Telle est la formule chargée de significations et employée par un journaliste argentin à l'issue de la victoire historique face au Mexique, pour qualifier l'artisan « avant-gardiste » de l'épopée de 78. Dans la vie, on a tous besoin de repères, de référents emblématiques qui nous permettent de créer des valeurs authentiques, des éléments de réponse fiables à certaines situations problématiques dans des contextes de confusion. Le «personnage» de l'incontournable et du toujours pertinent Abdelmajid Chetali, ou «Majda »pour les intimes, s'inscrit dans ce registre référentiel privilégié du monde du ballon rond dans notre pays. Un érudit hors-pair dont le parcours a été jalonné de succès, voire d'excellence à travers toutes les étapes de sa vocation sportive: un joueur talentueux, un entraîneur précurseur et tacticien patenté, outre ses qualités de meneur d'hommes et de fin psychologue au verbe marquant et galvanisant; et un consultant à la perspicacité et à la pertinence unanimement reconnues à l'échelle nationale et internationale, lui qui a côtoyé le gotha du football mondial sur les plateaux des chaînes de télévision les plus huppées dans la planète, tels que les Arsene Wenger, Arrigo Sacchi, Cesare Maldini et autres. Dans ce registre de visionnaire et de fin connaisseur, qui aurait parié, hormis Chetali lors de la CAN 1998, que l'Egypte allait remporter le trophée, une «prédiction» qui lui a valu de se faire décorer par le président égyptien de l'époque, Hosni Moubarak: «Le président m'avait réservé un accueil hautement valorisant. A l'arrivée sur le tarmac de l'aéroport du Caire, le chef d'escale m'avait notifié que trois ministres égyptiens m'attendaient». L'inspiration allemande «En 1945, lors de la 2e Guerre mondiale, l'Allemagne a été totalement démolie, Berlin, la capitale de l'époque, a été radicalement détruite. Neuf ans après (1954), elle a remporté la Coupe du monde aux dépens de la Hongrie, (meilleure équipe de l'époque) de Puskas ». Un fait de l'histoire chargé de sens et d'enseignements qui résume l'imprégnation de «Majda» par la rigueur et la volonté des Allemands, un peuple qu'il a côtoyé de près quand il suivait son cursus d'apprentissage du métier d'entraîneur à Cologne, à l'issue duquel il a réussi à décrocher le diplôme grandement valorisant de la Bundesliga : «Les Allemands disaient toujours : Tu peux oublier ta mère ou ton père, mais n'oublie surtout pas ta montre. Quand tu vas à l'entraînement, les Allemands te recommandent non seulement de mettre dans ton sac ton maillot, ton short, tes chaussures, mais surtout de ne pas rouler vite en voiture, ne pas griller les feux, ne pas avoir une conduite nerveuse au volant de ta voiture. Tout ça pour te permettre d'arriver à l'entraînement dans les meilleures dispositions psychologiques», et de renchérir : «Lors de la remise des diplômes, Helmut Schoën m'avait dit: Ne cherchez pas l'argent, apprenez le métier avec les gosses, et c'est la raison pour laquelle j'ai décidé de débuter ma carrière d'entraîneur avec les jeunes. De ce fait , j'ai eu beaucoup de plaisir et de fierté d'entraîner les Bakaou et Hamed Kammoun dans les sections des jeunes avant de les retrouver en senior et en EN». D'ailleurs, le toujours affable ex-président de l'Etoile et ex-médecin de notre team national ne tarit pas d'éloges sur les qualités humaines et managériales de son entraîneur. «A 17 ans, j'ai appris le foot avec Si Majid avec qui on a acquis le plaisir de jouer et les ficelles du jeu. C'est un connaisseur hors-pair, il tire le maximum de chaque joueur même dans les conditions les plus difficiles. Avant les matches, il trouvait les mots tranchants pour booster le moral des joueurs. Il a une capacité phénoménale à décortiquer le jeu de l'adversaire». Un profil de précurseur Nul doute, l'épopée de 1978 a été le véritable tournant pour le football tunisien, compte tenu, certes, de la performance exceptionnelle de la sélection tunisienne qui a eu l'honneur, rappelons-le, de signer la première victoire africaine en coupe du monde ; mais surtout en rapport avec la qualité du jeu « culotté » et spectaculaire des coéquipiers de Dhouib, nullement intimidés par le contexte ni par l'importance de l'événement. «A l'époque, l'arrière latéral ne dépassait guère la ligne du centre. Avec Si Majid, on était, Kaâbi et moi, de véritables ailiers, un fait qui était à l'époque une réelle invention footballistique. Chetali était notre grand frère, il a eu le mérite d'éliminer les velléités régionalistes, c'était un rassembleur, une compétence confirmée, un mythe», nous a déclaré l'arrière latéral-volant de l'épopée de l'Argentine, Mokhtar Dhouib. A cet égard, tout le monde se rappelle de l'initiative fortement symbolique de Chetali pendant la pause lors du match contre le Mexique, alors que la Tunisie était menée au score, quand il a sorti le drapeau national de son sac pour le mettre devant les yeux de ses joueurs avant de quitter les vestiaires en disant «Levez vos têtes, le Tunisien ne baisse jamais la tête !!!», « Nous voulions montrer au monde entier que la Tunisie, un pays pratiquement inconnu à cette époque, était capable de fournir un football offensif et osé », avoue Majid Chetali. « J'avais protégé Attouga en le remplaçant par Naili » A la question qui renvoyait à sa recette magique qui lui a permis de gérer un vestiaire qui ne manquait pas de fortes personnalités pas facile à gérer, à l'instar des Témime et Attouga notamment. «Témime était un joueur adulé par le public au point de tomber dans une relative mégalomanie. Et c'est la raison pour laquelle je lui l'ai dit une fois au stade d'El Menzah : Si tu as rempli ces gradins, moi je l'ai déjà fait avant toi !». A propos du «cas »Attouga, remplacé contre toute attente par Naili lors de la Coupe du monde 1978, l'enfant de l'Etoile du Sahel reconnaît. «Lors de la période d'avant-coupe du monde, j'avais remarqué que Attouga n'assurait plus sur les balles aériennes aux abords des 6 mètres, la zone du gardien de but par excellence. Par contre, Naili, que j'avais eu l'opportunité de voir à l'œuvre à plusieurs reprises, excellait dans cet exercice et était tout simplement impérial; la preuve, il a été époustouflant dans ce registre face au Mexique, la Pologne et l'Allemagne. Au final, j'ai l'intime conviction que par une telle décision, j'avais protégé Attouga qui reste un grand ami». Equipe nationale : des choix inappropriés ! En évoquant la version actuelle de la sélection tunisienne, Chetali ne cache pas sa désapprobation relative à certains choix : «C'est un non-sens de convoquer tout ce contingent de joueurs expatriés sans avoir eu l'occasion de les voir à l'œuvre. Kasperczak est un coach que je respecte beaucoup et qui a fait un grand travail lors de son premier passage à la tête de notre EN. Je ne cache pas mon admiration pour le profil d'Hervé Renard qui a merveilleusement réussi avec la Zambie». «Faute de grives, on se contente des merles » Au sujet de la situation du football tunisien, Majid Chetali avoue: «On ne voit pas réellement de progrès, la preuve : aucune équipe tunisienne n'est présente en Champions League africaine», et semble ne pas accorder l'intérêt requis à la coupe de la CAF en disant : «Faute de grives, on se contente des merles, c'est inadmissible d'avoir un championnat de 16 clubs. L'idéal serait 12, voire 14 clubs. Pas plus». Toujours dans ce registre, il n'a pas caché son désarroi quant aux événements exécrables qui ont émaillé la rencontre ST-ASM. «C'est honteux et lamentable d'assister à de telles barbaries, j'ai des amis qui m'ont appelé des différents pays du Golfe pour me notifier leur stupéfaction relative aux scènes de violence. Les joueurs qui ont commis ces gestes vilains ont transposé leur incapacité à servir le ST d'une manière plus judicieuse sur les épaules du portier marsois». Pour ce qui est de l'ESS, son équipe de cœur et de passion, il avoue que la version actuelle de l'ESS dispose de tous les facteurs de réussite, à savoir des joueurs de qualité et surtout disciplinés. «On n'a jamais entendu parler d'un dépassement comportemental d'un joueur dans un lieu public, des choix tactiques judicieux émanant d'un coach aux qualités indéniables, des recrutements pertinents réalisés par un Zied Jaziri, fin connaisseur, sans oublier un public tout simplement formidable». «Quand mon fils piqua une crise de fureur» Pour l'histoire, il faut souligner que l'enfant de l'ESS avait été approché par le rival espérantiste sous l'ère de feu Hassen Belkhoja. «Je dois avouer que l'ex-président de l'EST feu Hassen Belkhoja avait contacté Mhammed Driss, le père spirituel de l'Etoile afin de me convaincre de prendre les rênes «sang et or». Je me rappelle que mon fils, en apprenant la nouvelle, a piqué une crise de fureur sans précédent, histoire de manifester son refus d'une telle idée». Au final, passer en revue les différentes étapes du parcours de Majid Chetali est un réel moment de délectation et de sublimation, compte tenu des valeurs sportives et humaines véhiculées par ce «personnage». Enfin, il est opportun et grandement significatif de mentionner que «Majda» n'a écopé durant sa longue carrière de footballeur de grande classe que d'un seul et unique carton jaune en 1968 !De quoi donner matière à réflexion à nos pseudo-footballeurs d'aujourd'hui ! Chapeau bas Si Majid !