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«Notre engagement va devenir massif»
Exclusif — Entretien avec... M. Patrice Bergamini, ambassadeur de l'Union Européenne en Tunisie
Publié dans La Presse de Tunisie le 21 - 11 - 2016

Revirement ? Pour Patrice Bergamini, ambassadeur de l'Union européenne en Tunisie, le mot «serait inadéquat». Sans doute. Cependant, à l'écouter, on pressent comme une volonté européenne de recadrer sa politique avec la Tunisie. Un recadrage, en ce sens qu'il faudra désormais penser cette relation de façon globale, que ce soit au niveau politique, financier et stratégique qu'en termes d'appui à la société civile. Un réajustement qui tiendrait également plus en compte de la dimension géopolitique de la relation entre la Tunisie et l'Union européenne. A cet égard, un signe qui ne trompe pas : le nouveau chef de la Délégation en Tunisie est le premier diplomate national détaché d'un Etat membre de l'Union européenne. Jusqu'à septembre 2016, il s'agissait de diplomates fonctionnaires permanents. Entretien.
Votre prédécesseur, l'ambassadrice Laura Baeza, a été le porte-drapeau européen de la transition politique en Tunisie, peut-on s'attendre à ce que vous soyez celui de la transition économique ?
Absolument. La démocratie tunisienne est bien installée, avec la présence de garde-fous et de forces de rappel. Je suis convaincu que personne n'est capable de faire rentrer le génie de la démocratie dans sa bouteille. Ce qui veut dire que le vrai défi du moment est la transition socioéconomique. La réussite de cette transition va permettre de consolider certains aspects de la démocratie voulue et posée par la Constitution de 2014.
Pour cette raison, le défi est énorme. Et en tant qu'Union européenne, nous n'avons pas le choix. Nous devons accompagner la Tunisie. La démocratie tunisienne est forte, vibrante et jeune par rapport à d'autres démocraties ailleurs. Mais dans ce processus historique, le vrai défi est socioéconomique.
Nous considérons que les réformes, annoncées par le chef du gouvernement, sont celles du moment. Il s'agit de trois volets : le financement de la croissance (l'investissement et la relance économique), l'amélioration du climat des affaires et la réforme de l'administration publique. Nous estimons qu'ils sont les bons choix à faire. Toutefois, ces réformes ont besoin de partenaires, en tête le partenariat stratégique entre la Tunisie et l'Union européenne, qui est unique en Méditerranée.
D'ailleurs, la consolidation de ce partenariat sera au cœur de la réunion des leaders le mois prochain à Bruxelles entre le président Caïd Essebsi et ses trois homologues de l'Union européenne. Dans cette logique de partenariat, il y a eu également l'annonce du doublement de l'aide européenne pour la Tunisie au moins jusqu'en 2020. Ceci n'est pas neutre dans la période actuelle. Il s'agit d'un engagement pour les quatre prochaines années qui correspondent à mon mandat. Il y a des crédits mis en place à travers les différentes institutions européennes, comme la Banque européenne de I'investissement (BEI), dont le président sera présent pour la conférence internationale sur l'investissement, la Banque européenne de la reconstruction et du développement (Berd), soit respectivement 800 millions d'euros de crédits et 300 millions d'euros de subventions. Il y a aussi l'assistance macro-financière, s'agissant d'une tranche de 500 millions d'euros. Donc, on arrive en 2017 avec un budget de 1,6 milliard d'euro.
Certes, les défis sont énormes. Mais je pense que la Tunisie est actuellement le seul pays qui a le potentiel de réaliser une croissance positive dans les prochaines années. Nous estimons que la Tunisie a cette force et cette capacité d'aller de l'avant.
Les Tunisiens sont en droit d'espérer encore plus en termes de soutien européen. Des appels à un Plan Marshall pour la Tunisie sont jusqu'ici restés vains en dépit des promesses européennes. Certaines voix en Europe estiment même que ce plan est déjà en application depuis cinq ans. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Je suis une de ces voix. Je considère que le Plan Marshall n'est pas l'expression la plus appropriée parce qu'elle a une connotation qui renvoie à la Seconde Guerre mondiale. L'Union européenne a soutenu financièrement la Tunisie, durant les dernières années, dans un contexte géostratégique et économique très instable. D'ailleurs, tous les pays européens pensent la même chose. Il n'y a pas de divergences ou de nuances à ce niveau. C'est un engagement mis en place depuis 2011, qui fait que l'Union européenne a été le premier pourvoyeur de fonds dans plusieurs volets.
Cet engagement va devenir massif. Il y a une lisibilité politique avec l'installation du nouveau gouvernement. C'est un signal politique très fort qui a été adressé à Bruxelles et au reste des capitales européennes. Ce qui fait que tout le monde est à bord aux côtés de la Tunisie.
Pensez-vous que les montants alloués sont suffisants?
Ce n'est pas seulement une question d'argent. Il y a aussi un besoin de réussir les réformes et de faire des sacrifices. Les débats sur le gel des salaires, sur la loi de finances, sur la loi d'urgence économique montrent que la transition est un vrai défi. D'où cette relation stratégique que nous considérons entre la Tunisie et l'Union européenne.
L'Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) consolidera-t-il cette relation stratégique ?
L'Aleca ne peut ni résumer ni épuiser la relation entre la Tunisie et l'Union européenne. Cet accord est important, il faut le négocier, il faut laisser la marge aux négociateurs. Un accord doit être asymétrique. On parle de deux systèmes, deux espaces économiques différents. Il faut faire attention à des questions complexes, à commencer par l'agriculture, le textile, par exemple. Je suis de ceux qui considèrent que l'accord d'association de 1995 a apporté une vraie valeur ajoutée à l'économie tunisienne. Grâce à cet accord, 3.000 entreprises européennes se sont installées en Tunisie, employant une main-d'œuvre tunisienne. Les exportations se sont accrues de 178%. La Tunisie a été le premier pays de la rive sud à pouvoir exporter sans droits, sans frais et sans taxes ses produits industriels vers l'Europe. Je veux croire que c'est cela même la philosophie du prochain accord en négociation. On y veillera. Encore une fois, ce n'est pas seulement une question d'échanges commerciaux; mais il y a une discussion sur les normes phytosanitaires, par exemple. Cette année, la récolte des dattes tunisiennes a été exceptionnelle. Dans le cadre de l'Aleca, l'application des normes phytosanitaires permettrait d'exporter mieux et plus. Je pense que cet accord sera une vraie valeur ajoutée pour l'économie tunisienne. Mais il existe aussi d'autres espaces de travail entre les deux parties. Il faut penser cette relation de façon globale.
La visite de la haute représentante Frederica Mogherini en Tunisie entre-t-elle dans ce cadre de partenariat global?
La visite de la haute représentante, Mme Frederica Mogherini, le 1er novembre, a été un succès. Pour la première fois, la chef de la diplomatie européenne s'est déplacée dans les régions, particulièrement à Bizerte. C'est un vrai signal politique par rapport à la politique de décentralisation et la volonté de réformer. Nous sommes allés là-bas ensemble avec le chef du gouvernement tunisien pour investir 91 millions d'euros dans le cadre de la dépollution du lac de Bizerte. Il s'agit donc de cette relation multi-facette entre les deux parties, reflétée dans cette visite, que ce soit au niveau politique, financier et stratégique, aussi et surtout en termes d'appui à la société civile.
Mme Mogherini a également mis l'accent sur la jeunesse, la considérant comme un intérêt stratégique mutuel. En Tunisie, il existe de belles histoires. Il est vrai qu'il y a une jeunesse désabusée et frustrée, qu'il y a des jeunes qui sont partis en Europe ou ailleurs. Mais quel pays dans le monde peut dire que sa jeunesse n'est pas inquiète ? C'est le choc de la modernité. Le vrai défi est de ne pas décevoir cette jeunesse et de répondre à ses aspirations légitimes. C'est un investissement pour le futur.
On décèle, dans vos propos, un certain revirement de la politique européenne à l'égard de la Tunisie. Trouvez-vous que l'Union européenne a, ces dernières années, focalisé essentiellement sur les relations commerciales ?
L'Union européenne a été toujours vue par ses partenaires à travers le monde comme une entité économique. Il est vrai que si on remonte à l'origine dans les années 50, l'objectif était la libre-circulation des biens et des marchandises. Mais ce n'est pas tout à fait juste. L'Union européenne est avant tout un projet politique et une aventure humaine. Elle est née de la nécessité de mettre une fin définitive aux conflits qui l'ont ravagée et ont impacté la sécurité mondiale pendant des siècles. Et dire que le partenariat de l'Union européenne avec tel pays est basé seulement sur le libre-échange où l'investissement n'est pas exact.
L'Union européenne investit dans la culture, les échanges de jeunesses, dans les bourses pour les jeunes étudiants, dans la sécurité et la défense, etc. Il est vrai que, selon les pédigrees de certains représentants européens, l'accent sera mis plus sur les aspects financiers ou commerciaux. Pour d'autres, on focalisera sur l'aspect culturel ou l'aspect sécuritaire.
Pour mon cas, je suis le premier diplomate national détaché d'un Etat membre de l'Union européenne, qui prend la tête de la Délégation en Tunisie. Avec cette obligation voulue par le Traité de Lisbonne de représenter ce mariage, ce juste équilibre entre cultures diplomatiques nationales et communautaires européennes.
Parler de revirement serait donc inadéquat. Je viens en Tunisie avec cette valeur ajoutée pour rappeler à l'Union européenne et à mes équipes ici que nous ne sommes pas là uniquement pour parler économie. Bien évidemment, nous allons parler de l'Aleca, de l'investissement. Mais les relations stratégiques, l'éducation, l'environnement, la défense, la sécurité, la culture sont également des domaines sur lesquels nous allons nous concentrer.
Les Tunisiens estiment que le «Plan Marshall» européen a jusque-là essentiellement concerné les questions des libertés individuelles un peu au détriment de l'appui à la relance économique et à la croissance. Ne faudrait-il pas à l'avenir rééquilibrer le soutien européen en fonction des priorités de développement du pays ?
Je pense que nous avons toujours besoin de plus de libertés. Même en Europe, il y a des verrous sociétaux à surmonter. Quel que soit le pays, il s'agit d'un combat permanent. L'actualité politique partout dans le monde nous le rappelle en permanence.
Bien sûr, durant mon mandat, j'ai des orientations, des priorités très claires. Mais comme Ambassadeur européen ici, j'ai aussi une certaine marge de manœuvre. Je vais travailler sur deux axes en particulier. Le premier est celui des quartiers défavorisés où il y a beaucoup à faire en termes de scolarisation, d'éducation, de société civile, de culture, de développement, de santé, etc. Il faut se focaliser aussi sur la justice sociale et l'utilité des actions. D'ailleurs, nous avons un projet très concret, couvrant 129 quartiers défavorisés dans tout le territoire tunisien pour la mise en place de réseaux d'évacuation des eaux usées, d'éclairage public, etc.
Le deuxième est représenté par ce que j'appelle les belles histoires, ces jeunes start-up par exemple qui sont en train de monter. J'ai visité avec Mme Mogherini «Cogite», qui a été classé 3e coworking space dans le monde par le magazine économique américain Forbes, après avoir visité 700 villes et 20 mille sociétés de cette nature. C'est une belle histoire montée par de jeunes Tunisiens.
Je ne veux donc pas parler de revirement parce que mes prédécesseurs avaient aussi cette conscience et cette lucidité par rapport à ces questions. Mais peut-être qu'ils ont vécu dans des périodes d'incertitude où il y avait des interrogations, des inquiétudes et d'autres priorités par rapport à l'avenir du pays. C'est pour cela qu'ils ont adopté un langage et une communication différents de la mienne. Pour ma part, depuis mon arrivée, nous avons annoncé le doublement de l'aide européenne et la tenue d'un premier sommet des leaders. C'est une évolution par rapport à ce qui précède. Et comme l'a annoncé Mme Mogherini, la Tunisie a changé, donc l'Europe doit aussi changer à son égard.
On parle de la révision de la politique européenne de voisinage, dans un contexte politique et sécuritaire régional turbulent. Quel serait l'impact d'une telle révision sur la Tunisie ?
Je dois préciser que la politique de voisinage a été conçue au moment de l'élargissement à l'Est. En 2004, il a été décidé que nous passions de 15 à 25 Etats membres. Et après il y a eu trois autres adhésions. C'était une politique construite en réaction à ce qui se passait principalement à l'Est. Il s'agissait d'une première limite, ce qui explique qu'il y avait peut-être certaines frustrations au Sud. Elle s'est développée jusqu'à l'année 2010; mais elle n'était pas assez fine et ne prenait pas assez en considération la valeur ajoutée de certains pays. D'où la révision qui a été décidée à partir de l'année 2014.
Je trouve que c'est une bonne chose. Mais nous pouvons aller encore plus loin dans les relations bilatérales, compte tenu du fait que les problématiques actuelles avec tel ou tel pays ne sont pas les mêmes. Nous sommes obligés d'aller plus loin dans l'affinage des relations bilatérales.
D'un autre côté, pour des défis régionaux, il faut des solutions régionales. Certains défis qu'affronte la Tunisie sont les mêmes que ses voisins. Il faut arriver aussi à mettre en place un ensemble de formules régionales pour la lutte contre le terrorisme et la lutte contre le chômage des jeunes. Je pense que la politique de voisinage pourra aller plus loin dans l'aspect du développement régional par exemple. Imaginez que la Tunisie réussisse parfaitement sa transition socioéconomique à l'horizon 2020 ; mais que dans le voisinage immédiat se mettent en place de nouveaux foyers d'instabilité. Ceci poserait un sérieux problème.
Nous considérons que la Tunisie offre un terrain de démonstration idéale pour affiner les relations bilatérales et les rendre globales. Sur certains dossiers régionaux, il faut avoir une force motrice; il faut des locomotives sur lesquelles s'appuyer et développer des exemples régionaux qui essaiment, qui génèrent une nouvelle dynamique régionale.
Mais pensez-vous que la Tunisie est aujourd'hui prête pour une ouverture plus large de son économie?
Certes, il y a des défis énormes. Les hommes d'affaires disent que le climat des affaires s'est détérioré, les délais sont trop longs, le code de l'investissement n'est pas parfait, la corruption est un problème endémique. Donc il y a là une marge de progrès très grande encore à exploiter.
Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas vu d'actions spectaculaires concrètes en ce qui concerne la lutte contre la corruption et la contrebande...
Je ne pourrais pas vous répondre à ce niveau. Mais il y a des signaux politiques très forts. C'est ce que j'ai senti dans le discours du chef du gouvernement, de mes contacts avec les membres du gouvernement, au niveau des cabinets ministériels. Je pense qu'il y a des choses qui se mettent en place. La corruption n'est pas seulement un problème tunisien. Nous avons l'impression que le XXIe siècle est le siècle de la transparence. Mais en face, l'opacité a progressé également. Chaque gouvernement démocratique est confronté à cette problématique. Cela passe donc par des messages forts parce qu'ils ont une portée symbolique. Mais ces actions demandent aussi du temps.
L'autre élément, qui est moins visible mais essentiel, est la réforme de la fiscalité. Un de mes premiers événements publics, après avoir remis mes lettres de créance au Président de la République tunisienne, était d'assister à l'ouverture d'un séminaire pour le lancement du partenariat avec l'Institut national de la statistique (INS). Les chiffres objectifs sont fondamentaux pour appuyer les décisions justes et nécessaires.
Dans cette perspective, que pensez-vous du rejet par certains députés de l'article de la loi de finances 2017 relatif à la levée du secret bancaire?
Je pense que l'un des piliers d'une vraie démocratie moderne, en plus de la dignité et la justice sociale, est la redistribution anonyme de la richesse nationale, qui préserve les droits de chaque citoyen quelles que soient ses convictions politiques ou autres, la couleur de son bulletin de vote. Une vraie gouvernance démocratique doit garantir aussi l'égalité des droits de chacun. Ce que je n'ai donc pas encore vraiment compris est comment s'opposer à cet article alors que la Constitution tunisienne est très claire en matière de fiscalité.
Ce n'est pas moi qui peux dire si les députés ont tort ou ont raison. Mais même si je ne connais pas les détails techniques du dossier, je suis un peu perplexe parce que la levée du secret bancaire se situe dans le cadre de la lutte contre la corruption et dans le cadre d'une réforme et d'une modernisation de l'administration, à commencer par l'administration fiscale. Si le gouvernement a décidé d'aller dans ce sens, c'est pour le mieux de l'économie et de la démocratie.
En réaction à la résolution du parlement européen du 14 septembre dernier, certains tunisiens ont crié à l'ingérence, en ce qui concerne les droits des minorités, des homosexuels et une certaine conditionnalité du soutien européen. Qu'en pensez-vous ?
Vous ne trouverez pas le mot conditionnalité dans mes documents ou dans les mots de Mme Mogherini. Mais comme je vous l'ai dit plus haut, le combat pour la liberté est permanent. Et il y a certains verrous sociétaux qui doivent être levés ici ou ailleurs dans le monde.
Le 9 novembre dernier, le jour de l'élection de Donald Trump à la Présidence américaine, coïncidait avec la visite du chef du gouvernement tunisien à Paris. «Après un réveil géopolitique inattendu, l'axe Paris-Tunis est la très bonne nouvelle de la journée ! », écrivait à cette occasion l'ambassadeur de France en Tunisie. Dans cette nouvelle réalité géopolitique, peut-on espérer un axe Tunis-Bruxelles ou est-ce très présomptueux?
Non, ce n'est pas présomptueux, cela va devenir une réalité. Il y a un monde qui change. Personnellement, je ne suis pas inquiet. Il y a certainement des questionnements. Bien évidemment, la nouvelle administration républicaine pourrait se vouloir isolationniste et peut-être moins investir avec les partenaires européens. Du point de vue européen, il s'agit aussi d'une piqûre de rappel. Il y a une nécessité d'avoir une Europe comme acteur global et partenaire stratégique avec la Tunisie, une Europe autonome sur ses questions de sécurité. Nous sommes d'accord pour un vrai partenariat ouvert et intelligent avec les Etats-Unis, mais avec une Europe capable également d'agir elle-même quand il le faut. C'est sur cette base que la politique européenne de défense est née. N'oublions pas que l'Europe de la défense et de la sécurité est née du constat qu'il était inacceptable de laisser se poursuivre le drame de l'ex-Yougoslavie dans les années 90. Nous avons une Europe qui doit donc renforcer son offre, une offre au reste du monde, différente de l'offre américaine ou d'autres offres. Ceci est au bénéfice de partenaires clés comme la Tunisie. L'Europe est aussi chacune de ses capitales. En ce qui concerne la Tunisie, toutes les capitales sont sur les mêmes axes; il n'y a pas de divergences. La visite du chef du gouvernement tunisien à Paris en est l'illustration. Quel meilleur intérêt pour la France que d'investir dans le partenariat Union européenne-Tunisie.
Comment sera la présence européenne dans la Conférence Internationale sur l'Investissement ?
L'Union européenne sera représentée par le commissaire au voisinage et le président de la Banque Européenne de l'Investissement. Il y aura la signature de plusieurs conventions de financement pour un montant de 300 millions d'euros additionnels. Parmi les programmes de soutien, il y en a trois qui sont bilatéraux alors que les autres seront multi-facettes sur des projets très concrets comme la dépollution ou l'énergie photovoltaïque. Ces conventions seront signées par le Commissaire Hahn et le chef du gouvernement tunisien, le 29 novembre 2016.


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