Un nouveau gouvernement d'unité nationale vient d'être investi pour conduire les destinées du pays jusqu'aux prochaines échéances électorales. Il sera appelé à relever plein de défis d'une importance capitale à court et à moyen terme, mais il importe de ne pas rater le départ et de réussir, d'abord, la rentrée économique et sociale qui s'érige comme étant le premier défi de taille pour le nouveau gouvernement en place. On a recensé onze freins qui risquent de handicaper cette rentrée. Dans une première lecture, on va s'arrêter sur les cinq premiers. 1- Le non-rétablissement rapide de l'autorité de l'Etat La consolidation de l'Etat de Droit à travers l'application stricte de la loi dans tous les secteurs d'activité et à tous les niveaux reste une condition nécessaire et suffisante pour une reprise économique soutenue. Il y a lieu donc de rompre avec toute manifestation de turbulence ou de chaos entravant l'ordre public et la paix sociale, à défaut, on ne fera qu'appuyer la frilosité et l'attentisme des investisseurs et autres hommes d'affaires et donc différer l'investissement, principal moteur de la croissance économique. A ce propos, le nouveau gouvernement de Youssef Chahed est tenu de lever rapidement les doutes, manifester sa fermeté et rétablir l'ordre et la discipline pour qu'enfin l'on puisse tous ramer dans la même direction. Conduire et diriger d'une «main de fer» et non d'une main tremblante, pour mettre un terme à toute menace qui porterait atteinte aux intérêts du pays et faire prévaloir l'intérêt de l'Etat sur les intérêts de quelques particuliers. Le rétablissement de l'autorité de l'Etat, c'est aussi l'intransigeance et la fermeté vis-à-vis des spéculateurs qui ne cessent d'envenimer le climat social, en rendant la vie dure aux consommateurs notamment ceux de la classe moyenne et de celle des démunis. Outre la mauvaise image véhiculée (qui découragera les investisseurs ou coopérants étrangers et même les touristes), cet aspect n'est pas de nature à stabiliser et à sécuriser et surtout tranquilliser opérateurs économiques et particuliers. D'ailleurs, le respect de la loi dans tous les domaines, socle de l'Etat de Droit, ne pourra que renforcer la paix sociale : la justice et l'ordre prendront ainsi le dessus sur la frustration, l'impunité et le chaos. Ce qui devrait stimuler, à coup sûr, la reprise de l'activité économique. 2- La poursuite du bras de fer syndicats-entreprises économiques Le nouveau gouvernement est face à un impératif : réduire l'incertitude sociale. Il devra apporter une réponse nouvelle pour faire en sorte d'éviter à tout prix des entités productives à l'arrêt qu'elles soient publiques ou privées, voire tout un secteur d'activité (tel que celui des phosphates). Grèves, sit-in, blocages de routes, occupation de sites administratifs ou de production et autres manifestations de tensions sociales qui, si elles se poursuivent au rythme annoncé, l'économie tunisienne ne sortira pas de l'auberge, comme on dit, et devrait faire face à de sombres perspectives. Pourtant, un atout de taille serait à la disposition de ce gouvernement, à savoir deux ministres de profil syndicaliste et donc rompus aux rouages des négociations avec les forces ouvrières et donc savent mieux que quiconque comment aborder et surtout prévenir et solutionner les tensions sociales. La grande gageure, c'est quand ce gouvernement arrivera à établir, avec les syndicats, une trêve sociale pour asseoir la stabilité tant souhaitée et créer un environnement propice à la productivité et essayer de rattraper le temps perdu. 3- La passivité affligeante des investisseurs et des hommes d'affaires Les pouvoirs publics devront essayer de créer le déclic en envoyant des signaux clairs et encourageants à l'adresse de l'entreprise économique. Objectif : réanimer l'investissement productif qu'il soit public ou privé et réhabiliter l'esprit d'initiative et l'entrepreneuriat. Si la situation actuelle se poursuit où on assiste à des entrepreneurs locaux qui préfèrent attendre, voire délocaliser plutôt que d'agir et poursuivre leurs activités et entrevoir des jours meilleurs et soutenir le pays qui les a façonnés et qui a contribué à leur statut social, si le manque de courage et d'audace perdure, alors, il n'y aura point de croissance économique et donc pas d'atténuation des déséquilibres extérieurs (déficit commercial, déficit des paiements courants et fardeau de la dette extérieure — principal et service de la dette) et du déficit budgétaire. Pour changer les choses, il faut absolument que cette frange se débarrasse, patriotisme économique oblige, de tout relent de frilosité ou d'attentisme, surtout qu'un gouvernement d'union nationale est désormais en place. Les conditions s'annoncent d'ores et déjà propices surtout que la stabilité politique devrait jouer le rôle de catalyseur tant espéré par les opérateurs économiques qu'ils soient locaux ou étrangers du dynamisme économique, à même d'épargner à notre pays le scénario du pire. 4- La confiance fébrile ou instable Sans confiance, on ne peut parler ni de dynamique économique ni d'entrepreneuriat, encore moins d'investissement. Pour illustrer l'importance de ce facteur pour l'activité économique, il faut savoir que nombre d'instituts de statistique ou de conjoncture ou autres agences de sondage occidentaux mesurent périodiquement le «climat des affaires» ou «le climat économique» par le biais d'indicateurs tels le «sentiment» ou le «moral» ou encore «l'opinion» des hommes d'affaires dans tous les secteurs d'activité (industrie, services, construction et travaux publics, commerce du détail). D'ailleurs, ces indicateurs sont également calculés pour esquisser le comportement des consommateurs, compte tenu de leur poids dans la croissance économique des pays avancés. Et les décideurs économiques accordent une grande importance à de tels indicateurs qui donnent un aperçu des intentions et des anticipations des sondés au vu de leur optimisme ou pessimisme affiché. Il n'y a pas pire désastre pour une économie donnée que de voir des entreprises et autres investisseurs en panne de confiance. Résultat : des secteurs (ou des pans de l'économie) à la peine ou carrément à l'arrêt. Et seule la confiance peut enclencher une dynamique de croissance soutenue et durable. D'un autre côté, c'est la crédibilité des actions et des politiques qui, généralement, redonnent confiance à tous les opérateurs économiques et autres membres de la communauté et développent leur optimisme en un avenir commun meilleur. Pour booster l'économie tunisienne, le nouveau gouvernement aura grand besoin d'une confiance indéfectible, totale et continue et non conditionnelle comme annoncé par certaines parties. Seule pareille confiance saura décider les hommes d'affaires à sortir de leur léthargie et mettre en branle l'appareil productif et les projets d'investissement. Outre les entrepreneurs, il faut aussi gagner la confiance des jeunes : les décideurs doivent faire en sorte que cette frange ne soit plus vouée au désespoir. Enrayer le manque de confiance en l'avenir, reste en effet, le défi majeur qui se pose à la Tunisie. 5- La productivité en berne Prenons le cas du facteur travail par exemple, nombre d'études ont mis en relief certains mauvais comportements qui se sont répandus à grande échelle depuis 2011, tels l'absentéisme, les retards, les congés de maladie (normaux et de longue durée), le faible rendement, le non-respect de la hiérarchie, le fait de rechigner à l'ouvrage, la nonchalance et le laisser-aller, etc., des comportements à éradiquer absolument si on veut sauver ce qui peut encore l'être. Pour ce faire, la contribution de toutes les parties est nécessaire : patronats, syndicats, commissions paritaires ou comités d'entreprise, directions générales... D'ailleurs, des valeurs telles que l'abnégation au travail, la conscience professionnelle ou le travail bien fait semblent perdre dangereusement du terrain, par les temps qui courent. Or, la productivité demeure essentielle pour que la Tunisie réagisse face à tous les marasmes actuels et futurs : déficit public, tensions sur les dépenses budgétaires, menaces de non-acquittement des échéances de remboursement de la dette extérieure, etc. Enfin, la productivité permettra la compétitivité de nos produits et services et donc la dépréciation du dinar pourra profiter à la demande externe pour donner une bouffée d'oxygène à nos exportations.