Les avocats prennent le relais de l'Ugtt et rejettent catégoriquement le projet de loi de finances 2017 qu'ils qualifient de projet «attentatoire à la paix sociale» Décidément, rien ne va plus entre le gouvernement Youssef Chahed et les organisations professionnelles signataires du Pacte de Carthage, l'Ugtt et l'Utica, en attendant que l'Utap découvre, elle aussi, que la loi de finances 2017 lèse ses affiliés. L'Ordre des avocats se joint, lui aussi, au club de ceux qui s'opposent aux dispositions contenues dans le projet de loi de finances 2017 obligeant «les robes noires» à s'acquitter de leur devoir fiscal autrement, à l'avenir, c'est-à-dire en payant à l'Etat l'argent qui lui revient réellement sur les revenus annuels effectifs que les défenseurs de la veuve et de l'orphelin réalisent. En d'autres termes, il n'est plus question que certains avocats déclarent aux recettes des finances les revenus dont ils décident d'eux-mêmes les montants. Et il n'est plus question aussi que les receveurs des finances acceptent sans broncher les déclarations de revenus faites par des avocats et leur délivrent les quittances d'impôt, alors qu'ils savent que ces déclarations sont fausses et sont loin de refléter la réalité. Et la question qui se pose d'elle-même est la suivante : Youssef Chahed a-t-il les moyens de réussir là où a échoué feu Hédi Nouira, ancien Premier ministre du président Bourguiba, quand il a cherché en 1976 à imposer aux médecins les ordonnances numérotées et à demander aux avocats de s'astreindre à un registre sur lequel ils doivent inscrire les affaires dans lesquelles ils plaident. Ceux parmi les Tunisiens âgés de plus de cinquante ans doivent se rappeler le débat houleux qu'a connu à la mi-mars 1976 l'Assemblée nationale, composée à l'époque de députés appartenant exclusivement au Parti socialiste destourien (devenu en février 1988 le RCD) au point que feu Hédi Nouira s'est trouvé dans l'obligation de retirer le projet de loi en question et de promettre qu'il sera soumis de nouveau au Parlement après révision. Seulement, le projet n'est jamais réapparu. L'histoire étant un éternel recommencement, l'on se demande ce que Youssef Chahed et les concepteurs du projet de loi de finances 2017 (actuellement au Parlement au niveau des commissions) vont entreprendre pour calmer les ardeurs et la colère des avocats. Hier, Ameur Maherzi, bâtonnier des avocats, a signé une déclaration virulente, annonçant que les avocats ont décidé de mener une guerre sans merci contre le projet de loi en question dans le but de contraindre le gouvernement à annuler les dispositions fiscales ayant trait aux avocats. Une journée de colère accompagnée d'une grève générale Dans la déclaration de l'Ordre national des avocats, dont une copie est parvenue à La Presse, les avocats «rejettent catégoriquement et définitivement le projet de loi de finances 2017 dans sa version actuelle» et annoncent «une journée de colère demain, vendredi 21 octobre, accompagnée d'une grève générale avec fermeture totale des études des avocats et une présence passive dans les sièges des tribunaux». Les avocats promettent, d'autre part, d'autres mouvements de protestation que le bâtonnier Ameur Maherzi révélera lors d'une conférence de presse qu'il tiendra incessamment. Au cours de la même conférence, il fera «la lumière sur le projet de loi de finances, sur son impact sur les différentes catégories et les avocats et appellera les partis politiques et les instances professionnelles à faire face à ce projet attentatoire à la paix sociale». Plus de 3.000 avocats boudent les recettes des finances Mais dans la réalité de tous les jours, comment se comportent les avocats face à leur devoir fiscal ? Les données statistiques relatives aux dossiers des avocats montrent que sur 7.260 «robes noires», seuls 4.234 font leurs déclarations de revenus annuels et 3.026 boudent les recettes des finances, ce qui fait gagner à l'Etat 11,824 MD par an, soit 124 dinars mensuels en prenant en considération le nombre total des avocats et 213 dinars par mois si on retient uniquement ceux qui fréquentent une fois par an les recettes des finances. En parallèle, un enseignant universitaire voit son salaire amputé mensuellement de 400 dinars et un juge concède à l'Etat 500 dinars par mois, à titre de devoir fiscal. Et comme les chiffres sont implacables, les avocats ont avancé leurs propres propositions, avec des détails dans la compréhension desquels les inspecteurs fiscaux les plus perspicaces se perdraient. Une première proposition : les avocats qui gagnent 150.000 dinars par an acceptent l'instauration d'un timbre fiscal libératoire de 20, 40 et 60 dinars en fonction du type du tribunal par devant lequel l'affaire est traitée. Toutefois, il n'y aura pas de contrôle fiscal. Quant à ceux qui gagnent plus de 150.000 dinars, ils acceptent les timbres fiscaux et ils sont d'accord pour payer 2,5% sur leur chiffre d'affaires. Le hic dans cette première proposition, c'est qu'il n'y aura pas de contrôle fiscal et qu'un avocat qui gagne, à titre d'exemple, 30.000 dinars par ans, paye la même somme que son collègue dont les honoraires s'élèvent à 150.000 dinars par an. Et si cette proposition est retenue, ce sont les jeunes avocats se considérant comme les prolétaires de la profession qui vont se rebiffer et crier à l'injustice. Les avocats avancent une deuxième proposition selon laquelle ceux qui gagnent jusqu'à 100.000 dinars par an acceptent d'être astreints à l'article 34 du code des impôts applicable aux petits commerçants. Ainsi, un avocat qui gagne, à titre d'exemple, 90.000 dinars par an versera à l'Etat 2.700 dinars, soit 3% sur son chiffre d'affaires. Au final, les deux propositions soumises par l'Ordre national des avocats au gouvernement dispensent les avocats du contrôle fisccal et leur donnent la possibilité de décider d'eux-mêmes du volume des revenus qu'ils déclarent aux recettes des finances. A l'ouverture de la session parlementaire 2016-2017, beaucoup d'observateurs ont prédit un hiver très chaud au palais du Bardo, et ils avaient raison. Hier, Hfaiedh Hfaiedh, secrétaire adjoint de l'Ugtt, a déclaré que les syndicalistes sont toujours attachés aux augmentations salariales déjà décidées pour le compte de l'année 2016 et à celles aussi de 2017 (dont les négociations devaient démarrer en mars 2016) et a martelé que la prochaine réunion de la commission administrative nationale décidera des formes de protestation à organiser. De son côté, l'Utica a fait savoir qu'elle rejette la contribution exceptionnelle de 7,5% que les entreprises sont appelées à consentir en 2017.