Par Abdelhamid Gmati Une fois que la désignation d'un nouveau chef de gouvernement a été entérinée, la question qui se pose à tous concerne l'avenir : Youssef Chahed fera-t-il mieux que ses prédécesseurs ? Et, plus précisément, fera-t-il mieux que Habib Essid ? Si certains accordent le préjugé favorable et laissent la chance au coureur, d'autres, par contre, jouent les Cassandre et affirment, mordicus, que la situation générale étant ce qu'elle est, il y laissera des plumes. L'ancien gouverneur de la Banque centrale, Mustapha Kamel Nabli, agite « le spectre d'une crise politique de grande ampleur si l'initiative présidentielle venait à échouer. La lutte contre le terrorisme, l'économie informelle, la corruption et le népotisme sont autant d'épines qui menacent fortement l'action du prochain gouvernement s'il se heurtait aux mêmes entraves que le précédent ». Mais dans les faits, comment se présente la situation ? Dans sa première déclaration officielle, Youssef Chahed a été direct et explicite sur ses intentions. Pour lui, cette nouvelle étape « va demander du courage, des sacrifices et des efforts sans précédent pour le gouvernement et l'Assemblée, ainsi que le peuple. Le gouvernement sera un gouvernement de compétences nationales. Ce sera également un gouvernement de jeunes qui sera franc avec le peuple dès le début à propos de la situation financière, économique et sociale du pays ». Il ajoute que « le gouvernement se conformera à l'accord de Carthage, et fera en sorte de travailler sur 5 priorités de l'accord: la guerre contre le terrorisme, la guerre contre la corruption et le banditisme, élever le taux de croissance de l'économie du pays, le contrôle des équilibres financiers, ainsi que la question de la propreté et de l'environnement ». Il a aussi précisé : « Le gouvernement d'union nationale sera un gouvernement politique et composé de cadres compétents sans système de quotas partisans; les jeunes seront associés dans ce cabinet qui sera éminemment formé de jeunes ». La première difficulté est le choix de son équipe. Et il a entamé ses concertations en brassant large, discutant avec les partis politiques, les organisations syndicales, les associations. Des propositions et des suggestions lui ont été soumises et là, évidemment, il va avoir plus de mécontents que de satisfaits. Et il est déjà servi. Dès le départ, certains partis politiques estiment que « la nomination de Youssef Chahed est arbitraire ». Ce qu'ils contestent, en somme, c'est le droit constitutionnel dont a fait usage le président de la République. Ils ont été consultés, bien sûr, mais on n'a pas donné suite à leurs desiderata. Et ils se sont retirés des consultations sur la formation du nouveau gouvernement. Il se trouve que ces partis, qui n'ont pas eu le soutien populaire lors du dernier scrutin, et ne représentent qu'eux-mêmes, veulent quand même participer au pouvoir, aux décisions. C'est là une entrave à laquelle s'était déjà heurté Habib Essid. La deuxième grosse difficulté consiste à avoir un gouvernement de « jeunes compétences, sans système de quotas partisans ». Les partis de la coalition ont déjà exprimé, à l'instar d'Ennahdha, leur volonté d'être représentés dans ce gouvernement en tenant compte de leur poids électoral. Gros dilemme. Le nouveau chef du gouvernement est placé sur la corde raide : il souhaiterait avoir une équipe indépendante sans « quotas partisans » mais il a besoin du soutien des partis de la coalition pour avoir l'aval des députés à l'ARP. Cela l'amènerait à se prêter aux marchandages avec ce que cela comporte comme compromissions, surenchères, tractations et déceptions. De plus, d'aucuns estiment qu'il devrait se comporter en chef de gouvernement et non en Premier ministre, statut qui le placerait sous la tutelle du président de la République. Déjà, on impute à la Présidence l'intention de procéder à des nominations, notamment dans le domaine de la sécurité. Il semble toutefois que Youssef Chahed ne manque pas d'atouts. D'abord, il est jeune et n'a pas de compromission politique même s'il est membre de Nida Tounès, majoritaire aux dernières élections. Et puis, il sait les défis qui l'attendent et les entraves qu'on va lui faire subir. Il sait qu'il doit faire preuve de courage et de bonne gouvernance. Le peuple tunisien a, sans aucun doute, besoin de changement et de retrouver le prestige de l'Etat. Le nouveau chef de gouvernement a promis de dire la vérité au peuple. Il a déjà commencé en utilisant un nouveau compte sur les réseaux sociaux pour s'adresser directement à la population. Une première qui augure d'une nouvelle forme de communication. S'il sait se comporter selon ses dispositions, il pourrait devenir un « Sisyphe tunisien », qui pourra défier cette malédiction, cette « gangrène » qui mine la vie tunisienne et venir à bout de toutes les entraves et les difficultés.