Par M'hamed JAIBI Nos banques et nos sociétés nationales jonglent avec les chiffres et les bilans, nous donnant tantôt l'impression que tout est pour le mieux, tantôt que rien ne va et que des réformes draconiennes s'imposent. Cela s'est vu à propos des trois banques d'Etat qu'on a voulu renflouer par le biais d'une opportune recapitalisation, et cela intervient fréquemment, en fonction de la conjoncture ou de la volonté politique du moment, dans divers secteurs de l'économie nationale. Faire dire aux chiffres ce que l'on veut A l'époque de la rigueur des chiffres qu'avait introduite feu Hédi Nouira, champion de la libéralisation, on disait de lui qu'il maniait l'art de faire dire aux chiffres ce qu'il voulait qu'ils démontrent. Certains, à l'époque, l'accusaient de les «manipuler», mais la réalité est que les chiffres, les taux, les quotas, les ratios... sont des outils à la merci des experts et des politiques. Sachant que l'on peut les tourner à sa guise pour convaincre ou rassurer l'opinion. C'est ce que vient d'opérer récemment la compagnie Tunisair qui publie ses chiffres relatifs au 2e trimestre 2016. Selon ces chiffres communiqués à la Bourse de Tunis, ses «revenus» auraient augmenté de 15,65% par rapport au 2e trimestre 2015. Et l'on nous informe que, malgré la crise incontestable que connaît le transport aérien chez nous, le nombre de passagers transportés par Tunisair aurait ainsi augmenté de 1,85%, de même que le «coefficient de remplissage» qui serait passé de 67,1% à 69,3%. Cela étant dû, toujours selon Tunisair, à une nette amélioration de la «part de marché» revenant à la compagnie nationale, laquelle serait passée de 33% à 42,6%. Une crise structurelle Mais tous ces chiffres qui nous rassurent ne sauraient masquer ni la crise profonde du secteur ni les problèmes structurels qui pénalisent Tunisair, cette compagnie qui continue à être brandie comme un trophée national au lieu de donner lieu aux réformes de fond qui s'imposent, s'agissant d'une entreprise économique redevable de performances. Face aux défis du low cost, de la concurrence des charters et des exigences de l'Open Sky qui nous fait toujours défaut, pénalisant stratégiquement notre tourisme. Certes, les solutions à nos problèmes ne sont pas évidentes, et les réformes requises posent plus de questions qu'elles n'en résolvent. Mais il est essentiel d'éviter, à l'avenir, ces pratiques éculées que savourait l'ancien régime, consistant en une communication verticale tronquée alternant, selon les convenances, pluie et beau temps. Par la simple manipulation de chiffres corroborant des «mensonges par omission». Comme ce nouveau vol direct régulier vers le Canada que l'on tient à présenter comme déjà rentable, alors qu'il s'agit d'une aventure courageuse qu'il faut convenablement méditer et évaluer. Une communication rigoureuse et authentique L'apprentissage démocratique introduit par la révolution exige que l'information soit rigoureuse et authentique, afin que le personnel pluraliste politique, médiatique et associatif soit au fait de la réalité vraie dans tous les domaines qui intéressent le développement, le progrès et la bonne conduite des affaires du pays. S'agissant de Tunisair, on en a entendu de toutes les couleurs, à travers les âges et les ères politiques qui se sont succédé. Déficits, excédents, bonnes performances, restructuration, catering défaillant, bilans controversés, crises aiguës, recapitalisation, personnel pléthorique, dégraissages suivis de recrutements massifs... Sans oublier les pannes qui se multiplient et les retards qui s'amplifient. Il est temps de voir cette compagnie voler comme une gazelle de ses propres ailes, sans faux-fuyants, sans doux «mensonges» et sans zèle. Cela vaut pour toutes nos entreprises nationales, lesquelles méritent de se mouvoir conformément à une stratégie nationale claire qui soit connue de tous, et d'être dotées de comptes rigoureux irréprochablement transparents, conformes aux meilleurs standards internationaux, dévoilant toutes les données significatives. Et non pas des chiffres de circonstance pouvant justifier toutes les manipulations. Ou tout simplement rassurants.