Autrefois, les familles de Hammamet, cette ville côtière, qui étaient tous des agriculteurs ou des pêcheurs, avaient l'habitude de s'alimenter quatre fois par jour. Le 14 mai de chaque année, les Capbonnais célèbrent le «mayou al-âjmi». C'est le cas aussi à Hammamet où les femmes se mobilisent pour préparer le fameux couscous blanc à la viande et d'autres spécialités de cette ville balnéaire. Ainsi pour mettre en exergue la gastronomie traditionnelle de la cité des agrumes et ressusciter son patrimoine culinaire, l'Association du Syndicat de l'Initiative du Tourisme de Hammamet a organisé, tout récemment, dans un restaurant, un atelier de cuisine animé par des autochtones et gastronomes chevronnés. Selon Imène Ismail, présidente de l'association, le but de cette manifestation est de valoriser l'héritage gastronomique de la ville, «resserrer le cercle familial et amical et, plus généralement, renforcer les liens sociaux». Une telle initiative «s'inscrit dans le cadre de travail de l'association dont la mission est de conseiller sur les bons plans à Hammamet et de promouvoir toutes les richesses touristiques locales. L'association se lance dans un projet de documentation thématique autour de la gastronomie de notre ville qui sera ponctué par un livre, ainsi qu'un partenariat avec des restaurants de la région afin que les visiteurs de notre cité puissent découvrir l'histoire gourmande régionale, profiter des produits du terroir et passer ainsi un séjour imprégné des saveurs de la région», précise la présidente de l'association. Le «Krout» : un brunch typiquement hammamétois Autrefois et contrairement à d'autres régions, à Hammamet, les familles de cette ville, qui étaient tous des agriculteurs ou des pêcheurs, avaient l'habitude de s'alimenter quatre fois par jour. Le matin, avant d'aller aux champs, les femmes préparaient le «chokan errik», dit aussi «bellan errik», ensuite entre 10h00 et 11h00, c'était le tour du «Krout» ou «takrit» (un terme inspiré du casse-croûte chez les Français et l'équivalent du brunch chez les anglo-saxons). Un peu tard dans l'après-midi, les Hammamétois mangeaient le «maktouû Dhahro» (un déjeuner tardif) et enfin, ils prenaient le dîner. «Quand nous étions petits, mes parents se réveillaient avec l'appel de la prière. Après l'accomplissement de ce rituel, ma mère préparait le «chokan errik» et mon père s'occupait de la charrette, notre moyen de transport pour rejoindre les champs. Le «chokan errik» se composait de «Aâsida bel helba» (une sorte de purée à base de farine ou de semoule de blé, dans lequel on ajoute des graines de fenugrec broyées, arrosées d'huile d'olive et de sucre-Ndlr), des beignets, «mhammas abyadh» aux dattes (un plat traditionnel maghrébin: un mets à base de pâtes de farine en forme de petits plombs, préparé sous forme de soupe sans sauce de tomate), l'incontournable huile d'olive vierge, les «Chrayah» (des figues séchées au soleil, etc.), etc.», raconte Naïma Mrad. Et tout dépend du volume du travail : «Il nous arrivait soit de prendre le déjeuner à temps aux alentours de 13h00 ou de casser la croûte vers 10h00 avec un «Krout» très consistant. Les enfants avaient la tâche d'enlever les mauvaises herbes et d'aider les hommes dans l'irrigation. Après le déjeuner, nos parents partaient faire la sieste en dessous du «bortal» (préau en arabe), tandis que les enfants allaient chasser les «Chokchik» (les alouettes des champs: une espèce d'oiseau) à l'aide du «ghorbal» (tamis) qui servait de piège. Entre 16h00 et 18h00, le jour où on ne déjeunait pas vers midi, le «maktouû dhahro» prenait le relais jusqu'au dîner», explique la jeune femme. Le «maktouû dhahrou»: un déjeuner tardif Entre nostalgie et souvenirs d'antan, la soixantaine des participantes à cet événement se sont, en effet, divisées en trois groupes pour préparer les différents gâteaux et mets du «Krout» (aâssida bel helba, aâssida bel felfel mharres, mhammas abiyadh, mhammas bel karouia), Bzaouech (du piment frit), felfel (une sauce aux piments et à l'ail, style «Chakchouka»), «makroudh» (gâteaux en forme de losanges à base de semoule), «ftaier», «ghraibet homs» (sucreries à base de pois-chiches), ftaier bel helba, biscuits, madmouja, chbabek el jenna (des tuiles semblables aux gaufres, mais frits), mkhakh (des doigts farcis à la crème pâtissière), hlelem (une soupe à base de pâtes fraîches en forme de cheveux d'anges) et un gâteau de sorgho. Et pour ce qui est du menu du «maktouû dhahro», il y avait du «Babbouch kadhab» (une sauce d'escargots), «hsou» (soupe à base de semoule très fine), couscous de Mayou, couscous «Boutaza», couscous au «lift el merchan», «masfouf bel felfel mharras», «masfouf bel chakchouka», «masfouf bel felfel essifi» et «Tbikhet el kraâ». Si le programme était riche et varié, l'ambiance festive et bon enfant, autour de la présentation du «couscous de mayou», était le clou du spectacle. Décoré avec d'œufs, d'amandes, de pois-chiche, de gros morceaux de viande de bœuf, de friandises et de pétales de roses, ce couscous avait la particularité d'être préparé sans sauce de tomate. «La tradition veut que le couscous de mayou, qui accompagne aussi les Hammametois dans leurs cérémonies de mariage ou lors des obsèques, soit préparé sans l'ajout de concentré de tomate ou de sauce rouge. Ce qui lui donne la couleur blanche, très appréciée des Hammametois et symbole de pureté», fait savoir Mme El Hergli, celle qui a préparé le couscous. Assurément, avec de telles traditions culinaires et une table bien garnie, comme le dit le proverbe français, «le mois de mai de l'année décide la destinée».