Les dissidents du Pacte de Carthage ne remettent pas en question les fondements de la feuille de route Le consensus a le plus gouverné la scène politique tunisienne de l'après-14 janvier. Ce procédé a été couramment et systématiquement appliqué à chaque fois qu'ont surgi des difficultés, ou bien qu'il a fallu désamorcer des crises et débloquer des situations conflictuelles. Tout s'est passé par l'entente au point que l'on ne se référait presque plus aux règles démocratiques qui devraient, d'après la Constitution, régir les rapports entre les protagonistes, résoudre les différends entre eux et organiser la vie politique dans son ensemble. Et ce fut lors du Dialogue national, dans le cadre duquel a été résolue l'une des plus importantes crises sinon la plus importante, que ce procédé a été, pour la première fois, mis en œuvre. A cette occasion, toutes les parties politiques rivales ont été sollicitées pour y prendre part, afin d'apporter leur lot de propositions dans l'opération de sauvetage du processus de transition démocratique. Mais, en dépit de son emploi récurrent, il semble que l'on ait encore du mal à en cerner le sens exact. Il importe donc de rappeler qu'un consensus, c'est un modus vivendi, c'est-à-dire un accord permettant à des parties en conflit de se rapprocher et de trouver un compromis. Et un conflit, c'est une divergence profonde qui porte, par définition, sur des questions très importantes voire déterminantes. Les tenants et aboutissants du projet Le plus important, c'est que le consensus est de nature temporaire, en ce sens qu'il ne peut durer indéfiniment. Autrement dit, un accord passé entre des parties politiques qui entretiennent des rapports qui ne sont pas foncièrement conflictuels n'est pas un consensus. Il en ressort que le vrai consensus qu'a connu la Tunisie, pendant ces dernières années, est celui conclu dans le cadre du Dialogue national où tous les partis en litige se sont réunis autour de la même table pour débattre de la manière de résoudre le différend qui les opposait et de sortir le pays de l'impasse. Jamais on n'aurait imaginé qu'une telle rencontre entre les composantes du Front du salut, regroupant les parties politiques et civiles progressistes et démocratiques, et la Troïka dirigée par le mouvement Ennahdha, soit possible. Grâce à ce dialogue, la Tunisie a pu sortir de l'ornière, et ce en dépit d'un accord imparfait, en raison du fait que le chef du gouvernement désigné, qui était de surcroît membre du gouvernement déchu, était en quelque sorte imposé par le parti islamique aux dépens de l'autre candidat, à savoir l'actuel président de l'ARP, qui a obtenu les faveurs de la majorité des votants. Quoi qu'il en soit, on est parvenu, tant bien que mal, à rapprocher les points de vue et à conclure un consensus qui a permis de désamorcer la crise politique très aiguë qui avait surgi à l'époque. Et avec l'organisation des élections de 2014, qui étaient censées mettre un terme au provisoire de la période constitutionnelle et inaugurer une nouvelle phase stable, on s'attendait à ce que tout soit être arrangé par la Constitution dans le cadre du régime prétendument parlementaire, mais notre attente a été insatisfaite, puisque le consensus s'est encore une fois manifesté dans la constitution du premier gouvernement, alors que les candidats étaient départagés par les votes qui ont attribué à chacun son statut. On a donc fait comme si de rien n'était et on est revenu à l'ancien procédé pour diluer les responsabilités. Depuis, il est devenu la règle qui régente la vie politique dans le pays, comme en témoigne le « Document de Carthage » qui a enfanté le gouvernement dit d'union nationale et que deux des signataires, à savoir l'UPL et Al Machrou, annoncent avoir rompu. En fait, s'agit-il d'un vrai désengagement ? Eu égard aux orientations politiques, économiques et sociales du parti de Mohsen Marzouk et de celui de Slim Riahi et de leurs «ex»-alliés, Nida Tounès et Ennahdha en tête, on ne peut conclure à la présence d'un consensus. Ils ne divergent pas sur l'essentiel et défendent tous le même programme libéral. Alors, comment expliquer ces tiraillements entre les partenaires de la même école ? Est-il logique qu'ils puissent diverger sur des questions fondamentales ? Force est donc de conclure que leurs désaccords sont d'une toute autre nature. Ils ont déjà commencé avec la distribution des portefeuilles ministériels, et les revoilà resurgir avec l'attribution des postes de délégués. Leur conflit tourne autour de privilèges partisans et particuliers et ne touche aucunement aux fondements du Pacte de Carthage qui a défini le programme du gouvernement Chahed que défendent à cor et à cri nos « dissidents ». Voilà donc les tenants et aboutissants de ce projet baptisé « Front démocratique » autour duquel se réunissent d'autres ambitieux et insatisfaits...