C'est aujourd'hui et en présence de M. Chiheb Bouden, ministre de l'Enseignement supérieur, et en partenariat avec l'Ecole de cinéma de Gammarth, que sera projeté à la Cité des sciences, en première Jadis Kerkouane, un docu-fiction qui raconte l'histoire passionnante d'une ville classée patrimoine de l'humanité. Retenez-bien ces deux noms ; Khaled Chaouch, producteur et scénariste, et Abdelhamid Bouchnak, réalisateur et également coproducteur. Deux jeunes qui se sont lancés dans cette aventure animés d'un désir ardent de dévoiler au grand public l'histoire d'un joyau jalousement conservé dans son écrin : le site de Kerkouane, l'unique site qui date de plus de 2.300 ans et qui a conservé les traits et les composantes d'une ville punique. Une projection en avant-première de ce docu-fiction, samedi dernier, nous a amplement comblés. En effet, pour une première œuvre, le duo a surpassé nos attentes tant sur le plan technique que sur le plan narratif. Le mélange de genres, combien difficile, a été mené de main de maître et la fiction n'y a été qu'un outil d'approche de la vérité, quand le récit historique, trébuche. Raoul Girardet ne disait-il pas que «le meilleur film historique est une reconstitution romanesque. Car il est une résurrection du passé. Et l'essentiel, c'est que ça revive...» ? Et voilà que nos deux créateurs en herbe, nous épatent avec un film d'une heure, qui tient le spectateur captif et concentré. Grâce aux témoignages poignants des historiens de l'époque, des archéologues spécialistes du site, d'une reconstitution digne des grands films péplums, le tout relevé par un graphisme et une musique bien orchestrée, emporte le spectateur dans un voyage spatio-temporel à travers une époque combien riche, mais encore méconnue du public. Techniquement, le montage du film est un défi à la fuite inexorable du temps, un défi à la maîtrise de la chronologie. On n'hésite pas à couper le récit pour faire appel à une observation ou à un commentaire d'historien, ou d'archéologue enregistrés sur site, en situation. Le commentaire distancié provoque des télescopages entre le présent et le passé sans toutefois sortir le film de son contexte historique. Le recourt à des comédiens, dans les séquences de mise en situation, a donné des reconstitutions qui sont comme des impressions qui jaillissent de la mémoire du temps pour nous donner en quelques images l'idée de ce que fut la guerre punique. Les séquences aériennes tournées grâce aux drones, l'iconographie en trois D, le recours à l'ultra-nec des outils audiovisuels, ont permis de décliner et de conjuguer, à merveille, tous les éléments du corpus historique. Une cité rugueuse Deux archéologues, Tahar Ghalia et Mounir Fantar, spécialiste et conservateur du site de kerkouane, nous mènent dans les entrailles de «Tamezrat» (Kerkouane). Avec les images, on la côtoie à la pointe du cap Bon, magnifique cimetière marin d'une cité punique restée vierge de tout autre apport. On la ressent, assez rugueuse, à travers ses tombes si proches encore des monuments mégalithiques et surtout dans ces stèles funéraires innombrables ou ces pierres sacrificielles assez effrayantes qui émergent du clair-obscur végétal. On la devine enfin tendue vers sa puissance militaire en revisitant ces ports puniques qui nous paraissent bien modestes aujourd'hui, mais où se déployait, assez visible encore, un arsenal sophistiqué digne d'une grande nation conquérante. Même après la destruction de la cité, Kerkouane est conservée telle qu'elle fut à la veille de son abandon. On apprend qu'elle présente le profil d'une cité punique précisément datée. On découvre, au fil du récit, les caractéristiques de la maison punique de Kerkouane avec sa cour ou son vestibule et sa salle de bains qui nous rappellent les aménagements indispensables de la maison «arabe». On nous montre son système hydraulique bien conçu tant pour l'alimentation que pour l'évacuation : puits, cuves et caniveaux, égouts aériens ou souterrains, gargouilles, égouttoirs pariétaux et interpariétaux et une vie économique et sociale essentiellement citadine. Et même si la ville a été entièrement rasée, l'artisanat en revanche y a laissé des traces : tailleurs de pierre, stucateurs, maçons et tous les métiers du bâtiment, tisserands et pourpiers, pêcheurs, potiers et coroplastes. Cette cité «fossilisée» a l'avantage d'avoir conservé toutes ses composantes, la ville des vivants, et sa nécropole continue encore de livrer des informations pour la plupart inédites. Bien fait C'est un documentaire bien fait, même s'il n'est pas toujours très détaillé sur certains points, qui a la particularité d'être à la fois un vecteur narratif et un outil de recherche. Grâce à un scénario intelligent, Abdelhamid Bouchnak et Khaled Chaouch ont pu faire revivre l'histoire au présent, ramener le passé dans le présent... pour mieux la faire comprendre à nos contemporains. Les séquences inédites tournées peu avant l'attaque terroriste au musée du Bardo, le 18 mars 2015, dans lesquelles on voit déambuler paisiblement les touristes avant de subir le feu nourri des assaillants (que le réalisateur ne montre pas), sont non seulement un hommage à ces martyrs mais aussi un message contre la haine et contre l'oubli. «On sait comment kerkouane a été détruite, ne détruisons pas notre pays», tel est le message patriotique que nous retenons après cette exploration intelligente du passé. Ce genre de production est le bienvenu puisqu'il participe à pallier la sinistrose ambiante et ankylosante qui marque la production cinématographique dédiée au patrimoine tunisien. Pourtant, notre pays foisonne de sites et autant d'histoires. Albert Memmi ne disait-il pas que le problème avec la Tunisie c'est que «Cinq cents pas de promenade, et l'on change de civilisation» ?Que des jeunes s'engagent sur cette voie et qu'ils bénéficient du soutien du ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, on ne peut que s'en féliciter après avoir vu le rendu.