Les gestes fluides, calmes et synchrones des danseurs qui rejoignent la scène et sombrent, petit à petit, dans un état de chaos et de «tohu bohu» gestuel... Ils étaient nombreux à assister, au 4e Art, à la première de «Fausse couche», la nouvelle pièce du danseur et chorégraphe, Nejib Ben Khalfallah. Ils étaient nombreux aussi à l'applaudir chaleureusement quand le rideau est tombé. Produite par le Théâtre national, la nouvelle création du chorégraphe, et comme l'a expliqué ce dernier, décline la course effrénée pour le pouvoir et les discordes entre les politiciens qui oublient les vraies préoccupations du peuple. L'idée de l'œuvre, comme il l'a encore souligné, émane du paysage de violence et de la prolifération du terrorisme en Tunisie face à l'incompétence et au laxisme des responsables politiques. Plus de six mois de travail pour accoucher de «fausse couche» dont quatre mois consacrés à l'écriture. Pleins d'énergie, les jeunes interprètes, l'excellente Mariem Bouajaja (qui bouffe la scène !!), Emna Mouelhi, Senda Jebali, Wafa Thebti, Marwen Rouine, Wael Marghni, Bedis Hachech, ont admirablement donné corps à «cette chronique de nos espoirs avortés», à cette société en transition qui, de l'espoir d'un nouveau jour, est passée à l'angoisse née de la violence... Le texte du Français Sylvain Bertholet, écrit spécialement pour cette pièce-dansée et traduit à l'arabe par le cinéaste et universitaire Mohamed Ben Tabib, en avant-propos. Sur une scène dépouillée de tout décor et sous une lumière atténuée, Nejib Ben khalfallah donne les premiers pas. Les gestes fluides, calmes et synchrones des danseurs qui rejoignent la scène et sombrent, petit à petit, dans un état de chaos et de «tohu bohu» gestuel...Les corps se convulsent, se heurtent, se rencontrent, se séparent, se tâtent... Les visages grimacent d'effroi, de douleur et, sous le poids de l'impuissance face à une réalité de plus en plus angoissante, la parole cède la place à des gémissements ou autres cris sourds... Les «individus» dansent tantôt à l'unisson et s'isolent, tantôt, dans des cris d'affolement à l'image de cette difficulté de vivre ensemble, de cette « fuite en avant, cet arrivisme qui ont pris le pas sur la citoyenneté et sur l'intérêt commun», comme le note le chorégraphe. Toujours baignés dans une quasi-obscurité, des bribes de lumière ici et là pour éclairer ce qu'il faut éclairer, les danseurs se livrent, ici et maintenant, sur une musique de Bach (Alfred Deller - Bach - Mass in B minor) au bal d'une société fragilisée par tant de bouleversements. On lit à nouveau un texte de Sylvain Bertholet, une lecture dédoublée comme une sorte d'écho (qui, malheureusement, a présenté certaines inexactitudes dans les parties répétées par la voix féminine...). «Fausse couche» nous renvoie à la fameuse pièce «May B» de la Française Maguy Marin dans cette manière d'investir la scène, ce déchirement des mouvements, ces faces grimaçantes, ces cris sourds, cette douleur d'être individu , d'être citoyen...