Comme dans tout scrutin, les appartenances politiques avaient bien coloré le vote. Les perdants n'ont pas dérogé à leur tradition. Ils n'ont pas digéré leur défaite. Pourtant, il s'agit d'un verdict sans appel. Les dés sont jetés. Désormais, la Tunisie dispose d'une nouvelle institution constitutionnelle : le Conseil supérieur de la magistrature dont les membres ont été élus, dimanche 23 octobre, à travers l'ensemble des régions de la République. «Un moment historique», «le couronnement d'un long parcours militant pour consacrer l'indépendance de la magistrature», «déroulement satisfaisant de l'opération électorale malgré quelques réserves», «une composition acceptable reflétant les équilibres régnant au sein de la famille judiciaire élargie». Voici les principales réactions des participants au vote et des observateurs qui ont suivi aussi bien le vote que l'annonce des résultats définitifs auxquels l'élection a abouti. Ils étaient 13.376 inscrits sur les registres de vote appelés à choisir les membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui se compose de magistrats, d'avocats, d'enseignants universitaires, d'huissiers judiciaires et d'experts-comptables. Cependant, seuls 6.275 inscrits ont pris part au vote, soit un taux de participation de l'ordre de 46,9%, ce qui revient à dire que plus de 7.000 inscrits sur les registres (toutes catégories confondues) ont boudé l'opération électorale au point qu'au bureau de vote installé à Kasserine, on a enregistré 29 votants seulement. On s'interroge sur le pourquoi de ce boycott le moins qu'on puisse dire étrange puisqu'il a eu lieu au foyer même de la révolution qui offre un vivier considérable d'affaires qui restent en suspens et où exercent plusieurs avocats et magistrats qui sont sortis de l'anonymat et sont devenus des vedettes médiatiques par la grâce des affaires kasserinoises qu'ils ont plaidées et le plus souvent perdues. D'autres avocats continuent à se comporter comme étant les porte-parole exclusifs des familles des martyrs et des blessés de la révolution dont la plupart attendent toujours que justice leur soit rendue et qu'ils obtiennent les dédommagements qu'ils méritent. Malheureusement, quand il a fallu choisir le nouveau Conseil supérieur de la magistrature (qui peut faire accélérer le traitement des affaires relatives aux martyrs et blessés de la révolution issus de la région de Kasserine), «les justiciers» de Kasserine ont préféré profiter des plaisirs d'un dimanche bien ensoleillé. Rompre définitivement avec les anciennes pratiques Et comme l'on s'y attendait, les réactions qui ont accompagné aussi bien le déroulement de l'opération électorale que l'annonce des résultats du vote ont divergé d'une partie à l'autre, traduisant ce que chacun attend du nouveau conseil. Raoudha Karafi, présidente de l'Association tunisienne des magistrats (ATM), n'hésite pas à reconnaître que son association a soutenu «un groupe de magistrats-candidats connus pour leur expérience et leur indépendance». Quant à Fayçal Bouslimi, président du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), il dit espérer que les élections contribueront à sélectionner des «magistrats intègres et compétents» (sans préciser ce qu'il entend par intègres et compétents). Toutefois, il n'arrive pas à cacher son inquiétude de voir ces deux conditions voler en éclats en exprimant son étonnement face au grand nombre de candidats parmi la catégorie magistrats alors que «leur représentativité au sein du CSM est bien modeste». Autrement dit, le président du SMT craint que «les intègres et les compétents» et «les expérimentés et les indépendants» (selon les critères de Raoudha Karafi) perdent la bataille et se fassent écraser par les autres magistrats (ceux qui sont accusés d'avoir appliqué aveuglément les ordres de Ben Ali) qui reviennent en force. A l'annonce des résultats du vote, les insinuations de Fayçal Bouslimi et les appréhensions de Raoudha Karafi se sont transformées en déclarations fracassantes faites par Kalthoum Kennou, l'ancienne présidente de l'ATM et l'ancienne candidate malheureuse à la présidence de la République. Elle crie : «Je suis heureuse d'avoir échoué. Je suis très flattée de ne pas siéger au sein du CSM aux côtés de magistrats qui ont participé au complot ourdi par Ben Ali et ses valets contre l'Association des magistrats tunisiens en 2005». En plus clair, Kalthoum Kennou, la magistrate qui a accepté que l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire (Ipoj) lui accorde en 2014 une promotion à laquelle elle n'a pas droit, déclare la guerre au Conseil supérieur de la magistrature parce qu'il comporte des magistrats qu'elle qualifie de «valets de Ben Ali» et on attend bien sa réaction quand le président de la République, Béji Caïd Essebsi, et le président du parlement, Mohamed Ennaceur, vont révéler les noms de leurs candidats qui siégeront aux côtés des élus. On voit mal où Caïd Essebsi et Ennaceur puiseront des candidats qui auront les faveurs de Kalthoum Kennou. Dans le même ordre d'idées, l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature (Otim), dirigé par le bouillonnant magistrat Ahmed Rahmouni, dénonce ce qu'il appelle «le retour aux anciennes pratiques d'influence des électeurs, ce qui a permis l'élection de l'une des figures qui ont mené à l'époque de Béchir Tekkari le complot contre le bureau de l'Association des magistrats tunisiens en 2005» quand elle était présidée par le même Rahmouni. De son côté, le juge administratif Ahmed Souab, qui se prépare, à ses dires, à faire valoir prochainement ses droits à la retraite, adopte une position plus modérée contrastant avec ses déclarations incendiaires ayant fait de lui l'une des stars des médias. Il considère, en effet, dans une déclaration à Mosaïque FM, que «les élus de la journée du dimanche parmi les magistrats sont la traduction des réalités qui distinguent aujourd'hui le corps de la magistrature. N'importe quel juge a le droit d'avoir ses propres idées politiques et personne ne peut lui interdire d'épouser l'idéologie qu'il désire, sauf qu'il y a une législation qu'il doit respecter et au cas où il l'enfreindrait à des desseins politiques et que le CSM prouve l'infraction commise, il doit être sanctionné en conséquence». Des défaillances minimes L'opération de vote s'est déroulée sous la supervision de plusieurs associations spécialisées dans l'observation des élections. L'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections (Atide) note dans un rapport préliminaire, dont une copie est parvenue à La Presse : «Le déroulement du vote a été satisfaisant malgré quelques réserves. Ainsi, on a relevé l'absence de listes électorales dans quelques centres à l'instar de Sousse, l'absence de bureaux de vote accessibles aux handicapés, la propagande menée par des observateurs au profit de certains candidats à Bizerte, etc.». Côté satisfactions, le rapport relève que l'ouverture des bureaux de vote a eu lieu à l'heure indiquée, les forces de l'ordre ont enregistré leur présence auprès des bureaux de vote et que tous les bureaux de vote ont vu la présence des observateurs accrédités». Il est à préciser que l'Atide a déployé 225 observateurs dans tous les bureaux et centres de vote. Résultats préliminaires de L'élection du CSM Conseil de l'ordre judiciaire Juges du premier grade : Walid Melki Yosr Abdennadher Juges du deuxième grade Youssef Bouzakher Faouzia Gamri Juges du troisième grade Malika Azzari Khaled Abbes Avocats à la Cour de cassation Saïda Chebbi Moufida Mtimet Ali Ben Mansour Enseignants chercheurs spécialistes en droit privé Rachida Jelassi Huissiers-notaires Imed Khaskhoussi Conseil de l'ordre administratif Juges administratifs au rang de conseiller Sihem Bouajila Ahmed Souheil Erraïi Karim Nefzi Juges administratifs au rang de conseiller adjoint Leila Khelifi Saber Guesmi Khitem Jemaïi Avocats à la Cour de cassation Yosr Chebbi Asma Ben Arbia Abdelkarim Rajah Enseignants chercheurs spécialistes en droit public au rang de professeur d'enseignement supérieur ou de maître de conférences d'enseignement supérieur Mohamed Sayari Enseignants chercheurs spécialistes en droit public au rang de maître-assistant ou d'assistant de l'enseignement supérieur Besma Sallemi Conseil de l'ordre financier Juges financiers au rang de conseiller Akrem Mouhli Nejib Guetari Saloua Attia Juges financiers au rang de conseiller adjoint Ahmed Mejri Imen Rahmani Hayet Hammouda Avocats à la Cour de cassation Lamia Mansouri Samira Karaouli Experts-comptables Mohamed Mehdi El Maazoun Awatef Marzouki Enseignants chercheurs spécialistes en droit public, finances publiques et fiscalité au rang de professeur d'enseignement supérieur ou de maître de conférences d'enseignement supérieur : poste vacant en l'absence de candidat. A ce propose, Chafik Sarsar a indiqué que des élections partielles auront lieu au lendemain de la tenue de la première réunion du CSM. Il a en outre relevé la participation record des magistrats lors des élections, citant, à ce titre, un taux variant entre 66 et 94 %.