Personne, assurément, ou presque, ne se reconnaîtra — ou ne voudra se reconnaître! — dans cette tirade indignée. Décidément, ce n'est pas la propreté qui étouffe nos villes par les temps qui courent, quand on est adepte de l'humour noir. Mal huilée ou / et entrenue, la machine de la propreté grince toujours quelque part chez nous. Dans toutes nos villes pratiquement. Sans parler du reste, genre agglomération, village, localité... et dire que l'environnement dans lequel on vit nous conditionne tous, tous les jours, et appesantit ou embellit la grisaille du train-train quotidien dans lequel nous vivons, sans compter ses effets sur des bases des plus élémentaires de notre hygiène et de notre bien-être. Maintenant, devenues de couleur rouille dans la plupart des cas, on pourrait tuer le mot civisme et l'enterrer dans un terrain vague. C'est que dans l'ensemble elles ne sont plus foutues de se faire leur toilette habituelle, celle des villes qui se respectent. Sauf, bien entendu, à l'occasion de l'accueil de tel ou tel évènement, ou telle autre manifestation. Parce que, pour la circonstance, elles se saupoudrent et se parent d'un fard équivoque qui donne à voir une beauté qu'elles n'ont plus en réalité. C'est un peu décrire ma ville (ou la tienne, ou la sienne, peu importe, puisqu'elles se ressemblent toutes, de nos jours, à quelques détails ou variantes près) et son paysage d'ensemble, avec des mots gentils, sans manquer de concision. Parce que le mal est plus profond. C'est qu'entre la propreté d'en haut, celle des banderoles, affiches, pancartes ou discours moralisateur où ça se récite comme du Prévert... et celle d'en bas, la propreté de nos villes reste souvent aérienne. Dans des artères dites principales, ou ces autres appelées secondaires, la réalité est tout autre. Ça tourne au Baudelaire, dans un grand «spleen» par endroits. Et là, on ne parle que du centre-ville. Parce que dans les cités, c'est une autre paire de manches. A partir de celles qui se veulent résidentielles et qui n'ont en fait, pour la plupart d'entre elles en tout cas par les temps qui courent, de résidentielles que le nom, c'est une grande désolation. Par moments et endroits, tu as l'impression que tu es devant un grand déversoir public. Réconfort moral ? Dans la pauvreté ! Dans les cités populaires, c'est pire, c'est vraiment la rue : c'est-à-dire l'ingouvernable, l'espace anarchique où surgit l'imprévisible, le décor de la rencontre aléatoire, de l'insulte à l'autre bout du tas d'ordures, déchets et détritus... de tout sur fond d'odeurs nauséabondes et de pestilence... Devons-nous donc nous estimer heureux parce que nous vivons quand même alors que d'autres survivent ou presque ? En tout cas, c'est ce qu'on appelle le sous-être de nos villes ou je ne m'y connais pas. A qui la faute ? A certains citoyens aux comportements peu civiques, à certains établissements privés ou publics qui font fi des règlements en vigueur, à certains éboueurs anachroniques ou trop expéditifs et qui en véritable «Larousse» sèment à tout vent des fois ?... En somme, aux enfants légitimes ou adoptifs de la ville et même à ses tuteurs patentés ? Allez savoir un peu. Il y a de quoi commencer toute une polémique qui pourra bien générer des débats longs, houleux, passionnés. Et faire l'objet de grandes émissions télévisées. Et depuis quelque temps, on semble adorer ça dans le pays. Et chacun a sa manière de parler. Bien sûr, il y a ceux qui se mortifient devant le devenir de leur ville qu'ils ne reconnaissent plus dans un sens et qui veulent composer ces messages qui doivent atteindre un double foyer de sensibilité, l'œil et l'esprit. Mais la mortification n'a jamais aidé à penser. Et il y a ceux qui expriment leur désenchantement, avec un grincement de dents, rien qu'en évoquant la bidonvilisation de leur ville. Puis, il y a ces autres aussi qui se veulent éclairés parce que cadres ou fonctionnaires, dans le privé ou le public, et qui partagent avec vous le même désenchantement, mais parce qu'habitant sur la même artère que toi déposent carrément leur poubelle devant chez toi, ou à quelques pas de là! Résultat : tu ne sais plus à quel chat donner ta langue, tellement tu en vois rôder autour des poubelles dans le quartier. Hélas, nous manquons de statistiques à ce sujet. Mais disons à tous ces gens qui ne se sentent pas obligés de veiller à la propreté de leur ville que la dignité de l'homme ne se divise pas. Et voilà. Tout est dit. Rideau!