Art et pouvoir peuvent-ils faire bon ménage ? C'est la question à laquelle Jalloul Ayed et Mourad Sakli, deux anciens ministres, musiciens en l'occurrence, devaient répondre au cours d'une rencontre, samedi dernier à l'espace Sophonisbe, à Carthage, pour parler de la relation «Art et pouvoir». Art et pouvoir peuvent-ils faire bon ménage ? C'est la question à laquelle Jalloul Ayed et Mourad Sakli, deux anciens ministres, musiciens en l'occurrence, devaient répondre au cours d'une rencontre, samedi dernier à l'espace Sophonisbe, à Carthage, pour parler de la relation «Art et pouvoir». La rencontre, organisée dans le cadre de la commémoration du 60e anniversaire de l'Indépendance, par la Konrad-Adenauer-Stiftung et le Forum de l'Académie Politique, a réuni un parterre de personnalités du monde de la culture, en majorité des femmes. Selon le document de travail proposé par le Pr Hassen Annabi, professeur universitaire et ancien secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Education, «le binôme art et pouvoir peut se décliner en diverses problématiques, et celles se rapportant à l'instrumentalisation de l'art ou, au contraire, sa prise pour cible par le pouvoir politique et religieux, ou encore la vocation contestatrice de toute expression artistique vis-à-vis de toute forme d'autorité ne sont pas les moins fréquemment évoquées». La rencontre a plutôt abordé, d'après le document de travail, «une problématique qui se pose plus rarement dans les pays en voie de développement et particulièrement dans le sphère arabo-musulmane, celle de l'engagement du décideur artiste (qu'il soit homme d'Etat ou simple responsable). Bravant les interdits et les préjugés, celui-ci laisse exprimer un don. Mais, au-delà, il donne un signal visuel et fait passer un message fort à travers lequel son auditoire mesure dans quelle mesure art et pouvoir peuvent faire bon ménage». Trop peu, trop tard Jalloul Ayed, banquier, homme politique et compositeur qui a au moins trois œuvres de facture classique à son actif, «Magador», «Hannibal Barca» et «Parfum de jasmin», a-t-il apporté son soutien à l'art et au secteur culturel lorsqu'il avait le portefeuille de ministre des finances ? C'est une des questions qui lui a été posée au cours de la rencontre et à laquelle la réponse était loin d'être convaincante. L'histoire ne retiendra pas grand-chose du passage de Jalloul Ayed à la tête du ministère de la Finances, du moins dans le domaine culturel. C'est vrai qu'il n'est resté qu'une année. Au niveau du secteur des finances, il a notamment rappelé un certain nombre de réalisations : le cadre réglementaire au niveau des crédits, la création de la caisse de dépôt de consignation, le Fonds générationnel, etc. Pour ce qui est de la culture, il a fait des aménagements fiscaux pour aider certains artistes, pour les expositions des tableaux de peinture. «Je voulais faire d'Ennejma Ezzahra l'un des plus grands centres culturels de la méditerranée, j'ai fait approuver par le premier ministre de l'époque Béji Caïd Essebsi que la maison de Hassen Trabelsi soit indexée au Centre culturel Ennejma Ezzahara, l'idée est de faire de ce lieu le plus beau centre culturel au monde, c'était mon rêve. Bechaouch était tout à fait d'accord avec moi, malheureusement je ne suis pas resté assez longtemps à la tête du ministère des Finances pour réaliser ce rêve», a-t-il avoué, entre autres. Sacrifice et liberté Mourad Sakli, compositeur et ex-ministre de la Culture, a notamment indiqué dans son intervention que l'investissement dans la culture exige de nouveaux dispositifs de production et d'exploitation. Selon lui, le potentiel culturel du pays est inestimable et générateur d'emplois sauf qu'il y a un manque visible d'infrastructure et d'équipements dans certaines maisons de culture. «Le revers de la médaille, c'est que lorsqu'on construit un Etat nation avec une culture standardisée durant des années, cela crée des problèmes psychologiques. La situation de l'artiste a besoin de se trouver dans un environnement adéquat», a-t-il rappelé. Abordant la question du soutien de l'Etat, il a, en outre, souligné que sans la subvention de l'Etat, les artistes peinent à produire, ce qui est très grave. L'artiste reste dépendant et intimement lié au pouvoir en place. Pour ce qui est des médias, il a noté que ce sont des intermédiaires décisifs. «Nous sommes dans une phase d'apprentissage de la démocratie et les médias ne sont pas toujours objectifs. Le résultat est le nivellement par le bas», enchaîne-t-il. Concernant sa vision de l'avenir de l'artiste, il considère qu'aujourd'hui, il y a des multinationales qui orientent les goûts des gens. «Un vrai artiste doit sacrifier s'il veut défendre son projet». Quant au rôle de l'Etat, il doit être, selon lui, le garant d'une liberté inconditionnelle aux artistes. «Nous avons travaillé, avec Mehdi Jomaâ, le structurel, l'investissement dans le secteur de la culture, le mécénat culturel. Mais il reste beaucoup à faire sur le droit de propriété intellectuelle qui reste bafoué, les industries créatives, les incitations sur le plan fiscal et législatif, le statut de l'artiste, un projet en évolution avec l'Union européenne». Il a par ailleurs insisté sur La mise à niveau des institutions et l'ouverture sur les régions. «Ce dont je rêve est un ministère de culture et de développement humain avec une dimension socioéconomique. Il faut raisonner en termes de citoyen tunisien. Malheureusement, dans les gouvernements successifs, aucune stratégie économique n'a pris en compte la dimension culturelle», a-t-il ajouté.