En visite en Tunisie, les 20 et 21 octobre, M. Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement, a bien voulu répondre à nos questions au sujet de la coopération et des projets en gestation. «Le problème le plus important reste celui de la durée des projets et programmes qui dépasse souvent cinq ans. Il y a également la question des capacités de pilotage des maîtrises d'ouvrage, mais surtout des délais d'attribution des marchés publics», souligne-t-il notamment. Quels sont les projets en cours avec la Tunisie ? J'ai souhaité venir très rapidement à Tunis, à la rencontre du nouveau gouvernement et pour préparer la conférence Tunisia 2020. La Tunisie est plus que jamais un partenaire essentiel de l'AFD. Cela fait 25 ans que nous sommes aux côtés des Tunisiens et des Tunisiennes pour accompagner le développement économique, social et durable du pays. A ce jour, ce sont au total plus d'une centaine de projets que l'AFD a pu financer, seule ou en co-financement (avec l'Union européenne par exemple), pour un montant cumulé supérieur à 2 milliards d'euros (soit près de 5 milliards de dinars tunisiens au taux actuel). Ces financements sont venus appuyer de très nombreux secteurs stratégiques pour le développement de la Tunisie : l'agriculture, l'eau, l'énergie, la biodiversité, les infrastructures urbaines, la microfinance, la formation professionnelle et l'emploi. L'AFD soutient également le secteur privé à travers des lignes de crédit bancaires, des garanties et des prêts de sa filiale spécialisée dans les investissements privés Proparco. Résultat, l'AFD est au cœur du partenariat franco-tunisien, alors que la France est le premier partenaire bilatéral du pays. Comment cela se traduit-il concrètement aujourd'hui ? L'AFD agit au service des Tunisiens et des Tunisiennes. Prenons le domaine de la formation professionnelle, essentiel pour lutter efficacement contre le chômage, notamment des jeunes diplômés : un quart des centres créés ou réhabilités en Tunisie l'ont été sur des concours de l'Agence. Un autre exemple, en matière d'assainissement, fondamental lorsque l'on connaît les besoins en services de base : ce sont 900 quartiers et un million de personnes qui ont bénéficié des programmes de l'Onas que nous appuyons depuis les années 90. Et je pourrais donner d'autres exemples, dans la politique de la ville notamment. L'AFD apporte des contributions financières significatives avec d'autres partenaires dans le domaine du transport urbain du Grand-Tunis (métro léger et RFR). Son soutien à la réhabilitation des quartiers populaires et à la requalification urbaine a eu des impacts positifs directs pour 2 millions d'habitants. Enfin, l'AFD intervient pour aider les autorités à lutter contre les inégalités, sociales et territoriales. Elle a été pionnière en matière de microfinance afin d'aider le développement social et économique des populations les plus vulnérables, notamment dans les régions de l'intérieur. Quel est le montant mobilisé pour la Tunisie au cours de cette année ? L'engagement de l'AFD en Tunisie est allé historiquement croissant et l'année 2015 marque à elle seule un record avec 275 millions d'euros d'engagements (dont près de 40 pour notre filiale d'appui au secteur privé Proparco). Cet engagement historiquement élevé illustre la poursuite de l'accompagnement du pays dans sa transition, à la fois économique, sociale et démocratique. Quelles sont les exigences à respecter pour débloquer les fonds alloués ? Elles peuvent varier en fonction des projets. Mais leur logique est simple : transparence, respect des meilleures pratiques internationales et promotion des meilleures normes sociales et environnementales. Plus précisément, l'AFD veille à la transparence et au respect des règles de concurrence dans la passation de marchés publics, à la conformité et à la traçabilité des fonds, et est soucieuse de la promotion du mieux-disant environnemental et social (hygiène, sécurité, compensations pour les riverains impactés par des projets). Quels sont les problèmes rencontrés lors de l'exécution des récents projets en Tunisie ? Je pense que le problème le plus important reste celui de la durée des projets et programmes qui dépasse souvent cinq ans. Elle renvoie à différents sujets comme parfois ceux des capacités de pilotage des maîtrises d'ouvrage, mais surtout aux délais d'attribution des marchés publics. Ces questions d'importance ont toute l'attention du ministre du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale, M. Fadhel Abdelkefi, que je vais rencontrer aujourd'hui ainsi que d'autres ministres du gouvernement. Nous organisons régulièrement des revues de portefeuille avec ses services afin que les fonds mis à disposition de l'Etat et donc des citoyens tunisiens soient transformés le plus rapidement possible en investissements concrets. Je suis venu aujourd'hui en Tunisie à la rencontre du président de la République et du chef du gouvernement pour passer un message clair : l'AFD, opérateur de la politique de développement de la France, se tient à vos côtés pour que le pays soit en capacité de passer la vitesse supérieure dans la transition économique et sociale que les Tunisiens et Tunisiennes appellent de leurs vœux. Quels types de projets voulez-vous lancer en Tunisie ? Pour l'avenir, l'AFD entend continuer d'apporter des ressources financières dans des secteurs désormais traditionnels de son intervention en Tunisie comme la formation professionnelle et le soutien à l'employabilité des jeunes, l'agriculture, l'eau et l'assainissement, l'investissement privé, la microfinance, le transport urbain. L'Agence entend également élargir ses financements à de nouveaux secteurs, comme les énergies renouvelables, les infrastructures numériques, la santé et la protection sociale. Elle veut promouvoir l'innovation en matière financière avec ses partenaires des banques et des institutions de microfinance. Quel est le concept de formation professionnelle le plus avantageux ? Pour l'AFD, la formation professionnelle remplit son rôle à trois conditions. D'abord, donner la priorité à l'emploi et à l'insertion, cela veut dire assurer une meilleure adéquation entre la demande de qualification des entreprises et l'offre technique des centres. Deuxièmement, intégrer des dispositifs d'apprentissage en alternance dans les parcours de formation et offrir une gouvernance des centres associant de manière paritaire dans les décisions secteur public et secteur privé. Enfin, les centres doivent davantage s'ouvrir et se connecter à leurs bassins d'emplois. Je crois que c'est une vision que nous partageons largement avec nos partenaires du ministère de la Formation professionnelle et de l'Emploi. Quel rôle va jouer l'Afd dans le développement régional de la Tunisie ? La lutte contre les disparités, qu'elles soient territoriales, économiques ou sociales, rentre pleinement dans les objectifs de l'AFD. La réduction des inégalités est désormais un objectif de développement durable. L'AFD entend mettre les territoires au cœur de sa stratégie d'intervention pour la Tunisie en cours de préparation, et accompagner la politique de rééquilibrage promue par le gouvernement. L'appui aux municipalités dans le cadre de la décentralisation sera un axe fort d'intervention pour l'AFD pour fournir aux populations les services de base, d'où, par exemple, le financement des infrastructures (eau, assainissement ...) dans nombre de villes de l'intérieur. Nous nous tiendrons prêts à appuyer la montée en puissance des municipalités nouvellement créées ou ayant vu leur territoire étendu dans le cadre de la communalisation intégrale. Cette priorité passe aussi par le renforcement des capacités dans les gouvernorats, en particulier les plus défavorisés. Plus généralement, l'AFD poursuivra des projets de développement local et d'appui à l'entrepreneuriat dans des régions défavorisées pour offrir des opportunités d'emploi aux jeunes. Autre axe structurant de notre action à venir, le développement régional dans les territoires ruraux, indispensables à un développement inclusif et harmonieux du pays. L'AFD finance des programmes spécifiques pour soutenir l'agriculture. Ces programmes s'attachent aussi à mieux gérer les ressources naturelles (l'eau, les sols, la forêt...), soumises à de fortes pressions, dont l'agriculture dépend étroitement. Quels sont les projets en gestation et qui devraient voir le jour en 2017 ? Les perspectives de financement de l'AFD de deux à trois ans devraient concerner la réhabilitation des quartiers urbains défavorisés, le développement de l'agriculture dans les zones rurales, l'investissement dans les services de base dans le cadre de la décentralisation, la transition énergétique en lien avec une politique climatique ambitieuse, la transition numérique avec la diffusion du très haut débit et l'e-santé par exemple, la structuration de la microfinance, essentielle pour appuyer les initiatives d'une société civile innovante et dont l'AFD a été un des pionniers en Tunisie. Enfin, j'aimerais insister sur la gouvernance qui est un secteur où l'AFD peut apporter le savoir-faire et partager l'expérience française. Le développement aujourd'hui n'est plus à sens unique, il s'agit d'apprendre les uns des autres et de partager des expériences de développement. Je compte profiter des échanges que je vais avoir avec les responsables tunisiens pour aborder aussi les thèmes importants de la modernisation de la fonction publique, de la réforme des entreprises publiques et de la décentralisation.