Irruption d'un corporatisme étroit, surinvestissement dans la propagande circonstancielle et l'agitation intempestive et absence d'initiative gouvernementale prospective La crise à Kerkennah a mis au grand jour les principales tares d'un système en grande partie bloqué. Çà et là, l'absence de réactivité procède du dialogue de sourds. La crise apparaît, mûrit en profondeur, éclate, dégénère. Le plus souvent dans une espèce de nonchalance initiale qui ne tarde pas à paver le douloureux chemin de la gabegie et des affrontements. Trois phénomènes sous-tendent ces graves crises désormais cycliques. En premier lieu, une situation sociale à proprement parler catastrophique. Le démantèlement des vieilles structures de solidarité, la crise économique et le maintien de larges franges de la population dans l'ilotisme et l'exclusion y sont pour beaucoup. Reconnaissons-le. Jusqu'à nouvel ordre, la révolution a calé devant les impératifs de sauvetage et de relance économique. Les investissements sont aux abonnés absents. Idem des grands projets structurants, des exportations et des PME. Ceux qui se contentent de spéculer et de thésauriser n'en finissent pas de s'enrichir. Les plus pauvres végètent ou s'appauvrissent à vue d'œil. Le tissu social en pâtit. Le chômage massif se poursuit. La classe moyenne est aux abois. La prolétarisation de larges franges est évidente. L'économie parallèle et ses excroissances perverties occupent l'essentiel des activités. Avec leur lot inévitable de contrebande en tout genre, d'évasion fiscale et de manque à gagner. Sans compter la propagation de l'économie mafieuse et de ses liens avérés avec le crime organisé et le terrorisme. Dès lors, dans maintes régions du pays, la situation sociale recèle tous les ingrédients du drame. Un rien est susceptible de mettre le feu aux poudres. Quiconque a des yeux pour voir peut le constater, aisément. Ajoutons-y la gabegie et le mélange des genres démocratiquement partagés et la boucle du cercle vicieux est bouclée. En deuxième lieu, certains dérapages partisans et syndicaux concourent à envenimer la situation. Depuis la vague de protestations du printemps 2015, on assiste sous nos cieux à l'irruption du corporatisme étroit. Chacun tire la couverture à lui, au risque de tout abîmer. Irrémédiablement. Des semblants d'élites régentant des organisations sociales ou professionnelles, ou ayant mainmise sur telle activité professionnelle, n'ont de cesse de jouer la surenchère. L'image fondatrice de l'Ugtt, pour ne citer que cet exemple, en pâtit. Les grèves répétitives des enseignants et des agents de la santé en sont témoins. Elles ont fini par retourner une bonne partie de l'opinion contre la centrale syndicale. Son capital sympathie s'est érodé et a rétréci comme peau de chagrin au cours des derniers mois. Pourtant, il n'y a eu guère de bilan ou quelque remise en cause. Les mêmes petits ténors reviennent à la charge pour jouer la surenchère, cycliquement. Et le ressentiment contre certains syndicalistes de s'amplifier. Le même phénomène se vérifie auprès de certains partis groupusculaires ou insignifiants sur la place politique. Ils semblent vouloir compenser leur inconsistance politique et institutionnelle par un surinvestissement dans la propagande circonstancielle et l'agitation intempestive. En troisième lieu, on constate une absence d'initiative gouvernementale prospective. Etat-major et intendance s'abîment le plus souvent dans la réactivité tardive. Jusqu'ici, le gouvernement se contente de réagir à chaque crise après-coup et sur le tard. Les voies du dialogue demeurent en friche. Les relais syndicaux et associatifs ne sont pas mis à profit et en temps opportun. Le cabinet gouvernemental semble coupé de la réalité. Il n'y a point de Monsieur syndicats, associations et organisations de masse. La crise à Kerkennah des diplômés du supérieur en quête de travail et des squatters de Petrofac a été mal gérée et mal ficelée, dès le départ. La réaction gouvernementale après près de trois mois de tergiversations et d'attentisme a été pour le moins contre-productive. Elle a concouru à embraser la situation déjà explosive en puissance. Le marasme y est déjà. L'absence de prospective et la réactivité tardive ne font que l'empirer. Et, à défaut de changement de posture, le schéma semble voué à se reproduire ailleurs. Comme ce fut le cas l'année dernière à Kébili ou en janvier à Thala-Kasserine. Ici et ailleurs, les violences trouvent dans la profonde crise économique et sociale un terreau fertile. Elles traduisent aussi un verrouillage du dialogue et surtout une pathologie de la culture du dialogue.