Si la diaspora a un avantage, c'est bien celui de fournir au monde des arts et de la littérature des noms qui ont marqué l'histoire par leurs œuvres. Le cas de la diaspora libanaise, active dans plusieurs domaines, l'illustre bien à travers le parcours de poètes et d'écrivains comme Jibran Khalil Jibran, Michael Nouaïma, Ilya Abou Madhi et Amine Maâlouf. Il se trouve que ce dernier a un neveu musicien et compositeur, Ibrahim, le même que nous avons découvert dimanche dernier sur la scène du Festival de La Médina, au Palais Kheïreddine, invité de l'Institut français de coopération. Découvrir n'est pas tout à fait le mot. Ibrahim Maâlouf est venu précédé par les échos de sa musique qui se propage, comme un virus, sur la toile, et fraîchement (juillet 2010) consacré par la Victoire de la Révélation instrumentale de l'année (prix Frank Ténot) aux Victoires du Jazz en France, son pays adoptif. Depuis plus d'un an, le terrain lui était préparé auprès du public tunisien qui est venu en nombre à son " premier concert seul avec son propre groupe " , comme il l'affirme en début de soirée, dans notre pays. Parmi ces gens, un jeune public qui le suit sur facebook, où ses vidéos se partagent comme des petits pains, et sur les chaînes françaises où il apparaît régulièrement dans des émissions et des diffusions de concerts. A 30 ans à peine, Ibrahim Maâlouf s'est construit une solide réputation de musicien, trompettiste et pianiste, de compositeur et d'arrangeur, couronnée par sa récente carrière de professeur de trompette. Son talent, il le tient principalement de son père, Nassim Maâlouf, inventeur de la tompette à quarts de tons, qui permet de jouer les modes arabes avec cet instrument. Il a passé plusieurs concours de musique dont il est souvent sorti lauréat et a accompagné de nombreux artistes sur des projets musicaux : Amadou & Miriam, Lhasa De Sela, Vincent Delerm, Matthieu Chedid, Sting... Ce qui n'a pas manqué d'influencer ses choix musicaux, qui scrutent des horizons très divers. Lors de son concert, Ibrahim Maâlouf commenca par se présenter au public en disant qu'il était déjà venu jouer en Tunisie à deux reprises, avec Marcel Khalifé, et qu'il reviendrait en octobre pour accompagner l'artiste tunisienne Alya Sellami et son ensemble vocal dans un concert qu'il a qualifié de " très méditatif ". Et d'ajouter : " Ce soir, ce sera plus rock et plus agressif"... Ce fut en réalité un voyage à bord d'un tramway nommé électro-jazz oriental. Entre les morceaux de son premier et de son deuxième album, Diasporas (2007) et Diachronism (2009), Ibrahim Maâlouf a offert à l'audience une étonnante démonstration de domptage d'instruments (trompette, guitare, basse, synthétiseur et batterie), qui passaient d'un registre à un autre comme par magie. Ses compositions rassemblent plusieurs niveaux sonores. Les musiciens donnent l'impression de jouer chacun de son côté. En même temps, l'union des mélodies qui se dégagent de leurs instruments fait la force et la richesse des titres d'Ibrahim Maâlouf. Des titres comme Esse Emmeou, le magnifique Beyrouth, qu'il a composé à l'âge de 12 ans (1993) en hommage à la ville qui sortait de la guerre civile. Après avoir raconté la petite histoire de ce dernier morceau, il nous a donné l'impression que Beyrouth s'était emparée de la trompette pour exprimer elle-même ses douleurs et sa mélancolie qui s'achèvent par un cri, un passage rock, clin d'oeil à Led Zepplin, dont il a découvert la musique le jour même où il a composé Beyrouth, en se baladant dans les rues désertes de la ville. Redécouverte et consécration Tous les ingrédients étaient au rendez-vous pour que le très attendu premier vrai passage d'Ibrahim Maâlouf sur une scène tunisienne soit mémorable. Il y avait, d'un côté, un quintette de talent et une musique qui n'a rien à envier aux tapis volants pour ce qui est de transporter l'auditeur, et de l'autre, un public de qualité, dont la venue était mûrement réfléchie. Seulement, il y avait comme un cheveu sur la soupe qui a empêché l'alchimie d'opérer. L'artiste et le public n'étaient malheureusement pas sur la même longueur d'onde. Lui essayait désespérement de les faire bouger, eux voulaient savourer tranquillement un moment tant attendu. De plus, Ibrahim Maâlouf, ne sachant pas à quoi s'attendre et croyant que les Tunisiens ne connaissaient pas sa musique, s'est mis en tête que c'était le concert de la découverte, alors qu'il était plutôt destiné à être celui de la consécration. Il entrait de ce fait dans de longues explications et introductions qui ont comme mis à mal la complicité de part et d'autre de la scène. La spontanéité de l'artiste ne lui a pas trop servi non plus. L'ambiance a été sauvée tant bien que mal vers la fin du concert quand le public a réclamé le retour d'Ibrahim Maâlouf sur scène, ce qu'il a fait pour jouer deux titres, dont Sa'alouni Enness de Faërouz, demandé par l'audience. A l'ère de l'Internet, cet outil qui a justement servi à le faire connaître en Tunisie, l'artiste ne pouvait-il pas en user à son tour pour avoir un idée de ce qui l'attendait dimanche ?