Les dés sont jetés. Habib Essid fait durer le suspense. Il demande à ce que le Parlement lui retire sa confiance. On pressent que le locataire du palais de La Kasbah dira aux Brutus post-révolution leurs quatre vérités Maintenant que le pacte de Carthage comprenant les priorités du prochain gouvernement d'union nationale est signé par les partis politiques de la coalition au pouvoir et dans l'opposition et les trois organisations nationales (Ugtt, Utica et Utap) qui ont participé à l'élaboration de ce même pacte et que le chef du gouvernement Habib Essid a décidé, et l'a fait savoir au chef de l'Etat, qu'il partira, lui et ses ministres, une fois que le parlement lui retirera sa confiance, la question qui préoccupe les Tunisiens, principalement ceux qui s'intéressent encore à la politique en cette période de vacances estivales, de farniente sur les plages, de festivals et de mariages est la suivante : serons-nous dans les délais annoncés (le 25 juillet, jour de la fête de la République) pour connaître le nom du futur chef de gouvernement et les noms aussi des ministres ou des superministres qui l'épauleront dans sa mission de conduire le pays jusqu'en décembre 2019, date à laquelle expirera le mandat électoral en cours entamé, faut-il le rappeler, le 26 octobre 2014 ? Pour le moment, personne ni parmi les politiciens ni les constitutionnalistes qui pullulent sur la scène et ne ratent aucune occasion pour nous rappeler leur «science exacte et infuse» n'est en mesure de répondre avec clarté et exactitude à cette question. Du côté des partis politiques constituant la coalition au pouvoir qui ont décidé de lâcher Habib Essid, on considère que son gouvernement fait partie désormais de l'histoire et on implore «l'homme politique intègre qui a fait ce qu'il pouvait faire de ne pas compliquer davantage les choses, de faciliter le pocessus et de renoncer à sa décision de passer devant les députés avant de quitter le palais de La Kasbah». Et comme à son habitude, Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, qui aurait promis son soutien à Essid jusqu'à la dernière minute, choisit ses mots pour exhorter «le gouvernement à interagir positivement avec l'initiative de M. le président de la République ayant bénéficié de l'unanimité et d'ouvrir la voie à son application». En d'autres termes et sans le dire expressément, Rached Ghannouchi, qui a d'autres mécontents à satisfaire au sein de son propre parti (ses rounds de négociation avec ses lieutenants en vue de la constitution du bureau exécutif d'Ennahdha et du choix du nouveau secrétaire général du parti issus du 10e congrès de Hammamet se déroulent dans des conditions difficiles et risquent de s'éterniser) s'adresse aux ministres d'Essid pour les pousser à démissionner dans le but de mettre le chef devant le fait accompli. Certains constitutionnalistes soulignent qu'au cas où un ou deux ministres démissionneraient, Habib Essid peut leur trouver des remplaçants et faire fonctionner la machine constitutionnelle en sollicitant le Parlement pour leur accorder sa confiance. Sauf qu'en cas de démission collective, Habib Essid se trouvera dans l'obligation de démissionner lui aussi et de renoncer à l'opportunité de passer devant le Parlement pour dresser le bilan de son gouvernement et surtout — relèvent plusieurs observateurs — «dire à ceux qui l'ont soutenu et ont tout fait pour l'empêcher d'accomplir sa mission leurs quatre vérités. Et ces vérités sont douloureuses à écouter et compromettantes pour leur avenir politique». Une majorité large comme au bon vieux temps En tout état de cause, on n'est pas encore au dernier épisode du feuilleton post-Ramadan. «Partira de son propre gré, partira sous les applaudissements nourris des Brutus de la nouvelle ère». Et le feuilletont risque de durer et de nous rappeler les dernières semaines au cours desquelles Ali Laârayedh, le chef du gouvernement de la Troïka II, s'est accroché à son poste à La Kasbah en invoquant quotidiennement une condition nouvelle pour répondre à l'accord signé entre les participants au Dialogue national, dont son propre parti Ennahdha, qui s'est trouvé dans de beaux draps en voyant son secrétaire général se rebeller au risque d'avorter un accord sur lequel son président a été le premier à apposer sa signature. La comparaison peut paraître un peu poussée : dans la mesure où Habib Essid combat aujourd'hui les Brutus, en homme seul, contrairement à Ali Laârayedh, qui avait l'aval des constituants légitimistes qui ont refusé de quitter l'Assemblée nationale constituante (ANC) et de rejoindre les sit-inneurs de la fontaine du Bardo. Seulement, ceux qui lisent dans les intentions de Habib Essid assurent que ce dernier dispose d'un parti qui le soutiendra jusqu'à la dernière minute. C'est le parti de l'administration dont en premier lieu les hauts cadres qui ne veulent pas que la réconciliation économique et financières se fasse à leurs dépens et aussi ceux qui ont rejoint l'administration pour y occuper de hauts postes en bénéficiant de l'amnistie générale et qui se voient aujourd'hui menacés de retrouver la rue au cas où ceux qui dénonceraient leur incompétence arrivent à convaincre le prochain chef de gouvernement de les lâcher. Certes, toutes les hypothèses sont à poser. Reste la logique des chiffres. Et ces chiffres montrent que 179 députés (sur' 217) appartenant aux quatre partis de la coalition au pouvoir et à Machrou Tounès, via le groupe Al Horra, sont disposés, sauf surprise de dernière minute, à «dégager Habib Essid du Palais de La Kasbah» quand Mohamed Ennaceur, président du Parlement, le leur demandera. Ils caressent encore l'espoir de voir le chef du gouvernement partir de son propre gré et de garder pour l'histoire les secrets de son passage à la tête du gouvernement et peut-être les révéler, un jour, dans ses mémoires. Mais s'il faut qu'ils soient obligés de les écouter publiquement (même si la grande majorité des députés les connaissent), ils sont prêt à les subir. Et ce ne sera pas la dernière épreuve qu'ils vont vivre.