Dopage, avocats, Jaouhar Ben Mbarek… Les 5 infos de la journée    Tunisie – « Raqaba » : les primes de 3000 DT perçues par les représentants du peuple sont illégales    Le Drapeau Tunisie de retour à l'intérnational avec la fin de l'affaire Antidopage    Tunisie – Report de l'audience de l'affaire de Chatha Haj Mabrouk    L'Agence mondiale antidopage lève les sanctions infligées à la Tunisie    Tunisie – Les douanes mettent en garde par rapport à l'importation des devises en Tunisie    Sommet arabe de Bahreïn : Nabil Ammar à la tête de la délégation tunisienne    Tunisie – L'ISIE s'attaque au financement occulte des campagnes électorales    Chawki Tabib décide de lever son sit-in à la Maison de l'avocat    HRW dénonce les attaques ciblant des sièges d'organisations humanitaires à G-a-z-a    Trafic d'Héroïne entre la Turquie et la Tunisie : Deux frères en détention    Ouverture du 77e Festival de Cannes    Les exportations tunisiennes avec l'Algérie augmentent, mais baissent avec la Libye et le Maroc    Le Club Photo de Tunis et la Fédération des clubs photo turcs Foton organisent un PhotoMarathon    UNRWA: 450 mille personnes déplacées de Rafah en seulement 9 jours    Les avocats annoncent une grève générale jeudi    RDC : Après les 4 milliards de dollars lâchés par la Chine Tshisekedi signe une 2e grande victoire    Gaspillage alimentaire en Tunisie : 42 kg de pain jetés par an !    AIESEC in Tunisia et et Hackathon Tunisia organisent le Hackathon Maghreb4SDGs    Des artistes Tunisiens au Québec en Tunisie dans une exposition conjointe à Montréal    Le site web d'Ennakl Automobiles fait peau neuve    ARP : Proposition de Loi pour des Sanctions Sévères en cas d'infractions commerciales    Arrestation de l'avocat Mehdi Zagrouba-Le ministère de l'Intérieur précise : «L'interpellation fait suite à un délit d'entrave à un fonctionnaire lors de l'exercice de ses fonctions»    Démantèlement d'un vaste réseau de trafic de stupéfiants : Contre le trafic de drogue, la Tunisie emploie les grands moyens    Formation aux métiers du tourisme alternatif : «Forsa», une opportunité inédite    10 mille billets pour les supporters de l'EST face à Al Ahly    De la dramathérapie dans les quartiers populaires : Une sublimation du corps et de l'esprit    L'IFT défend les artistes tunisiens victimes d'agression verbale et physique    Médecine esthétique: La Tunisie attire chaque année plus de 30 mille visiteurs étrangers    Coupure de l'eau potable à Djerba    Un joueur du Barça fait jouer son jumeau à sa place    Trophées UNFP : Kylian Mbappé élu meilleur joueur de Ligue 1    Habib Touhami: La politique américaine au Moyen-Orient et le sionisme chrétien    Kairouan: Prix au marché du mardi 14 mai 2024 [Vidéo]    Une ligne de crédit de la BIRD de 115,6 millions d'euros pour le financement des PME tunisiennes    Météo : Hausse des températures, entre 24 et 30 degrés    Saloua Bssais : plus on enquêtera, plus on sera certain de l'innocence de Borhen Bssais    Tunisie : enquête ouverte sur l'incident du drapeau national    Le Chœur de l'Opéra de Tunis présente le spectacle "Sur cette terre, il y a ce qui mérite vie"    Tout ce qu'il faut savoir sur la tempête solaire    Tournoi KIA Tunis Open du 13 au 18 mai 2024 : Le sponsor officiel UBCI vous fait gagner des places!    Cérémonie d'ouverture de la 77e édition du Festival de Cannes, demain à L'Agora : Une soirée prestigieuse en perspective    «La Mémoire, un continent» au Musée Safia-Farhat : Réminiscences artistiques...    Avant-première de «Le Petit Prince», pièce de Taher Issa Ben Larbi : Un beau spectacle pour tous les âges    De la ligne de but à la ligne de conduite : Entraîneur de gardiens, un poste à part entière    Expatriés : L'Europe validée pour Skhiri    Décès du premier patient ayant subi une greffe de rein de porc    300 000 réfugiés palestiniens forcés à quitter Rafah : l'UNRWA lance l'alerte    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Raoudha Gafrej, experte en eau et en adaptation au changement climatique à La Presse: «La politique de l'eau doit s'orienter vers l'approche écosystémique»
Publié dans La Presse de Tunisie le 29 - 09 - 2021

On ne le dit jamais assez, la Tunisie souffre d'un manque criant d'eau. Elle fait partie des pays qui sont dans une situation de pénurie d'eau absolue. Les prochaines années sont de mauvais augure: alors que la demande en eau continuera sa tendance haussière, les ressources hydriques s'amenuisent. La récurrence des périodes de sécheresse risque d'aggraver la situation. Face à cette crise horripilante, l'Etat semble naviguer à vue. "Les dix dernières années ont été fatales pour le secteur de l'eau", affirme Raoudha Gafrej, fine connaisseuse de la situation hydrique du pays. Quel est l'état des lieux de nos ressources hydriques ? Quelles sont les solutions possibles à adopter pour atténuer l'ampleur de la crise de l'eau ? Des éléments de réponse avec Raoudha Gafrej, experte en eau et adaptation au changement climatique.
Avec une disponibilité de 470 m3/habitant/an, la Tunisie est en situation de stress hydrique. Selon un rapport de l'organisation onusienne FAO, l'explosion des besoins en eau dans le pays a conduit à de nombreuses incohérences dans les politiques de l'eau. Et on assiste à une montée des revendications autour de l'eau. Comment évaluez-vous les politiques actuelles de gestion des ressources hydriques ? Et quelles sont ses incohérences ?
La première chose à retenir c'est que la Tunisie dispose de moins de 500 m3/habitant/an, et ce, depuis plus de 30 ans. Tous les investissements accomplis par l'Etat depuis plus de 50 ans n'ont pas permis d'améliorer cette disponibilité. De plus, la demande en eau potable a augmenté. Evidemment, la population augmente et, par conséquent, la demande augmente. En 2010, la Sonede a vendu 387,6 millions de m3 d'eau. En 2020, elle en a vendu 465,5 millions de m3. Cela fait presque 80 millions de m3 de plus, en seulement 10 ans. Sur les 10 dernières années, il y a eu une amélioration de la desserte de l'eau potable en milieux urbain et rural. Le taux de desserte de l'eau potable tout milieu (rural et urbain) assuré par la Sonede est passé de 82,7 % en 2010 à 85,2% en 2020. Rappelons que 1 544 100 habitants sont alimentés par les services du Génie Rural (GR) des Crda et les Groupements de développement agricole (GDA). La consommation spécifique par personne branchée a également connu une hausse en passant de 98,8 litres/hab/jour en 2016 à 103,7 litres par jour en 2020. Il faut noter qu'il faut environ 50% d'eau en plus pour produire l'eau potable. C'est-à-dire que pour facturer 465,5 millions de m3, la Sonede devra précéder au milieu naturel 750 millions de m3 environ. Ce volume non facturé comprend les volumes destinés au processus de production de l'eau potable mais aussi toutes les pertes d'eau y compris les utilisations illicites et le vol de l'eau.
L'utilisation de l'eau dans le domaine agricole a connu également une envolée, et ce, pour deux raisons. La première est, à mon sens, l'extension aux alentours des périmètres irrigués. La Tunisie dispose de 435 mille hectares de périmètres irrigués, répartis pour moitié entre les périmètres publics et privés. Mais en réalité, la superficie estimée est encore plus importante, parce que les agriculteurs limitrophes à ces périmètres utilisent les eaux de ces périmètres pour irriguer leurs parcelles. Il y a aussi, les agriculteurs hors périmètres qui utilisent de manière illicite l'eau lors des périodes de sécheresse, les eaux des périmètres d'irrigation. Ces extensions, ont en quelque sorte, tué et asséché les sources hydriques. La deuxième raison est, à mon sens, la détérioration de l'infrastructure de l'eau qui s'est davantage dégradée au cours des dix dernières années. Les canalisations d'alimentation des périmètres d'irrigation sont devenues vétustes. Il y a, donc, beaucoup de pertes qui dépassent 50% dans certains périmètres. Plus les pertes sont importantes, plus la demande d'eau augmente.
La sécheresse est aussi un autre facteur qui a aggravé la situation. Au cours des dix dernières années, on a eu deux grandes sécheresses. 2015-2016, 2016-2017 et 2017-2018 étaient trois années excessivement sèches où la pluviométrie s'est établie à un niveau très faible bien en dessous de la moyenne. 2018-2019 était une année très bonne avec un apport pluviométrique qui a dépassé de 46% l'apport moyen. Mais malheureusement, en 2019-2020 et 2020-2021 nous sommes de nouveau dans une période de sécheresse.
Cette année, les mois de juin, juillet et août ont été caractérisés par des températures qui ont dépassé 45°C. La hausse de la température assèche les sols, accroît l'évaporation dans les barrages, et, par conséquent, réduit les stocks d'eau, bien sûr elle engendre aussi une hausse des besoins de l'eau potable pour se rafraîchir et augmente l'évapotranspiration des plantes et par ricochet les besoins d'irrigation. Quand on dit, qu'en Tunisie, 80% du potentiel en eau sont alloués à l'agriculture, en fait, on n'irrigue que 435 mille hectares alors que la Tunisie compte 5 millions d'hectares de terres agricoles utiles, soit 8% de la superficie agricole utile. Les 92% restants sont cultivés en pluvial. En période de sécheresse, même les cultures pluviales ont besoin d'un appoint d'eau, même en faibles quantités sinon l'arbre meurt. On a montré, tout récemment, qu'à Gabès l'olivier s'est complètement asséché et c'était dû à l'augmentation de la température et l'absence de pluie. Bien sûr, comme il n'y a pas d'irrigation, même l'olivier qui est un arbre rustique peut être détruit par la sécheresse.
Il faut aussi rappeler que les périmètres d'irrigation publics, qui sont créés par l'Etat, sont alimentés à hauteur de 60% à partir des grands barrages. Et comme il y a très peu d'eau dans les barrages en période de sécheresse, le ministère de l'Agriculture réduit les quotas d'alimentation des périmètres publics irrigués en eau pour la simple raison que l'eau potable est prioritaire étant donné que 50% des besoins de la Sonede sont satisfaits à partir des barrages. Pour contourner ce problème, les agriculteurs ont recours à d'autres sources d'eau, la création de forages illicites et même l'utilisation de l'eau potable. C'est le cas pour les agriculteurs qui produisent les primeurs, (le gouvernorat de Monastir se taille à peu près 40% des cultures d'arrière-saison). On rencontre même des agriculteurs qui utilisent les eaux usées sans qu'elles soient traitées, ce qui est très grave sur le plan sanitaire. Les sondages illicites ont dépassé 60% du nombre total des forages (plus de 18.000 forages illicites dont 50% dans le seul gouvernorat de Kébili) engendrent la surexploitation des nappes et l'assèchement des forages de la Sonede et ceux des GDA. Ce qui est à l'origine des coupures d'eau. Cette année, la société nationale a pratiqué des coupures d'eau nocturnes pour réaliser l'équilibrage, réduire la pression sur le réseau et assurer la desserte d'eau pour les jours qui suivent. Elle essaie de protéger le peu de ressources disponibles. Lors des périodes de sécheresse, l'agriculteur doit faire face à une double privation. Il ne peut ni irriguer ses exploitations, ni abreuver son cheptel puisqu'on a réduit son quota d'eau. Qu'est-ce que l'agriculteur est censé faire avec son cheptel? Le pauvre se trouve obligé d'acheter des citernes d'eau avec des prix exorbitants, qui dépassent 10 dinars le m3. Il faut savoir que la vache laitière consomme entre 100 et 150 litres d'eau par jour, juste pour la boisson. On peut citer, dans ce sens, l'exemple de l'élevage des vaches laitières dans le gouvernorat de Mahdia qui produit 40% du lait mis sur le marché. C'est une région pauvre en ressources hydriques et alimentée principalement par les eaux du Nord pour l'eau potable et l'eau du barrage Nebhana, pour l'irrigation. Le barrage Nebhana, situé à Kairouan, est, actuellement, complètement à sec. L'eau de la Sonede serait la seule alternative pour l'agriculteur qui cherche à tout prix à abreuver ses vaches. C'est pour ces raisons-là, qu'au cours des périodes de sécheresse, la colère des agriculteurs gronde et les mouvements sociaux autour de l'eau éclatent. Maintenant est-ce que tous ces problèmes sont inhérents à la politique de l'eau menée par l'Etat ? Bien sûr que oui. L'Etat, le ministère de l'Agriculture sait très bien que les ressources hydriques sont extrêmement faibles. La Tunisie n'est pas en stress hydrique, elle est dans ce qu'on appelle une situation de pénurie d'eau absolue, parce qu'on dispose de moins de 500m3/habitant/an. En 2020, nous ne sommes plus à 470m3/habitant/an mais plutôt à 370 m3/habitant/an, c'est-à-dire que nous sommes dans une situation extrêmement critique. Mais cette crise de l'eau ne date pas d'aujourd'hui, elle date de très longtemps. Dans les années 90, la Tunisie disposait déjà de moins de 500 m3/habitant/an. Qu'est-ce que l'Etat a fait alors, durant ces trente dernières années, pour faire face à la pénurie d'eau ? Il est vrai que des barrages ont été construits, des programmes ont été mis en place, des périmètres irrigués ont été aménagés, des conduites de transfert ont été construites pour transférer l'eau d'un barrage à l'autre, etc. Mais l'Etat n'a pas assez investi dans la gestion de la demande. Il ne peut pas prendre des décisions et réagir selon le gré des gens. Certes, il doit garantir le droit à l'eau mais il doit en contrepartie contrôler, suivre et voir si l'eau a été utilisée à bon escient ou si elle est en train d'être gaspillée. 30% de l'infrastructure des périmètres publics irrigués datent de plus de 30 ans et commencent à vieillir. C'est vrai que les autorités ont commencé à les réhabiliter mais c'est à un rythme extrêmement lent.
Malheureusement, l'Etat n'a pas mis en place une stratégie de gestion de la sécheresse. Pour un pays comme la Tunisie qui est connu pour sa sécheresse, il est indispensable de mettre en place un plan de gestion de la sécheresse. On ne peut pas demander à l'agriculteur, au jour j du commencement de la saison agricole, de ne pas planter ses graines. Et puis, s'il ne parvient pas à abreuver son cheptel, qu'est-ce qu'il va faire avec ? Le brader ? Le vendre ? Si on demande aux agriculteurs d'arrêter la plantation des semences, il faut mettre en place des mesures sociales d'accompagnement pour leur assurer un revenu minimum. Pour ce faire, l'Etat peut créer un fonds pour les aider. Normalement pendant les sécheresses, il faut des mesures spécifiques pour venir en aide aux agriculteurs qui sont privés de leurs activités et donc de leurs revenus.
Est-ce que la récurrence des périodes de sécheresse est due au phénomène du changement climatique ou est-ce lié au climat de la Tunisie ?
La Tunisie est caractérisée par une très grande variabilité de la pluviométrie et des sécheresses récurrentes. Il est vrai que notre climat est perturbé, mais ces dernières années les périodes de sécheresse se sont intensifiées. On suppose que c'est dû au changement climatique parce qu'elles sont accompagnées d'une très grande augmentation de la température. Les projections climatiques réalisées par l'Institut national de la météorologie confirment l'importance du changement climatique et toutes les études menées à ce jour s'accordent sur les effets désastreux du changement climatique sur l'eau et les activités socioéconomiques et tout particulièrement l'agriculture dont dépend la sécurité alimentaire.
Dans le cadre du plan de développement 2016-2020, des objectifs en matière de mobilisation des ressources hydriques ont été fixés. Il s'agit notamment de l'augmentation du taux d'utilisation des eaux usées traitées et de dessalement de l'eau de mer. Est-ce que ces objectifs ont été atteints ? Ces méthodes de mobilisation des ressources hydriques ne constituent-elles pas des solutions à la pénurie d'eau en Tunisie ?
La réutilisation des eaux usées traitées est un axe stratégique sur lequel travaille la Tunisie depuis plus de 30 ans. Mais malheureusement les objectifs qui ont été fixés dans le cadre du plan de développement n'ont pas été atteints. Nous sommes à seulement 7% du potentiel des eaux usées traitées. L'Etat a aménagé plus de 8000 hectares de périmètres irrigués par les eaux usées traitées, mais malheureusement la superficie exploitée ne dépasse pas les 2500 hectares. Beaucoup d'agriculteurs refusent de s'en alimenter. Il y a ceux qui se plaignent de la qualité de l'eau qui n'est pas conforme aux normes. En effet, l'utilisation des eaux usées traitées présente plusieurs difficultés. Elles ne peuvent pas être exploitées n'importe où. Leur exploitation n'est autorisée que dans le cadre des périmètres irrigués que l'Etat a aménagés. Ces eaux ne peuvent pas être utilisées, non plus pour les cultures maraîchères et les cultures dont les produits sont consommés crus. Les eaux usées traitées sont visiblement une solution qui n'a pas fonctionné avec le modèle actuel mais un vrai potentiel existe mais doit être utilisé et valorisé localement. Sachant que le Grand-Tunis produit à lui seul plus de 50% des eaux usées traitées, il y a lieu de réutiliser ce potentiel dans la production de l'eau potable. Il n'y a aucune crainte. La technologie est là pour produire de l'eau d'excellente qualité et des exemples concrets existent dans le monde.
En ce qui concerne le dessalement, la Tunisie a démarré il y a plus de 20 ans le dessalement des eaux saumâtres souterraines dont la salinité dépasse les 4 g/litre avec la construction de plusieurs stations gérées par la Sonede. Il y a aussi la station de dessalement de l'eau de mer de Djerba, qui est fonctionnelle depuis mai 2018, avec une capacité de production de 50 mille m3/jour soit 12 millions m3/an. 3 autres stations de dessalement de l'eau de mer sont en cours de construction à Sousse, Zarrat et Sfax. D'ici 2023, la capacité de dessalement d'eau de mer sera d'environ 80 millions de m3. Ce potentiel ne permet même pas de compenser les pertes d'eau dans les barrages dues à leur envasement évalué à 23 millions de m3 par an. En d'autres termes, d'ici 2025 on aura encore moins d'eau que maintenant. A cela s'ajoute la dégradation du milieu marin et les impacts majeurs sur la biodiversité et sur le secteur de la pêche.
En ce qui concerne l'agriculture, une expérience pilote d'irrigation par les eaux saumâtres dessalées a été réalisée par le ministère dans le gouvernorat de Mahdia et elle sera suivie d'une deuxième expérience. Ce qu'il faut retenir, c'est que la désalinisation d'eau saumâtre coûte 1,5 dinar par m3 et 3 dinars par m3 pour l'eau de mer. Le problème avec le dessalement est la consommation excessive d'énergie et le coût de production extrêmement élevé. Cela a pour conséquence l'augmentation du déficit financier de la Sonede. Même si on peut admettre que le dessalement de l'eau de mer constitue une solution pour assurer la desserte de l'eau potable, il pose problème pour les agriculteurs parce qu'il leur coûte très cher sachant que l'eau des barrages est vendue à 150 millimes le m3 dans les périmètres publics irrigués. On est obligé de puiser dans d'autres sources hydriques parce que le potentiel en eau de la Tunisie est trop faible. Le dessalement de l'eau de mer constitue la seule alternative. A mon sens, il y a une autre solution à laquelle on peut réfléchir : la production de l'eau potable à partir de l'atmosphère. Aujourd'hui, il existe des solutions technologiques qui peuvent capter l'humidité de l'air dans l'atmosphère et produire de l'eau potable. Au niveau du dessalement il va falloir opter pour des stations de très grande capacité mais avec zéro rejet en mer.
On a l'impression que l'Etat n'est pas en train de réfléchir de manière prospective au problème de la pénurie d'eau en Tunisie qui devrait être une priorité absolue. Il n'est pas en train de réfléchir sérieusement sur les solutions alternatives susmentionnées….
On peut dire que c'est vrai. Ce n'est que récemment qu'on a entamé la construction des stations de dessalement de l'eau de mer de Sfax, Zarrat et Sousse, alors qu'elles auraient dû être mises en marche dix ans en arrière. Il y a beaucoup de retard dans la mise en œuvre des projets. Les dix dernières années ont été fatales pour le secteur de l'eau. La station de Djerba aurait dû entrer en service depuis 2011 avant le déclenchement de la révolution. L'appel d'offres a été lancé, la société qui devrait faire les travaux a été identifiée et tout était presque prêt pour le démarrage des travaux. Elle n'est entrée en production qu'en 2018. Vous voyez bien qu'on a accusé 8 ans de retard dû à différentes raisons. Tout d'abord il faut noter qu'après la révolution, il y a eu une recrudescence des revendications sociales. J'ai recueilli des témoignages des agents de la Sonede qui ont affirmé que lors des déplacements pour la réalisation des forages, ils étaient interceptés par les habitants riverains qui revendiquent l'emploi, comme contrepartie. L'Etat est devenu incapable de faire appliquer la loi. Il y a aussi le problème de l'instabilité gouvernementale qui a fait que chaque ministre nommé ne dispose pas d'assez de temps pour maîtriser les dossiers et démarrer les projets. Le ralentissement du processus de la mise en œuvre est dû également au retard accusé par le Parlement dans l'adoption des prêts octroyés pour le financement des projets (puisqu'ils ne sont pas comptabilisés dans le budget de l'Etat mais financés par des prêts octroyés auprès des institutions internationales).
Le problème c'est qu'avec ces trois stations de dessalement, on croit qu'on allait venir à bout de la crise de l'eau en Tunisie. Or, ces trois stations vont produire 80 millions de m3/ an d'ici 2023 — si la construction est achevée à temps. Cette quantité produite servira à peine pour pallier les pertes qui sont causées par l'envasement des barrages et qui s'élèvent à 23 millions de m3/ an en termes de capacité. Soit une perte de 100 millions de m3 durant 4 ans.
De plus, ces solutions ne permettent pas réellement de sécuriser l'alimentation en eau potable si les besoins en eau de l'agriculture ne sont pas sécurisés aussi.
Il faut une solution radicale pour venir à bout de cette crise de l'eau. Au lieu de construire 5 stations de dessalement de l'eau de mer de capacité de 50 ou 100 mille m3 par jour chacune, peut-être qu'il nous faut deux ou trois stations de dessalement de l'eau de mer avec une capacité de production 1 ou 2 millions de m3 par jour, chacune. Mais il faut d'abord rénover les réseaux pour éliminer toutes les formes de perte, appliquer la loi pour faire barrière aux utilisations illicites d'eau, revoir la politique agricole pour choisir et identifier les cultures sur lesquelles il faut miser et abandonner les cultures qui ne sont pas durables ni rentables en termes de consommation d'eau. Choisir ce qu'on produit, ce qu'on exporte et ce qu'on importe, etc.
Selon l'avis de plusieurs experts, le code des eaux, qui a été approuvé en conseil ministériel au mois de juin dernier, ouvre la voie à la privatisation dans le secteur de l'eau puisqu'il permet à des opérateurs privés de distribuer et vendre de l'eau traitée pour la consommation. Etes-vous d'accord avec cette lecture du code ?
Le code des eaux, qui a été proposé à l'ARP et qui allait être adopté le 15 juillet dernier, dispose que la Sonede prend en charge la desserte de l'eau aussi bien en milieu urbain qu'en milieu rural. On oublie qu'en milieu rural, l'eau n'est pas utilisée uniquement pour l'alimentation des habitants mais surtout pour l'agriculture. Si les réseaux de la Sonede s'étendent pour inclure le milieu rural, c'est que les agriculteurs vont y puiser pour subvenir à leurs besoins en eau mais aussi pour irriguer leurs plantations et abreuver leurs cheptels. De surcroît, la Sonede ne peut pas couvrir le milieu rural, parce qu'il y a des zones enclavées et montagneuses où il est impossible d'y poser ou faire passer des canalisations d'alimentation ou mettre en place des stations de pompage. D'autres institutions et organismes peuvent prendre en charge l'alimentation des zones rurales en eau potable.
L'autre disposition du code, que je trouve saugrenue, est la régularisation de la vente illicite de l'eau, un phénomène qu'on voit un peu partout dans les régions comme Tunis, Nabeul, Zaghouan. Il s'agit de gens qui volent de l'eau et s'enrichissent grâce à sa vente illicite. Il est inadmissible qu'on régularise leur situation et qu'on laisse l'accès à l'eau de cette manière surtout pour un pays qui n'a pas de ressources.
Mais, bien sûr, le code des eaux autorise les opérateurs privés à produire de l'eau mais pas à la vendre parce que l'alimentation en eau potable est uniquement du ressort de la Sonede. Même si l'Etat s'oriente vers une ouverture sur le privé pour produire de l'eau, la vente sera assurée par la Sonede qui se charge de la distribution. Mais cela va coûter plus cher. Les gens ne veulent pas privatiser la production de l'eau parce qu'ils pensent que ça va coûter cher et c'est vrai. Toutefois, il faut retenir que l'Etat n'a plus d'argent et que les futurs investissements publics dans le secteur de l'eau sont énormes.
Donc, vous pensez que le partenariat public-privé peut être une solution aux problèmes de financement ?
Bien sûr, il faut aller vers le partenariat public-privé. En Tunisie, le prix de l'eau est le plus faible dans toute la région africaine et arabe. En Afrique, l'eau est vendue à 1,5 dollar le m3 alors qu'en Tunisie, les premiers 20 m3 sont vendus à 200 millimes le m3. On peut subventionner les couches sociales démunies mais on ne peut pas mener la politique de l'eau pour tout le monde. En ville, un ménage qui consomme moins de 20 m3 paie 200 millimes pour le m3 alors qu'un citoyen dans les zones rurales achète l'eau à 1,5 dinar le m3, parce que les GDA fixent le prix de l'eau en fonction de son coût de production. Il y a une inégalité face au droit à l'eau tout en sachant que c'est le tarif qui couvre seulement les charges de production.
Les prochains investissements dans le secteur de l'eau seront très importants sans oublier ceux nécessaires pour l'assainissement des eaux usées, et, de ce fait, la politique du pays doit s'orienter vers l'approche écosystémique où l' on tient compte de l'eau, de la santé, des écosystèmes, de l' alimentation mais également de l'énergie. Pour cela, toute nouvelle production d'eau doit être une production verte et durable avec le recours aux énergies renouvelables et la valorisation de tous les rejets avec zéro rejet dans l'environnement.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.