux et repères. Le président Béji Caïd Essebsi s'y investit pleinement à vrai dire. Il estime qu'il lui appartient de faire retrouver à la Tunisie, sur la scène internationale, un rang et une voix qu'elle a perdus. L'exercice diplomatique lui permet aussi de se désengager des querelles de chapelles intra-Nida Tounès dues, entre autres, à l'engagement quasi direct du Palais à travers M. Ridha Belhaj, ex-ministre chef du Cabinet présidentiel. Cette implication indirecte, le propre fils du président jouant les premiers violons dans le concert des rivalités, avait profondément écorné l'image du chef de l'Etat. Certains s'étaient mis à dénoncer la partialité malencontreuse de la présidence et les velléités successorales du fils du président de la République. Le temps aidant, les critiques sont désormais moins grinçantes et le profil de la présidence nettement moins engagé. Par ailleurs, ce qu'il convient de baptiser l'esprit de la visite de Berne ne semble guère voué à officier comme un acte orphelin. Le monde en redemande plus à la Tunisie et la Tunisie, à son tour, semble depuis peu plus réceptive aux appels du cercle vertueux. La relance du capital productif du pays dépend, dans une large mesure, de la vigoureuse reprise économique. Et celle-ci est tributaire du redéploiement des investissements, de la coopération internationale et de la remise en route du tourisme. Autant de vecteurs qui requièrent la bonne image de marque du pays. Jusqu'ici, malheureusement, celle-ci a été profondément affectée. L'anarchie, les violences et le laisser-aller qui ont sévi, des années durant, ont eu des effets dévastateurs. Les touristes suisses dans nos murs, qui avoisinaient les cent-mille par an en 2010, gravitent désormais autour des vingt-mille et des poussières. Les effets concentriques ravageurs du cercle vicieux sont passés par là. On n'en est guère à réinventer la roue, certes, mais il convient de retrouver nos repères fondamentaux. La dialectique de l'interne et de l'extérieur fait que tout acquis à l'intérieur véhicule des pendants bénéfiques à l'étranger, et toute bonne initiative diplomatique promeut nécessairement la vigueur intérieure. Il reste que les initiatives diplomatiques présidentielles, si vigoureuses soient-elles, demeurent lettre morte tant que l'intendance gouvernementale et administrative ne suit pas. Ce qui est une autre paire de manches. Pour l'instant, les signaux autorisent l'optimisme raisonné. Mais ce ne sont, au bout du compte, que des signaux.