Par Chokri BEN NESSIR Est-il possible d'intervenir dans le processus de radicalisation de nos enfants ? Qui doit le faire, où agir et comment procéder ? Salam Al-Marayati, président du Muslim Council of Public Affairs, décrit les cinq étapes de la radicalisation et préconise à travers le programme Safe Spaces, piloté par son organisation islamique basée à Los Angeles, les étapes de la radicalisation qui offrent l'occasion pour corriger la tendance avant qu'il ne soit trop tard Le New York Times vient de publier l'histoire de Sal Shafi, un musulman américain qui a remarqué ces derniers mois un changement de comportement de son fils Adam. Cette tendance à la radicalisation a poussé le père, qui, croyant bien faire et voulant extirper son fils du giron terroriste, est allé solliciter l'aide du FBI. Après avoir mis sous écoute et procédé à la filature de l'enfant, le FBI finit par arrêter le jeune homme pour appartenance et soutien à un groupe terroriste. Il gît actuellement en prison et encourt une peine pouvant atteindre vingt ans. Sal Shafi, qui ne s'attendait pas à cette issue dramatique pour sa famille, regrette d'avoir dénoncé son fils et détruit sa vie. « Ce n'est pas l'aide à laquelle je m'attendait », a-t-il déclaré. En effet, la rocambolesque histoire de Sal Shafi démontre que le recours à la force judiciaire pour résoudre le problème dénote l'absence d'alternatives sociales et communautaires à même de prévenir et d'intervenir en cas de besoin avant qu'il ne soit trop tard. Salam Al-Marayati, président de l'organisation islamique basée à Los Angeles, Muslim Council of Public Affairs, qui plaide en faveur d'un programme intitulé Safe Spaces (Espaces sûrs), déplore le recours systématique à l'incarcération au lieu de prévenir, de réhabiliter et d'intervenir dans le cas d'espèce. « Nous croyons au partnership et nous collaborons étroitement avec la police dans le cadre de nos activités », soutient Salam Al-Marayati qui fustige l'idée que chaque personne qui critique le rôle des Etats-Unis en Syrie devient suspect. Salam Al-Marayati qui plaide en faveur des espaces religieux libres affirme qu'un « territoire neutre n'existe pas et qu'il est forcément quelque part polarisé par quelqu'un ». A cet effet, il estime qu'il vaut mieux parler de jihad en Syrie dans les mosquées et avoir l'occasion de croiser un autre point de vue que d'en parler en ligne avec le risque de radicalisation sans frein. Il n'empêche, M.Maryati reconnaît qu'un imam ne peut pas aborder tout seul toutes les questions posées, surtout quand elles relèvent d'autres compétences et requièrent des connaissances pointues. En effet, pour maîtriser et bien orienter les jeunes avides de connaissances, un imam aurait besoin de dix-huit experts avec lui en permanence, assure M. Maryati. Chose qui n'est pas possible et que seul la société civile peut assurer, selon ses propos. En effet, il décrit les étapes de l'espace pré-criminel où l'on doit forcément prendre soin de nos jeunes comme suit : Une première étape où les jeunes désœuvrés arrivent à la mosquée avec des besoins spécifiques tels qu'un besoin d'équité, de justice sociale, de refuge humanitaire ou autres besoins sociaux et identitaires. « Si ces jeunes sont privés de discussions à propos de ces sujets-là ou s'ils ne trouvent pas de réponses à leurs quêtes sociales, ils vont chercher ailleurs», affirme M. Maryati. La deuxième étape est celle des troubles individuels. Elle est associée à des crises d'anxiété et d'aliénation sociale. La troisième étape est celle de la dépression aiguë. La quatrième étape, selon Maryati, serait celle de la migration vers l'un des fléaux graves : drogue ou extrémisme violent. Toutes ces étapes nécessitent une intervention appropriée et une évaluation exacte de la situation. « Dans toutes ces étapes, nous traitons avec des personnes qui ont besoin d'aide. Les réponses doivent venir de la communauté et non des pouvoirs », affirme-t-il. Pour cela, il préconise l'intervention d'équipes formées pour ramener ces jeunes à des niveaux inférieurs de la radicalisation. Pour lui, la mosquée a toujours été un espace « sûr » où l'on peut s'exprimer librement. Le contraire, selon Maryati, servirait les desseins de Daech qui souhaite démontrer que l'Occident est contre les mosquées, contre l'islam. Ils prennent pour proie des jeunes marginalisés, sans emploi, qui n'ont même pas le sentiment d'être chez eux là où ils sont nés. Et ils exploitent les réseaux sociaux pour recruter et propager la terreur comme un virus. Les extrémistes ont une stratégie de haine. Nous devons avoir une stratégie d'harmonie, d'intégration véritable et de paix. Pour cela il faut créer une véritable stratégie de résilience locale conduite avec des leaders religieux modérés et des acteurs de la société civile capables de créer des plateformes de dialogue et d'envahir ces espaces de culte. La solution consiste à faire entendre un point de vue qui soit celui des gens ordinaires et qui soit aussi celui de la communauté, d'après M. Marayati. « Pour moi, s'impliquer revient à œuvrer en faveur d'une réforme authentique qui ne s'éloigne pas de l'islam — une réforme fondée sur le Coran — et non sur des adages isolés que les extrémistes amplifient et exploitent». «Aux USA, la politique a migré de la contrainte par la force de la loi au renforcement du rôle communautaire. C'est un pas dans la bonne direction », assure-t-il.