De notre envoyée spéciale Samira DAMI La tendance thématique durant cette 69e édition du festival de Cannes est à l'auscultation de l'état du monde et principalement celui de la classe des démunis qui vivent sous le seuil de pauvreté ; dans la précarité la plus totale. Et le long métrage en compétition « Moi ; Daniel Blake » du cinéaste britannique Ken Loach projeté en compétition l'illustre parfaitement. Le film s'ouvre sur un long et absurde dialogue dans le noir entre un menuisier ; Daniel ; Dan pour les amis (Dave Johns) obligé ; pour la première fois ; à 59 ans de faire appel à l'aide sociale à la suite de problèmes cardiaques survenus après le décès de sa femme ; et une spécialiste de la santé dans l'administration anglaise. Le cinéaste, un habitué de Cannes ; c'est sa 13e participation en compétition ; et du cinéma social donne le ton : le film traite de l'inefficacité volontaire et de l'absurdité d'une administration kafkaïenne qui abandonne cruellement chômeurs et sans-emplois en les livrant à un sort tragique. Obligé par l'administration de rechercher un emploi afin de mériter son allocation de chômage et de ne pas être pénalisé et sanctionné ; Daniel croise la route de Rachel (Hayley Squires) contrainte d'accepter un logement à 450 km de sa ville natale pour ne pas être placée en foyer d'accueil avec ses deux enfants. Pris dans les filets des aberrations administratives, ils vont tenter de s'entraider. Ken Loach brosse le portrait d'un sexagénaire qui ; malgré tous ces problèmes ; garde son sens de l'humour et la volonté de s'en sortir et même d'aider les autres. Le réalisateur filme ; à travers lui ; la classe ouvrière en détresse. Il la met en scène sobrement et délicatement sans tomber dans le manichéisme ni dans le mélodrame. Son objectif étant de dénoncer la cruauté d'une administration froide et glaciale qui n'aide plus les victimes du système mais qui s'est transformée en rouleau compresseur et en une arme politique. Loach ; fidèle à lui-même ; se moque de cette administration où le citoyen doit attendre 1h48 au téléphone ; promené de service en service sur fond d'une musique impersonnelle et abêtissante ; pour qu'on daigne enfin lui répondre. Il la fustige car elle a pour seul souci d'appliquer le discours d'austérité du gouvernement. Cela au détriment des chômeurs vulnérables et fragiles ; qui comme Daniel ; se battent contre des moulins à vents. A preuve Rachel et Daniel n'ont pas le chauffage ; ne se nourrissent pas à leur faim (scène poignante dans la banque alimentaire où Rachel ne pouvant plus tenir de faim avale goulument le contenu d'une boîte de conserve avant de tomber en pleurs. Autre scène où ; dans le noir ; la fille de Rachel vient dormir contre sa mère parce qu'elle a froid et elle trouve ; enfin ; le courage de lui révéler que ses camarades de classe se moque d'elle parce que ses chaussures sont déchirées). Tout cela pour dire que les besoins élémentaires de toute une caste sociale vivant dans le dénuement absolu ne sont pas satisfaits. Le réalisateur pointe avec sa caméra très sobre et pudique la déshumanisation de toute une classe sociale en nous incitant à la résistance et à l'indignation ; puisque son personnage principal réagit et résiste en refusant d'être traité comme un numéro ; un être déshumanisé et un gueux. Dans ce dernier opus scénarisé par Paul Laverty ; construit de manière classique et magistralement interprété ; le réalisateur anglais ; détenteur de la Palme d'or en 2006 pour «Le vent se lève » ;a réussi un film émouvant et poignant où il met ; comme toujours ; l'humain au centre de son intérêt.