Il y a deux ans, l'écrivain, scénariste et réalisateur afghan, Atiq Rahimi, était parmi nous à l'occasion de la Foire du livre. Sa présence avait fait l'événement de ce mois d'avril 2008. Rahimi avait déjà son public de lecteurs tunisiens grâce à Syngué sabour, un de ses romans qu'on ne risque pas d'oublier. Original et poignant, Syngué sabour ou Pierre de la patience, prix Goncourt de cette même année 2008, raconte l'histoire d'un huis- clos entre un soldat dans le coma et sa femme afghane qui le veille et qui s'ouvre à la parole jusqu'à la rage : le mari devient son exutoire, sa pierre de la patience. Ecrit comme un scénario, ce roman est sonore et visuel. Toute l'action évolue dans une chambre, là où le mari est étendu, inerte, et là où l'épouse se vide de toute sa colère et de tous ses secrets jusqu'à craquer. Ce qui se passe en dehors de la chambre, le lecteur ne le voit pas, mais l'entend, comme dans un film où l'on jongle avec le son et le hors-champ. Syngué sabour, la pierre, a un sens pour nous Tunisiens : «ô pierre de la patience, fais-moi patienter» revient souvent dans la bouche de nos aînés, qui s'expriment ainsi pour maîtriser leur colère. Car la même légende existe dans notre culture. Celui qui a peur du conflit et du malentendu peut se confier à une pierre, celle de la patience. Dans le roman, la femme s'ouvre à la parole, et dit ce qu'elle a sur le cœur, crachant toutes ses vérités à ce corps inerte comme la pierre. Tant pis si elle n'est pas entendue. Mais le vieillard de Terre et cendres, lui, par contre, a peur de ne pas être entendu. Nous sommes en Afghanistan, pendant la guerre contre l'Union soviétique. Un vieillard et un petit enfant échappent à un bombardement et marchent longtemps sur les cendres pour arriver dans une mine, et annoncer au fils que tous sont morts au village. Le vieillard parle et pense. Enfer des souvenirs, des attentes, des remords, des soupçons…Ce roman est une parole nue qui dit la souffrance, la solitude, et cette peur de ne pas être entendu. L'originalité de Terre et cendres, écrit par Rahimi en 2000, porté à l'écran et lauréat du prix Regard vers l'avenir (Cannes 2004), ne réside pas seulement dans l'histoire incroyable de ce voyage au bout de l'enfer avec un vieillard et un petit enfant devenu sourd à cause des bombardements, mais surtout dans le style de l'écriture. Il faut être Atiq Rahimi pour oser raconter les événements, le personnage et ses émotions, à la deuxième personne. C'est ainsi que l'auteur a choisi de verser du sel sur les plaies du vieillard qui a peur de ne pas être entendu…