L'Ugtt devra puiser dans son corpus et ses ressources pour redorer son blason et reconquérir le cœur et la raison du commun des Tunisiens. Désormais, il y aura un avant et un après le 23e congrès de l'Ugtt. Et pour cause. Le syndicalisme tunisien semble bien en passe de négocier un nouveau tournant. Témoin, les nouveautés introduites à l'issue de ce congrès. Des nouveautés tant au niveau de la composition du nouveau bureau exécutif, où, pour la première fois, siège une femme, qu'à l'échelle des structures et du contrôle des finances. Mais l'important est également ailleurs. Pour la seconde fois de son histoire, après le congrès de Tabarka il y a cinq ans, une des listes en lice pour l'élection du bureau exécutif de la centrale syndicale rafle la mise. Et emporte haut la main la totalité des treize sièges convoités. Qui plus est la liste «officielle», dite consensuelle. Elle est chapeautée par M. Noureddine Tabboubi, en passe de succéder à M. Hassine Abassi, secrétaire général sortant de l'Ugtt. M. Taboubi est un syndicaliste qui s'inscrit dans la pure lignée du «achourisme», courant syndicaliste qui a particulièrement à cœur l'indépendance de la centrale syndicale et qui s'y agrippe mordicus, bec et ongles. Un syndicaliste réputé aussi pour sa probité et son sens aigu de la discipline syndicale. Côté congrès proprement dit, ce fut d'une précision d'horloger et d'une diligence de métronome. Malgré les clivages tranchés, débats, échanges et élections n'ont guère dérapé. Sur les quelque 540 congressistes, un seul n'a pas participé au vote, pour cas de force majeure. Pour une organisation regroupant près de huit cent mille adhérents, la qualité éminemment démocratique des assises du congrès et du vote est à relever. Cela tranche net avec l'atmosphère ambiante sous nos cieux. En effet, les partis, coteries et groupuscules politiques de la place sont habités, voire obsédés, par le démon des scissions, scandales à ciel ouvert et anathèmes jetés les uns sur les autres à tout bout de champ. N'empêche. L'Ugtt négocie un tournant capital. Ayant chapeauté avec maestria le Dialogue national pour l'issue de crise en 2013-2014, la centrale syndicale a connu, en 2015 et 2016, une évolution en dents de scie. La multiplicité des grèves dans les secteurs du transport, de l'éducation et de la santé en prime, sur fond de jusqu'au-boutisme gratuit et souvent arrogant, avait fini par exaspérer de larges franges de l'opinion tunisienne. Les bourdes des dirigeants syndicalistes au niveau de la communication agressive et contre-productive ont fait, elles aussi, grincer des dents. L'image fondatrice de l'Ugtt en fut affectée, profondément écornée. La centrale syndicale a dû aussi s'adonner à un long bras de fer avec le gouvernement à propos de la loi de finances. Finalement, un accord est intervenu in extremis et sur le fil du rasoir, grâce notamment à des concessions de l'Ugtt, saluées comme telles. Aujourd'hui, la donne change. Le syndicalisme de papa, à l'ancienne, n'est plus de mise. Adieu classe-contre-classe, je t'aimais bien. L'Ugtt devra puiser dans son corpus et ses ressources pour redorer son blason et reconquérir le cœur et la raison du commun des Tunisiens. Elle devra s'inspirer de son expérience dans le processus du Dialogue national ou de la crise relative à la loi de finances 2017. Elle devra adopter un nouveau profil au niveau de la communication et de l'art de la persuasion. La classe moyenne, mise à mal par les évolutions économiques et sociales des dernières années, exaspérée, saignée à blanc, est particulièrement bougonne et rétive aux discours angulaires et tranchés. Et la classe moyenne se paupérise, se prolétarise et se radicalise, grossit les rangs des syndicalistes, tout en gardant ses réflexes. Il est vrai que le Parlement gagnerait à faire voter la loi relative au haut conseil du Dialogue national, un texte de loi maintenu encore dans les tiroirs empoussiérés de l'Assemblée. Cela permettrait d'institutionnaliser les pourparlers et les accords salariaux périodiques et de faire l'économie des grèves sauvages ou intempestives que l'Ugtt a dû assumer à son corps défendant ces deux dernières années. Tous les partenaires sociaux y trouvent forcément leur compte et la paix sociale s'en retrouvera fortement soulagée. Aujourd'hui, l'Ugtt est à la croisée des chemins. M. Noureddine Tabboubi promet volontiers de remettre de l'ordre dans la baraque. Son élection triomphale d'hier, le raz-de-marée de sa liste, frisent le plébiscite. Il semble avoir les coudées franches pour réaliser ses promesses. Pour que la centrale syndicale retrouve son aura et épouse les dynamiques du syndicalisme moderne. Autrement, la sanction sera particulièrement douloureuse. Telle une chute libre.