Aux yeux du doyen des dirigeants sportifs tunisiens, c'est la principale qualité que doit avoir un joueur cadre, même s'il n'est pas forcément le meilleur sur le terrain «Le joueur-cadre ne se forme pas. Pour l'être, il faut avoir un profil bien déterminé qui dépend en premier lieu de sa propre situation dans l'équipe. Habituellement, c'est le joueur le plus âgé du groupe et qui est, par conséquent, le plus expérimenté. Il faut qu'il soit aussi le meilleur joueur de l'équipe, mais loin de lui l'attitude de vedettariat. Il est là pour encadrer ses coéquipiers et non pas pour jouer au patron aux vestiaires. Bref, il doit avoir deux qualités essentielles : être le meilleur techniquement et surtout avoir les qualités requises pour être un meneur d'hommes. Lorsqu'un jour, on avait demandé au cours d'un débat sur la radio de Monastir à l'ancien joueur de l'Espérance, Kamel Ben Abdelaziz, son avis sur la principale force de l'équipe. C'était en 1989, l'année où nous avions remporté le doublé. Sa réponse était comme suit : «L'actuelle Espérance est la meilleure équipe du moment parce qu'elle possède trois entraîneurs: Piechniczek sur le banc, Khaled Ben Yahia en défense et Tarek Dhiab en attaque». J'ai tenu à vous faire part de cette déclaration de Kamel Ben Abdelaziz pour vous dire à quel point les joueurs-cadres avaient de l'importance dans l'équipe et l'impact de leurs personnalités sur ses performances. Oui, comme vous le dites, il fut une époque où il y avait un joueur cadre par compartiment. A l'Espérance, on avait généralement au moins deux, si ce n'est trois joueurs cadres sur le terrain. Chacun chapeautait son compartiment. Un joueur qui a de la personnalité peut être aussi un joueur-cadre, même s'il n'est pas le plus âgé et n'est pas le meilleur joueur sur le terrain. C'est le cas de Khalil Chammam. Il a une très forte personnalité. Il sait utiliser les mots qu'il faut pour encadrer ses équipiers dans les vestiaires et se montrer convaincant quand il prend la parole lors des réunions. C'était aussi le cas de Houcine Ragued. Depuis 1919, émerge à chaque décennie une nouvelle génération de grands joueurs. Pour gérer des icônes, voire de grandes gueules comme Nabil Maâloul, Khaled Ben Yahia ou encore Chokri El Ouaer, ma devise était connue de tous, notamment quand il s'agit de distribuer les primes, principal et éventuel point de discorde que je pourrais avoir avec les joueurs, je disais toujours aux joueurs concernant les retenues sur la prime: je ne vous priverai pas de votre dû, mais je ne vous donnerai pas non plus ce qui revient à l'Espérance. Cette devise m'a évité d'avoir des problèmes avec les joueurs quels que soient leurs rangs. De toute ma vie, je n'ai eu aucune altercation avec eux. C'est que je me suis toujours tenu dans l'exercice de ma fonction aux limites de ma tâche. Je ne me suis jamais interféré dans le travail de l'entraîneur. D'ailleurs, les primes sont calculées sur la base du rapport remis par l'entraîneur et conformément au barème fixé par les règlements intérieurs du club. Il y a aussi le facteur de l'âge qui joue en ma faveur. Tout le monde m'appelle «Oncle Ameur». Pour ma part, j'ai toujours respecté les joueurs, même si je me permets de plaisanter avec eux. Mon humeur n'a jamais été déplacée. J'avoue aussi que je n'ai jamais été confronté à un écart de conduite de la part d'un joueur. Des joueurs comme El Ouaer, Ben Yahia ou Maâloul avaient chacun son petit caractère. En les fréquentant, j'avais appris avec le temps comment les gérer. Quand on est dirigeant, il faut savoir fixer des limites au footballeur, même s'il s'agit d'une vedette. Puis, à l'Espérance, il y a la culture de la discipline instaurée par feu Chedly Zouiten. D'ailleurs, le tempérament du président actuel, Hamdi Meddeb, me rappelle celui de feu Chedly Zouiten. M. Meddeb est un homme gentil, certes, mais c'est un président qui ne badine pas avec la discipline. Et les exemples sont nombreux. Le plus récent est celui de Youssef Belaili. Il a été relégué chez les espoirs par Hamdi Meddeb quand il avait été suspendu pour dopage. Et c'est un exemple parmi d'autres. Bref, avec l'âge et l'expérience et quand on sait faire la part des choses, on peut gérer les plus grands footballeurs. Travailler aussi dans un grand club, une institution de la trempe de l'Espérance de Tunis, c'est important aussi, car les règles sont bien définies».