Par Raoudha GAFREJ | Dr. Ing. Expert ressources en eau et adaptation au changement climatique | S'il y a un danger imminent qui guette la sécurité de la Tunisie et des Tunisiens, c'est bien celui de la sécheresse qui s'installe. Cela ne nous épargne pas des risques des inondations qui peuvent succéder à des périodes de sécheresse. Les inondations subies au gouvernorat de Nabeul, le 22 septembre 2018, est un exemple concret. La sécheresse menace la sécurité alimentaire des Tunisiens et nous mène vers des situations de conflits majeurs. Le Groupe intergouvernemental des experts sur le climat (Giec), dans son 6e rapport, publié le 9 août 2021, a fourni plusieurs conclusions importantes quant aux aléas climatiques à venir. Avec la poursuite du réchauffement, chaque région pourrait subir de façon différenciée plus d'événements climatiques extrêmes, parfois combinés, et avec des conséquences multiples. C'est le mot «combiné» qui fait toute la différence. Actuellement, nous sommes à un réchauffement global de +1.1° par rapport à l'ère préindustrielle, que se passera-t-il avec 1,5°C ou 2°C ? Le 6e rapport du Giec : le réchauffement climatique s'accélère et ne peut plus être stoppé Très inquiétants, les derniers résultats du 6e rapport du Giec sur les connaissances scientifiques et qui confirment que le réchauffement climatique s'accélère et ne peut plus être stoppé. Ce rapport confirme ainsi l'ampleur et la rapidité du changement climatique actuel, et compte tenu de l'inertie de nos sociétés sur cet enjeu pourtant crucial pour la stabilité de notre civilisation, la planète terre continuera de se réchauffer bien au-delà des limites fixées par l'Accord de Paris. Le bouleversement du cycle de l'eau et intensification des phénomènes extrêmes Le 6e rapport du Giec précise «qu'un réchauffement plus important des terres modifie les principales caractéristiques du cycle de l'eau, ce qui veut dire que le taux de changement des précipitations moyennes et du ruissellement, et leur variabilité augmentent avec le réchauffement climatique». La superficie des terres affectées par l'augmentation de la fréquence et de la gravité des sécheresses s'étendra avec l'augmentation du réchauffement climatique. Il est, de ce fait, peu probable que l'augmentation de l'efficacité de l'utilisation de l'eau par les plantes due à une concentration plus élevée de CO2 dans l'atmosphère atténue les sécheresses agricoles et écologiques extrêmes dans des conditions caractérisées par une humidité limitée du sol et une demande d'évaporation atmosphérique accrue. Aussi, «le réchauffement des terres entraîne une augmentation de la demande d'évaporation atmosphérique et de la gravité des épisodes de sécheresse. Un réchauffement plus important sur terre que sur l'océan modifie les schémas de circulation atmosphérique et réduit l'humidité relative continentale près de la surface, ce qui contribue à l'assèchement régional. Les augmentations prévues de l'évapotranspiration en raison de la demande croissante en eau réduiront l'humidité du sol dans la région méditerranéenne, le Sud-Ouest de l'Amérique du Nord, l'Afrique du Sud, le Sud-Ouest de l'Amérique du Sud et le Sud-Ouest de l'Australie. Certaines régions tropicales devraient également connaître une aridité accrue, notamment le bassin amazonien et l'Amérique centrale. La superficie totale des terres sujette à une fréquence et à une gravité croissantes de la sécheresse s'étendra, en Méditerranée, dans le Sud-Ouest de l'Amérique du Sud et dans l'Ouest de l'Amérique du Nord, l'aridification future dépassera de loin l'ampleur du changement observé au cours du dernier millénaire». Le 6e rapport du Giec précise aussi que «le changement d'affectation des terres et l'extraction d'eau pour l'irrigation ont influencé les réponses locales et régionales dans le cycle de l'eau. La déforestation à grande échelle diminue probablement l'évapotranspiration et les précipitations, et augmente le ruissellement dans les régions déboisées par rapport aux effets régionaux du changement climatique. L'urbanisation augmente les précipitations locales et l'intensité du ruissellement. L'augmentation de l'intensité des précipitations a amélioré la recharge des eaux souterraines, notamment dans les régions tropicales. Il y a une forte confiance que l'épuisement des eaux souterraines s'est produit depuis au moins le début du XXIe siècle, en conséquence des prélèvements d'eau souterraine pour l'irrigation dans les zones agricoles des régions arides». Ces résultats indiquent l'ampleur des modifications des différentes composantes du cycle de l'eau (précipitation, évaporation, évapotranspiration, ruissellement, infiltration, etc.), ce qui implique qu'il n'est plus pertinent de considérer l'historique des précipitations et la probabilité des crues pour le dimensionnement des ouvrages de protection et d'évacuation des eaux. En fait, la notion de stationnarité qui implique les probabilités des crues (crue décennale ou crue centennale) s'évapore avec le changement climatique. L'augmentation de la variabilité du cycle de l'eau renforce et intensifie les saisons humides et les saisons sèches. Pour dimensionner des ouvrages d'évacuation et de protection des eaux, il faudra intégrer les connaissances sur les évolutions à venir sur l'ensemble des composantes du cycle de l'eau, y compris la montée graduelle du niveau des mers. Les conclusions du rapport de synthèse des NDC soumises à la Ccnucc plutôt inquiétantes Le secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (Ccnucc) a exhorté les nations pour redoubler leurs efforts d'urgence en matière de climat si elles veulent empêcher que la température mondiale n'augmente au-delà de l'objectif de maximum 2°C, idéalement 1,5°C, fixé par l'Accord de Paris, d'ici à la fin du siècle. Or, malgré les efforts déployés par les pays qui ont soumis leurs Contributions nationales déterminées (NDC) en octobre 2021, les conclusions du rapport de synthèse du secrétariat sont plutôt inquiétantes. En effet, les NDC disponibles de l'ensemble des 191 parties impliquent une augmentation considérable des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) en 2030 par rapport à 2010, de l'ordre de 16 %. A moins que des mesures appropriées ne soient prises immédiatement, une telle augmentation pourrait entraîner une hausse de la température d'environ 2,7°C d'ici à la fin du siècle, selon les dernières conclusions du Giec. Or, pour aboutir à une décarbonisation de l'économie mondiale, une baisse annuelle des émissions de 5% est nécessaire jusqu'à 2050. Or, nous n'avons observé cette baisse qu'en 2020, qui est la conséquence de la pandémie liée au covid-19 et la paralysie de l'économie mondiale sur plusieurs mois. Ce constat devrait alerter tous les décideurs afin de prendre au sérieux les impacts du changement climatique pour éviter ou atténuer ses conséquences désastreuses sur les économies et les sociétés. Les relances économiques qu'envisagent les pays pour dépasser la crise covid-19 risquent d'intensifier davantage le réchauffement climatique. Face à l'augmentation de la population mondiale et leurs besoins alimentaires et en eau qui s'en suivent, il n'est pas exclu que le monde entier sombre dans des crises sans précédent : des famines, des pandémies et même des guerres durant les prochaines années si des mesures draconiennes ne soient pas prises en compte. La sécheresse s'installe en Tunisie La sécheresse météorologique est synonyme d'un manque cruel en eau, c'est-à-dire un déficit pluviométrique. Elle est encore plus grave quand elle s'accompagne par une élévation de la température qui assèche davantage les sols et les prive de leur humidité. La sécheresse météorologique a comme première conséquence une sécheresse agricole qui entraîne des dégâts importants sur les cultures et, par conséquent, des pertes de rendement. La 2e conséquence est une sécheresse hydrologique où les apports des cours d'eau sont réduits et un rabattement sévère de la nappe phréatique est observé (cumulé avec l'usage) et, donc, un tarissement des puits, qui sont la seule source d'eau potable dans certaines régions. La sécheresse socioéconomique est la 3e conséquence de la sécheresse, lorsque l'insuffisance d'eau commence à affecter les gens et leurs vies. La Tunisie est dans cette situation pour la 3e année consécutive. Sur la période de 2012 à 2021, la Tunisie a vécu 5 années de sécheresse sévères 2015-2016 à 2017-2018 et 2019-2020 et 2020-2021. Les déficits des apports en eau au niveau des barrages ont été alarmants : déficit de 66.1% en 2016, de 58.6% en 2017, de 48.3% en 2018, 59.2% en 2020 et 57.4% en 2021. La sécheresse est quasiment permanente au Centre du pays. Une intensification de la sécheresse est ainsi constatée, et ce, par comparaison avec la décade 2002-2012, qui a connu trois sécheresses : l'année 2001-2002 qui est une année de sécheresse générale qui en a suivi trois autres années (1998-2001). L'année 2002 a connu un déficit hydrique de 50% dans le Nord; 52,5% dans le Centre et 55% dans le Sud. Depuis, deux sécheresses localisées ont été signalées 2007-2008 avec un déficit dans le Nord de 62% et de 81%, dans le Centre et en 2009-2010 avec un déficit de 43.6% dans le Nord et de 78.6% dans le Centre. Durant cette décennie, les années de sécheresse sont déclarées par le ministère de l'Agriculture et des décrets gouvernementaux et sont publiées au Journal officiel indiquant les zones de grandes cultures sinistrées par la sécheresse durant la campagne agricole, et qui feront l'objet de l'intervention du Fonds national de garantie pour prendre en charge les intérêts découlant du rééchelonnement des crédits. Au cours des cinq dernières années, un seul décret gouvernemental a été publié en 2016 et aucune déclaration de la sécheresse n'a été publiée à ce jour. Cela a pour conséquence la difficulté de l'application du guide de gestion de la sécheresse élaboré en 1999 par le ministère de l'Agriculture qu'il conviendra d'actualiser. Les conséquences désastreuses de la sécheresse Les conséquences de la sécheresse sont désastreuses, surtout quand elles sont accompagnées d'une élévation anormale de la température, comme le cas courant l'été 2021 : demande en eau plus importante, assèchement des sols, des arbres, baisse des stocks d'eau au niveau des barrages, exploitation intense des nappes, mais également des incendies de forêts. Ces impacts directs ont de lourdes conséquences sur l'agriculture, aussi bien pluviale qu'irriguée. Rappelons ici que les 80% du potentiel en eau de la Tunisie est consommé par 435.000 ha de périmètres irrigués, soit 8% des terres agricoles utiles. De ce fait, réduire les allocations d'eau pour les périmètres irrigués ne constitue pas la solution, puisque les agriculteurs vont recourir à la surexploitation des nappes souterraines, ce qui génère d'autres perturbations, comme la dégradation de la qualité d'eau, la baisse des niveaux piézométriques des nappes et l'intrusion marine pour les nappes littorales ou celles se trouvant dans des bassins versants abritant des chotts et des sabkhas. Le manque et la variabilité des précipitations induisent directement des baisses de rendement et de la production de l'olivier, secteur stratégique pour le pays. La production de l'huile d'olive, dont la moyenne nationale se situe autour de 172.4 mille tonnes (moyenne sur 2003-2016) peut baisser à 70 mille tonnes. De même pour les céréales. En 2020, la collecte des céréales a été de 7.106 mille quintaux et les importations ont atteints 40% de la production. Le PIB agricole, à lui seul, ne permet pas de saisir l'ampleur des conséquences des sécheresses sur le secteur agricole. L'augmentation du PIB agricole en période de sécheresse n'est pas un indicateur rassurant sur la durabilité de ce secteur. Par contre, le déficit de la balance commerciale alimentaire peut constituer un indicateur de taille, puisque tout déficit de production se traduit par des importations plus importantes ou des exportations plus faibles, renforcées par l'augmentation des prix à l'échelle internationale due à des sécheresses vécues par d'autres pays. Les incendies de forêts observées, et dont l'intensité ne fait que croître (en moyenne, il y a 200 incendies par an) constituent un risque irréversible sur la disponibilité en eau. En effet, selon la direction générale de Forêts (DGF), durant les huit premiers mois de l'année 2020, 438 incendies ont été recensés ayant ravagé 1.958 ha de forêts. Selon la DGF, l'origine naturelle des incendies ne représente que 4%. Les incendies sont donc d'origine intentionnelle et ce phénomène se développe de plus en plus. L'année 2021 a enregistré 214 incendies sur la période du 23 juillet au 9 août, qui ont ravagé une superficie de 3.146 ha, contre 278 incendies et 1.700 ha, au cours de la même période de l'année 2020. La plupart de ces incendies sont survenus dans les gouvernorats de Béja, Jendouba, Siliana, Kairouan, Bizerte, Le Kef et Nabeul où sont situés les principaux barrages de la Tunisie. En plus des conséquences désastreuses sur la biodiversité, les conséquences de ces incendies sur le cycle de l'eau sont très inquiétantes : augmentation du ruissellement, de l'érosion, risque des inondations et réduction de la capacité de stockage des barrages par l'effet de l'envasement. Les sécheresses successives auront comme conséquence la perte de la main-d'œuvre et l'accentuation de la migration des zones rurales vers les villes côtières pour la recherche d'emploi, ce qui représente une pression importante sur ces milieux, déjà, fragiles. En effet, selon les statistiques de l'Institut national des statistiques (INS), la population occupée par le secteur agricole et la pêche a enregistré une baisse de 14,7% entre 2007 et 2019. A l'échelle nationale, la population occupée dans le secteur agricole et la pêche, qui a été de 18.34% en 2007, ne représente que 13,68% en 2019. Les conséquences économiques de la sécheresse ces dernières années ont été couplées à celles des crises économiques et politiques que vit le pays, ainsi qu'à la pandémie liée au covid-19 que gère le pays depuis mars 2020. Même si aucun rapport des institutions nationales n'a fourni une évaluation économique de la sécheresse ni les mécanismes qui ont été mis en place pour y faire face, il est clair que la sécurité alimentaire des Tunisiens est fortement menacée. Soutenir les Groupements de développement agricole en période de sécheresse Lors de la période de sécheresse 2016-2018 et aussi 2020-2021, le manque d'eau a comme première conséquence la réduction, voire la suspension totale de l'alimentation en eau des groupements de développement agricole (GDA) en charge de l'exploitation des systèmes d'eau d'irrigation dans les périmètres publics irrigués, alors qu'aucune restriction d'allocation d'eau n'est appliquée pour les périmètres privés irrigués. Cela implique l'arrêt de fonctionnement des GDA et, donc, l'incapacité des GDA à payer le personnel qu'ils emploient pour la gestion des réseaux ni leurs charges sociales auprès de la Cnss. Chaque GDA emploi entre 2 et 4 personnes. Sur la période 2016-2017, certains employés sont restés sans salaire pendant 8 mois, voire plus pour d'autres GDA. Les dettes cumulées par les GDA sont également une menace pour l'entretien des réseaux et, donc, l'augmentation des pertes. Les Crda ont demandé aux agriculteurs « de patienter pour les cultures» sans préciser la durée d'attente. Cela n'a pas empêché certains agriculteurs de recourir à l'eau de la Sonede ou à l'achat d'eau par des citernes à un coût de 2 dinars le m3, ce qui indique la prolifération d'un marché illicite de l'eau. La proposition de créer une agence nationale pour la gestion des eaux d'irrigation trouve son utilité pour une meilleure gestion des ressources. Cette agence ne sera efficace que si elle est dotée d'un fonds spécial dédié à la gestion des situations de crise lors des périodes de sécheresse. Ce fonds, qui n'existe pas encore à l'échelle nationale, pourra être créé avec un financement partiel par les agriculteurs. Vers une comptabilité et audit de l'eau car chaque goutte d'eau compte La situation hydrique avec un indicateur de stress de 109,4% n'augure rien de bon. En attendant de mobiliser d'autres types d'eau pour faire face à la demande de plus en plus croissante, il faudra éliminer toutes formes de pertes, de gaspillage des ressources. Dans ce cas, il faudra réduire les perte d'eau dans tous les réseaux : de la Sonede, des GDA et, surtout, des périmètres irrigués qui consomment en moyenne 80% de potentiel en eau et où les pertes dépassent 50%. Il faudra mettre en place de nouveaux mécanismes pour réduire le gaspillage des aliments au niveau des champs, des systèmes de production et de transformation, ainsi qu'au niveau domestique. Rappelons que l'Institut national de la consommation (INC) indique que les Tunisiens jettent en moyenne 900.000 pains par jour, soit l'équivalent de 113.000 tonnes en 2016, ce qui correspond à un budget de 100 millions de dinars par an. Aussi au niveau du gaspillage des aliments, l'INC indique que les pertes par gaspillage sont évaluées à environ 68 dinars/personne/mois, soit 18% du total des dépenses alimentaires. Il s'agit de revoir les subventions directes et indirectes du secteur de l'eau, une mesure justifiée par le fait que 450 millions de dinars sont alloués du Budget de l'Etat en 2017 pour subventionner la farine du pain Site web INC). Aussi, l'étude publiée par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) en 2021, qui porte sur «L'analyse des pertes alimentaires. Causes et solutions. Etude de cas de la chaîne de valeur du lait en Tunisie», indique que les pertes de lait enregistrées totalisent, pour les deux gouvernorats de Bizerte et de Mahdia, sont de 21,13 millions de dinars tunisiens par an. L'impact eau, pour les deux gouvernorats, est estimé à 201 millions de litres d'eau perdue par an et l'impact empreinte carbone est estimé à 20,10 millions d'équivalent CO2. Actuellement, la technologie existe pour rendre n'importe quel type d'eau bon pour la consommation humaine. En Californie, et dans d'autres pays du monde, les eaux potables sont produites à partir du traitement par osmose inverse des eaux usées traitées dans les stations d'épuration. La réutilisation des eaux usées traitées, dont le volume est d'environ 284 millions de m3 en 2019, doit être traitée à un degré qui permet, en toute sécurité, leur réutilisation en agriculture, voire pour la recharge artificielle des nappes. Chaque goutte d'eau compte. Or, le système d'information, de suivi et de planification de l'eau demeure incomplet et inefficace car il ne couvre pas tous les processus intégrant l'utilisation de tous les types d'eau et ne permet pas de fournir des données fiables pour éclairer les décideurs. De ce fait, il faudra dépasser le système d'information actuel vers un nouveau mécanisme permettant une réelle comptabilité et audit de l'eau. La comptabilité de l'eau étant définie par la FAO, comme «l'étude systématique de l'état actuel et des tendances futures de l'approvisionnement et de la demande d'eau, de son accessibilité et de son utilisation dans des domaines désignés». Dans la pratique, la comptabilité de l'eau est nécessaire pour fonder des processus décisionnels éclairés par des données scientifiques et probantes, ainsi que le développement des politiques vers un usage équitable et durable de la ressource. Au-delà de la comptabilité de l'eau, l'audit de l'eau est nécessaire, ce qui a pour objectif de «placer les tendances de l'approvisionnement, de la demande, de l'accessibilité et de l'utilisation en matière d'eau dans un contexte plus vaste de la gouvernance, des institutions, des dépenses publiques et privées, de la législation et de l'économie politique plus générale de l'eau dans des domaines désignés». Besoin d'un recours massif au dessalement d'eau de mer La disponibilité en eau renouvelable en Tunisie en 2020 est de 359 m3/hab/an, largement en dessous de 500 m3/hab/an, qui est la limite de pénurie d'eau absolue. Le remplissage des barrages ne permet pas d'augmenter cette disponibilité, puisque la quasi-totalité des eaux de surface a été mobilisée et que la population augmente et les besoins aussi. Selon la FAO, une disponibilité en eau renouvelable de moins de 1.000 m3/hab./an est un frein pour le développement économique. Dans l'immédiat et compte tenu de l'installation de la sécheresse en Tunisie, les pertes de stockage dans les barrages par l'effet de l'envasement, qui est d'environ 20 millions de m3/an, la satisfaction de l'alimentation en eau potable à l'échelle du pays nécessitent un recours massif au dessalement d'eau de mer. Les stations de dessalement d'eau de mer en cours de construction pour un volume annuel d'environ 85 millions de m3 ne vont même pas couvrir les pertes d'eau par envasement des barrages sur 4 ans. Aussi, il est dérisoire de satisfaire l'alimentation en eau potable aux dépens du secteur agricole, surtout que les besoins du secteur agricole vont augmenter drastiquement vu que même l'agriculture pluviale aura, elle-même, besoin d'eau pour éviter la perte du capital (cas de l'olivier ou l'amandier). L'absence de mesures pour l'alimentation en eau de l'agriculture ne permettra pas la sécurisation de l'alimentation en eau potable, ce qui implique le besoin de mobiliser de l'eau pour les besoins de l'irrigation par le seul moyen du dessalement d'eau de mer. Le dessalement d'eau de mer sera coûteux, certes, car il faudra aussi opter pour des stations avec un minimum de rejets des saumures afin de limiter la pollution de l'écosystème marin et en utilisant les énergies renouvelables. Il faudra investir dans des stations de très grandes capacités afin de réduire le coût du m3 d'eau et permettre de fournir de l'eau pour l'agriculture et les cultures stratégiques. Revoir la politique agricole est également une priorité absolue afin d'améliorer la productivité et d'assurer la production interne d'au moins 80% des besoins alimentaires du pays. La mise en place de fonds spéciaux pour gérer les sécheresses est aussi une action imminente. L'Etat est appelé à déclarer l'état de sécheresse et aussi l'état d'urgence dans la gestion de l'eau, ce qui lui permettra d'appliquer la réglementation et éviter toutes formes de délinquance sur l'infrastructure et d'utilisation illicite de la ressource. En attendant la mise en place de station de dessalement de grande capacité, l'acquisition imminente de stations de dessalement mobiles constitue une urgence pour épargner la population la soif et la dégradation de la situation sanitaire. Pour les zones intérieures du pays et pour les 400 écoles non alimentées en eau potable, et sachant que nous faisons face encore à la pandémie du covid-19, une action immédiate serait dans l'acquisition de stations de production d'eau potable à partir de l'atmosphère. M. le Président, vous êtes le garant de la sécurité de l'Etat et de la sécurité alimentaire des Tunisiens, fortement menacées par la sécheresse et la dégradation de l'environnement en général. Vous êtes appelés à déclarer l'état de catastrophe naturelle par la sécheresse qui va s'intensifier dans le futur. Les mesures urgentes citées ci-dessus doivent faire l'objet d'un décret présidentiel, sachant que la situation ne permet pas de passer par les procédures de marchés publics qui nécessitent entre 1 et 2 ans pour voir démarrer la construction de nouvelles infrastructures de mobilisation des eaux, des mécanismes de gestion de la sécheresse ou de la gestion de la demande en eau. Ces mesures, étant des mesures d'adaptation au changement climatique, peuvent bénéficier des fonds spéciaux, comme le Fonds Vert pour le climat ou d'autres lignes de financement des différents bailleurs de fonds internationaux.