M. Ali Laârayedh communique, enfin. Depuis son investiture il y a près de trois mois, le chef du gouvernement s'était abstenu de donner une conférence de presse. Cela a fini par devenir anachronique aux yeux des observateurs. Il faut reconnaître que les ministres du gouvernement Laârayedh, particulièrement ceux du mouvement Ennahdha, ont campé le mutisme. Des instructions semblent avoir été données dans ce sens. En fait, la communication de plusieurs ministres du gouvernement précédent (de Hamadi Jebali) s'était avérée contre—productive. Ils avaient accumulé les bourdes et les contresens, au point d'installer une espèce de cacophonie gouvernementale. Et la politique, ça s'exerce dans les travées de l'administration et des enceintes du pouvoir, plutôt que dans les plateaux audiovisuels. Ce n'était pas si évident aux yeux de certains ministres. Ils ont péché par excès d'infantilisme, de confiance ou de narcissisme. Et les résultats ont été catastrophiques pour leur image. C'est que pour communiquer, encore faut-il avoir un contenu, de la matière. M. Ali Laârayedh s'est donc exprimé. L'actualité l'a rattrapé, lui aussi. Et il a dû se plier à ses exigences et caprices. Elle l'a obligé à parler. Et l'actualité se résume en quelques points fondamentaux : le groupe terroriste encerclé depuis le 29 avril au Jebel Chaâmbi; les violences et heurts des forces de l'ordre avec les partisans du mouvement dit Ansar Echaria; la conception de la Constitution ; les échéances électorales, la situation sécuritaire et la crise économique et sociale. Grosso modo, Ali Laârayedh n'a pas apporté grand-chose qu'on ne sache déjà dans sa prestation. Il a réitéré les fondamentaux et professions de foi qu'on connaît. Il a cependant étayé l'approche du gouvernement face à l'irruption fracassante et violente des salafistes sur la place. C'est même la question la plus recherchée par maints observateurs. Pour le chef du gouvernement, la fermeté prévaut. Ce qui n'exclut guère la rémission, voire l'arrangement avec ceux qui voudraient privilégier le dialogue, la légalité, la concertation. Il faut dire que la situation n'est guère reluisante. La crise économique et sociale se greffe sur un immobilisme politique sclérosant sur fond de montée des actes terroristes et des violences des mouvances extrémistes religieuses. Les gens ont peur, les citoyens sont tenaillés par le doute, les perspectives brumeuses et les frayeurs du lendemain. Des frayeurs justifiées quand on sait le déchaînement inouï des violences terroristes au nom du religieux dans le monde arabe et ailleurs. Les images provenant de Syrie, d'Egypte, de Boston et de Londres attisent les peurs et menaces suscitées par les groupuscules terroristes au Jebel Chaâmbi et à Jebel Jloud. Ici et là, les tueries aveugles, les civils qu'on égorge au nom de la guerre sainte et du jihad suscitent des rictus de l'effroi et des grimaces de la peur. Les promesses du Printemps arabe s'abîment dans les obscurités de l'épouvante. Une chose est certaine. Les gens sont désenchantés. Et le gouvernement est tenu de les rassurer. La légitimité de la Troïka n'est pas pour autant remise en cause. Sa crédibilité en revanche en pâtit. Une autre donne semble toutefois de mise. L'irruption du terrorisme stimule depuis peu une certaine union sacrée. La prestation du chef du gouvernement s'inscrit en partie dans cette logique. Il ne faut guère oublier que la semaine écoulée s'était soldée par la tenue de la seconde phase du dialogue national organisé sous la houlette de la Centrale syndicale, l'Ugtt. Tous les partis ou presque, ceux de la Troïka gouvernante en prime, y avaient pris part. Comme quoi, on gagne d'un côté ce qu'on perd ailleurs.