Ce petit plat au maigre rassemble les Tunisiens autant que le couscous, ou peut-être même plus. Citadins et ruraux, riches et pauvres aiment le déguster en toute saison en temps de rigueur hivernale ou par les jours de grande canicule estivale. Ce n'est pas un mets de la cuisine canaille, malgré sa simplicité et son aspect humble : il est toujours concocté tandis et même dans les demeures les plus cossues. A base de végétaux de saison — ce que toute bonne ménagère peut se procurer aisément —, la chakchoûka est un mélange subtil d'ingrédients très divers avec une durée phare qui donne à chaque recette son appellation : chakchouket batata (pommes de terre), sfenârya (carottes) en hiver au foul (fèves) au printemps, ainsi que celle qui est la plus invitée dans la belle saison, chakchouket felfel et t'mâtem (poivron et tomate). La chakchouka peut constituer une collation matinale pour ceux qui préfèrent les petits-déjeuners salés, ou peut-être servie à midi comme un déjeuner sans viande. Elle est dans ce cas élaborée avec plus de soins, parfumée au kaddid (viande boucanée) ou au merguez — selon les moyens — et enrichie d'un œuf ajouté au moment d'éteindre le feu. Parfois, une sauce à la chakchouka est versée dans un petit pain rond servant d'assiette pour couper la faim de jeunes enfants rentrant de l'école, en attendant le dîner. Mais la chakchouka a parfois une mauvaise connotation qui suggère l'idée d'un mélange hétérogène. On s'exclame alors «malla chakchouka!» (Quel désordre!) Cette insinuation n'est jamais mal intentionnée dans la bouche de la plupart des Tunisiens. C'est surtout pour évoquer cette préparation bien tunisienne qui nous rassemble, elle fait partie de notre spécificité. La chakchouka a depuis quelque temps pris le large, traversant la Méditerranée, se sentant quelque peu délaissée chez elle. Les Français l'ont vite adoptée par reconnaissance pour son goût et surtout pour ses vertus. Ils lui ont ainsi décerné une jolie appellation à consonance berbère : tchoutchouk ou parfois tachkchouka.