Sur les 4.500 dentistes inscrits au tableau de l'Ordre, plus de 800 sont sans emploi Qui l'aurait cru? De nombreux jeunes médecins dentistes se trouvent au chômage après tant d'années d'études, de persévérance et de sacrifices. Le rêve est brisé au bout d'un chemin bien long, mais tout le monde semble s'en soucier comme d'une guigne, comme en témoigne l'absence de réforme profonde dans ce secteur. Le marché de l'emploi a toujours souffert dans notre pays de l'incompatibilité entre l'offre et la demande, d'où le taux de chômage qui ne cesse de galoper dans les rangs des jeunes diplômés du supérieur. Sur les 4.500 dentistes inscrits au tableau de l'Ordre, plus de 800 sont au chômage, selon les dernières déclarations du secrétaire général du Syndicat des médecins dentistes de Tunisie, Sami Rebah, à l'agence TAP. Le taux serait bien plus élevé selon le témoignage de plusieurs jeunes médecins dentistes en raison, surtout, des charges élevées que nécessite l'ouverture d'un cabinet privé, le taux de recrutement très bas dans le secteur public, et le taux élevé des étudiants orientés vers la section de la médecine dentaire, le tout sur fond de marasme économique dont les causes sont bien connues. Le constat est alarmant et impose la prise de décisions pour solutionner la crise. Flambée des prix des équipements dentaires et surenchère Au moment où l'on n'hésite pas à qualifier la Tunisie de nouvel Eldorado de la chirurgie dentaire par certains médias français, en raison du coût bas des soins dentaires dans certains cabinets privés qui affichent des prix défiant toute concurrence, nos jeunes médecins dentistes broient du noir dans leur pays et ne trouvent pas d'emploi. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, ouvrir un cabinet privé n'est plus à la portée d'une certaine catégorie de jeunes médecins, alors que pour bien d'autres, la question ne se pose pas. On ne lésine pas sur les moyens quand les parents sont là pour apporter leur soutien. «Avec la dévaluation du dinar tunisien, les prix des équipements dentaires ont connu une augmentation fulgurante, ce qui a impacté négativement le secteur et creusé les inégalités», témoigne B.A., un jeune médecin dentiste. La surenchère pratiquée par certains fournisseurs d'équipements dentaires qui monopolisent le marché, ne laisse aucune chance à ceux qui rêvent d'ouvrir un cabinet privé. Il arrive même que des fournisseurs gardent en stock des équipements médicaux et ne les mettent en vente qu'après le rebondissement de l'euro, sans parler des surfacturations et d'un service après-vente non rentable, ajoute-il amèrement. «Pas moins de soixante mille dinars pour les équipements dentaires», explique B.A, sans compter les coûts générés par les charges mensuelles fixes et qui peuvent varier entre 1.000 et 1.500 dinars. D'autres jeunes médecins ont été acculés à mettre la clé sous la porte en raison de difficultés financières, constatent d'autres témoins. Les solutions de rechange Pour éviter de sombrer dans les dédales du chômage, de jeunes médecins dentistes n'hésitent pas à accepter de petits boulots comme celui de délégué médical, dans l'espoir d'un éventuel recrutement ou un contrat dans l'un des pays du Golfe, en Arabie Saoudite surtout, où les compétences tunisiennes sont les bienvenues. D'autres préfèrent, plutôt, tenter leur chance en France ou en Allemagne. Ils prennent l'exemple de leurs collègues, les médecins spécialistes. Quand la rive nord de la Méditerranée se vide de ses médecins, le salut vient de la rive sud. De la Tunisie, du Maroc et de l'Algérie. Il est vrai que l'émigration des cerveaux a toujours constitué une bouée de sauvetage pour nos jeunes diplômés mais elle fait toujours mal puisque ces derniers ont fait leur cursus en Tunisie. Ainsi l'Etat a-t-il investi depuis l'indépendance dans l'éducation et le savoir sans pour autant penser au marché de l'emploi. Relation conflictuelle avec le Conseil national de l'Ordre des médecins dentistes ! Le Conseil national de l'Ordre des médecins dentistes est pointé du doigt par certains jeunes médecins dentistes. «Le Cnomd n'est pas là pour nous soutenir ou nous protéger. On se sent abandonné. Pas d'encadrement de la part de cet organisme et on ne sait pas à quoi servent les cotisations des médecins dentistes», accuse B.A. sans mâcher ses mots. Et d'ajouter: «N'est-il pas grand temps de laisser la place aux jeunes au niveau des membres dudit Conseil?». Il est appuyé par un autre jeune médecin dentiste qui préfère garder l'anonymat. «Ce n'est qu'un organisme qui n'excelle que dans l'art des sanctions», estiment d'autres jeunes médecins dentistes. Cependant, certains pensent le contraire. La mission du Conseil de l'Ordre est de «veiller au maintien des principes de moralité, de probité et de dévouement, indispensables à l'exercice de la profession, et au respect par tous les membres des devoirs professionnels édictés notamment par le code de déontologie». Le Cnomd assure aussi «la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession», nous confie-t-on. Imposer la discipline a été toujours une tâche bien ingrate, ce qui explique le courroux de certains jeunes médecins dentistes. Pour sortir de la crise, certains jeunes médecins dentistes préconisent l'organisation et le contrôle du secteur des fournisseurs des équipements dentaires, la limitation du flux des «équivalenciers» (ceux qui obtiennent l'équivalence de leur diplôme d'études à l'étranger), et l'augmentation du nombre de médecins dans le secteur public, ainsi que la révision du barème des honoraires des médecins dentistes.